Cameroun : Paul Biya, 92 ans, à nouveau candidat à la présidence après 42 ans au pouvoir

Source: The Conversation – France in French (3) – By Brice Molo, Postdoctoral research fellow, Institut de recherche pour le développement (IRD)

Paul Biya, président du Cameroun depuis novembre 1982, a annoncé le 13 juillet sa candidature à la prochaine présidentielle, qui se déroulera le 12 octobre. À 92 ans, il est le plus vieux dirigeant élu en exercice du monde. Pourquoi souhaite-t-il effectuer un huitième mandat consécutif, et que dit cette décision de la situation politique au Cameroun ? Entretien avec le sociologue et historien Brice Molo, postdoctorant à l’IRD – Ceped/PC RISC (Risques et sociétés à l’ère des changements environnementaux globaux : enjeux, savoirs et politiques).


Comment l’annonce de la nouvelle candidature de Paul Biya est-elle reçue au Cameroun ?

On observe deux attitudes principales. Une partie de la population considère que cette décision est dans l’ordre des choses, parce que le chef n’est remplacé que lorsqu’il est mort. Mais une autre partie est plus mitigée, parce que le septennat qui s’achève est sans doute celui au cours duquel le président camerounais aura le plus été absent – moins cette fois par ruse que du fait de l’usure du temps –, et ce sera probablement aussi le cas du suivant.

Plusieurs fois, les longs séjours de Biya à l’étranger ont donné lieu à des rumeurs sur son décès. La presse étrangère a souvent mis en avant le coût économique élevé de ces multiples « disparitions ». C’est au cours du mandat actuel qu’il aura effectué son plus long séjour en Europe, annoncé en France, puis en Suisse, dans une cacophonie gouvernementale habituelle.

Toujours au cours de ce mandat, la délégation de signature accordée au secrétaire général de la présidence (SGPR) Ferdinand Ngoh Ngoh s’est avérée, finalement, une procuration permanente avec pour conséquence le retournement d’une partie du régime contre lui-même. On sort du mandat le plus outrancier et extrême du système Biya, au cours duquel des voix critiques se sont exprimées au sein du régime. Par exemple, le ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle, Issa Tchiroma, a dénoncé les innombrables absences du président. Fin juin, il a démissionné du gouvernement avant de déposer quelques semaines plus tard sa propre candidature à l’élection présidentielle d’octobre prochain.

C’est donc dans une ambiance générale particulière que cette candidature est annoncée. D’où l’incertitude d’une partie des observateurs et des Camerounais, largement exprimée sur les réseaux sociaux et dans les médias nationaux et internationaux.

Environ 60 % de la population camerounaise a moins de 25 ans ; observe-t-on une envie de changement auprès des générations qui n’ont connu que Biya au pouvoir ?

Il existe effectivement un contraste frappant entre l’âge des dirigeants camerounais et celui de la majorité de la population. Le Cameroun est dirigé essentiellement par des personnes du troisième âge qui, toutes, ont fait l’école coloniale tardive. C’est le cas de Paul Biya, mais aussi du président du Sénat, du président de l’Assemblée nationale, en poste depuis plus de trente ans, ou encore du directeur de la police, qui est le plus vieux policier en exercice au monde !

France 24, 20 juillet 2025.

Toutefois, l’attention portée par les médias à l’âge du président élude la question centrale de la colonialité du pouvoir. Les vainqueurs de la guerre d’indépendance ont maintenu un système dont les routines administratives et l’exercice de la force sont, fondamentalement, d’essence coloniale. Dans un tel système, les logiques de domination sont aussi ancrées dans l’iniquité coloniale. La majorité démographique est la minorité politique, étant donné qu’elle est exclue du pouvoir et de son exercice. Elle n’a jusqu’ici connu qu’un seul président et pourtant, c’est elle qui fait tenir le Cameroun. Tout d’abord économiquement, par sa force de travail, puis militairement parce que ce sont les jeunes qui défendent les frontières, et enfin socialement parce que la génération de Paul Biya représente moins de 3 % de la population totale.

Face à cette génération qui ne veut pas céder sa place, les jeunes Camerounais s’alignent, se taisent, inventent des répertoires d’action collective originaux, ou choisissent l’exil. Parmi ces jeunes qui n’ont connu que Paul Biya, certains n’envisagent pas le Cameroun autrement, d’autant qu’ils se trouvent dans des situations de dépendance à l’égard d’aînés en position de pouvoir. On peut lire les choses sous le prisme de la loyauté et voir comment ces jeunes sont travaillés par des injonctions à la loyauté ethnique et communautaire, familiale et professionnelle, entre autres.




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Parmi ceux qui restent, on observe un engagement politique de plus en plus important, mais assez dispersé et peu organisé. Et puis il y a ceux, de plus en plus nombreux, qui choisissent de partir. Ces dernières années, le Cameroun est devenu le premier pays pourvoyeur de résidents permanents au Québec, devant la France.

Pouvez-vous revenir rapidement sur les principales formations politiques au Cameroun ? Quels sont aujourd’hui les soutiens de Paul Biya ?

On assiste actuellement à un basculement. Si, des décennies durant, l’arène politique a été organisée autour des partis, ces derniers perdent de leur importance et ce sont les leaders politiques qui deviennent de plus en plus centraux, à titre personnel.

Lorsque Paul Biya accède au pouvoir en 1982 après la démission de l’ancien président Ahmadou Ahidjo, il prend la tête de l’Union nationale camerounaise (UNC), parti qu’il rebaptisera en 1985 en Rassemblement démocratique du Peuple camerounais (RDPC). Après sa victoire, Biya a besoin d’installer son pouvoir sur toute l’étendue du territoire. Son parti se greffe alors à l’administration publique dans un régime de parti unique.

À la suite de l’ouverture démocratique du pays dans les années 1990, les nouvelles formations essayent de suivre le même schéma et des partis politiques essayent de se structurer, avec plus ou moins de succès. Mais le pouvoir, à travers le ministère de l’Administration territoriale (MINAT), valide et contrôle le fonctionnement des partis. Ainsi, le MINAT a refusé en mars 2019 que l’opposant Cabral Libii (candidat en 2018 pour le parti UNIVERS) crée sa formation politique. Libii a été investi par le PCRN en vue de l’élection d’octobre 2025.

De même, l’autre opposant majeur, Maurice Kamto, a également connu des déconvenues, dont certaines découlent aussi de ses choix personnels, ce qui a affaibli le poids du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) dont il était le président.

Or quand le pouvoir complique la possibilité pour les opposants d’avoir des partis politiques pérennes (cas de Cabral) ou à exercer leurs activités librement (cas de Kamto), cela accroît mécaniquement leur popularité et déplace la lutte des partis vers les individus. En retour, le régime essaye de maintenir la centralité des partis politiques pour fragiliser la popularité de ces leaders et/ou les éliminer des échéances électorales, ce qui vient précisément d’arriver à Maurice Kamto, qui ne pourra donc pas se présenter à l’élection d’octobre prochain.

Le contrôle du pouvoir sur la vie des partis politiques accroît les messianismes, fragilise le débat contradictoire et affaiblit l’exigence de programmes solides. Les partis ne cherchent plus nécessairement une horizontalité dès lors qu’ils sont moins importants que les individus. Un tel contexte n’est pas favorable aux dynamiques collectives qui ont failli renverser Paul Biya en 1992.

Il me semble que c’est à ce moment que Paul Biya a définitivement pris conscience de la nécessité d’exercer sa mainmise sur les partis politiques, qu’il contrôle aussi par l’administration publique et les ressources de l’État. Même si aujourd’hui sa capacité à gouverner est remise en cause du fait de son âge, il règne toujours. Et l’histoire des règnes est aussi celle de la patrimonialisation et d’une manière de mettre le gouvernement au service du souverain, même en son absence ou même lorsqu’il est diminué.

Pour régner, Paul Biya s’est toujours appuyé sur des soutiens dont une bonne partie se recrute dans les universités, dans la haute administration publique et au sein des bourgeoisies traditionnelles de toutes les régions et communautés. Il n’a pas perdu ces soutiens-là. La preuve en est la « coutume » très respectée des appels à candidature qui permettent aussi, d’une certaine manière, de « mettre le peuple en ordre » ou d’exprimer la loyauté vis-à-vis du chef tant qu’il existe encore des raisons de « jouer le jeu ».

Il y a une histoire longue des défections au sein du parti dominant et de leur constitution en mode d’action politique. Entre janvier et février 1958, plusieurs membres du gouvernement Mbida démissionnent. Ce dernier, alors premier ministre du premier gouvernement camerounais, essaye de remanier son équipe, mais le pouvoir colonial s’y oppose et il finit par démissionner.

Une vingtaine d’années plus tard, en 1983, alors que la crise entre Paul Biya – alors au pouvoir depuis novembre 1982 – et son prédécesseur Ahmadou Ahidjo est au plus fort, les ministres proches de l’ancien président tentent de fragiliser le pouvoir de Biya en ayant recours à ce même mode d’action qu’est la démission. Mais la tentative échoue et Biya survit à la tentative de coup d’État du 6 avril 1984.

On peut aussi citer Garga Haman Adji, qui démissionne du gouvernement en 1992 pour être plus tard candidat ; Titus Edzoa, ancien ministre de la Santé dont le projet de candidature à l’élection présidentielle en 1997 a été brutalement interrompu par une incarcération qui durera 17 ans ; et rappelons que Maurice Kamto qui a revendiqué la victoire en 2018, a lui aussi été ministre de Biya.

Les démissions récentes s’inscrivent donc dans une tendance qui ne date pas d’hier. Souvent, ce sont des projets politiques dont l’expression ultime est la volonté de prendre le pouvoir plus tard. Sous l’ancien président, les démissions s’inscrivaient dans un projet collectif ; sous Paul Biya, la démission est individuelle et précède la déclaration d’une candidature.

De toute manière, la pratique du pouvoir d’État au Cameroun et la manière dont ces démissions aboutissent ensuite à des candidatures laissent croire que le poste de ministre est perçu comme une filière d’accès à la fonction présidentielle. Le gouvernement par l’effacement de Paul Biya a souvent nourri des ambitions, qui ont été régulièrement rappelées à l’ordre par la punition.

Cependant, avec le poids de l’âge du président, il est désormais moins question d’effacement par ruse que d’absence. Le ministre démissionnaire Issa Tchiroma a remis en question la capacité à gouverner d’un président de 92 ans. Le gouvernement par l’absence, conjugué à l’usure du temps, alimente l’impression que le moment de l’alternance est proche. C’est une atmosphère qui ouvre non seulement la voie aux ambitions, mais traduit aussi certaines inquiétudes au sein même de l’appareil gouvernant.

Démissionner pour se porter candidat, c’est faire le pari que l’alternance est imminente et qu’il devient stratégique de se démarquer de ceux qui exercent encore le pouvoir, afin de se relégitimer auprès du peuple.

Quels contre-pouvoirs existent au Cameroun aujourd’hui ?

La question des contre-pouvoirs est intéressante. Il y a au Cameroun une crise du droit. Depuis 2018, la vie politique est rythmée par des controverses entre universitaires et juristes au sujet de la Constitution ou encore du code électoral.

On peut ici reparler de deux figures d’opposition que j’ai déjà évoquées : d’une part, Cabral Libii, candidat du PCRN, arrivé troisième à l’élection présidentielle de 2018 et député de la nation. Il est aussi doctorant en droit à l’université de Douala. D’autre part, Maurice Kamto, avocat et professeur de droit à l’université de Yaoundé II, arrivé deuxième à l’élection de 2018.

Là où lors des élections précédentes les opposants avaient porté une critique avant tout sociale, avec des mobilisations importantes dans les années 1990-1995, ces deux acteurs ont réussi à faire du droit une arme. Face aux usages autoritaires du droit par le camp au pouvoir, ils ont tenté un usage contestataire du droit pour produire une critique du pouvoir et un contre-pouvoir. Cette stratégie est notamment passée par des recours en justice, les deux hommes ayant une connaissance assez fine des règles pour bloquer les abus de pouvoir.

Par exemple, Cabral Libii a mobilisé des décisions de justice pour justifier son droit à la candidature dans un parti où son leadership est contesté par une seconde faction, qui a le soutien du ministre de l’Administration territoriale. Chaque fois, il a déjoué avec habileté les manœuvres visant à le disqualifier.

Maurice Kamto, quant à lui, avait initié un contentieux électoral après l’élection de 2018. Ce fut sans doute le plus suivi de l’histoire du Cameroun, à la télévision nationale et sur les réseaux sociaux. Plus tard, il y a eu d’autres controverses, la plus importante de toutes portant sur sa capacité à être investi par le parti politique dont il était président jusqu’au mois de juin dernier, le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC). Pendant plusieurs semaines, ce fut la question la plus débattue par les médias camerounais engagés, Maurice Kamto n’hésitant pas à narguer ses collègues et ceux qui, au sein du gouvernement, se positionnaient contre l’éventualité de sa candidature.

Récemment, il a décidé de se porter candidat sous la bannière d’un autre parti, le Mouvement africain pour la nouvelle indépendance et la démocratie (MANIDEM). Mais sa candidature vient d’être rejetée par l’instance qui organise les élections. Tout laisse croire qu’on s’achemine vers une nouvelle épreuve de force juridique. Quoiqu’il en soit, on constate la capacité de Cabral Libii et Maurice Kamto à faire émerger des causes, à susciter des débats et de l’intérêt autour de l’État de droit, des lois et de leur compréhension.

La capacité à faire usage de la loi n’est donc plus l’apanage seul du régime qui contrôle les institutions judiciaires, dans un pays où la séparation des pouvoirs a toujours été contestée et considérée comme un leurre. Il y a désormais, aussi, la mobilisation du droit pour déranger le pouvoir.


Propos recueillis par Coralie Dreumont

The Conversation

Brice Molo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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