Source: The Conversation – in French – By Mady Ibrahim Kanté, Lecturer-researcher, Université des sciences juridiques et politiques de Bamako
Le 1er juillet 2025, la région de Kayes, l’ouest du Mali – longtemps considérée comme une zone relativement épargnée par l’insécurité – a été la cible d’une série d’attaques coordonnées d’une ampleur inédite. Le groupe terroriste Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM), affilié à Al-Qaïda, a simultanément attaqué plusieurs localités et infrastructures sécuritaires.
La résidence du gouverneur de Kayes, le camp de la brigade militaire, le commissariat du 2ᵉ arrondissement, ainsi que des postes frontaliers de Diboli (vers le Sénégal) et de Gogui (vers la Mauritanie) ont été visés. Une autre attaque a été menée à Sandaré, à 150 km de Kayes.
En tant que chercheurs sur les questions de dynamiques sécuritaires et les stratégies antiterroristes en Afrique de l’Ouest, nous voyons dans ces attaques un tournant préoccupant. Elles révèlent une nouvelle stratégie alarmante dans le déploiement géographique des groupes armés non-étatiques au Mali.
C’est un moment clé dans l’évolution de la lutte armée au Sahel. Les cibles visées sont hautement stratégiques. Cela témoigne d’une sophistication croissante des méthodes, à la fois, dans les ambitions et les capacités opérationnelles de ces groupes. Jusque-là, on n’avait pas vu une telle précision dans la coordination des attaques.
Les motivations derrière ces attaques
L’attaque du 1er juillet doit être analysée comme une opération hautement stratégique, répondant à plusieurs objectifs pour le Jama’a Nusrat ul-Islam wa al-Muslimin (JNIM). Premièrement, le JNIM, historiquement actif dans le nord et le centre du Mali, cherche désormais à étendre son emprise vers les régions frontalières du Sénégal et de la Mauritanie. Cette projection territoriale vise à exploiter les failles sécuritaires et la marginalisation socio-économique dans ces zones.
Cette stratégie d’extension progressive vers de nouveaux territoires est une constante du mode opératoire du JNIM depuis 2019. Désormais, le groupe concentre ses attaques sur les zones forestières sahéliennes, les centres urbains et les régions côtières.
Deuxièmement, l’attaque simultanée de plusieurs installations militaires et administratives à Kayes et Nioro du Sahel a sans doute été conçue pour évaluer les capacités opérationnelles et la coordination des forces armées maliennes (FAMa) dans une région jusque-là considérée comme plus stable.
Enfin, en frappant un centre régional symbolique comme la ville de Kayes, le groupe envoie un message fort : aucun territoire n’est hors de sa portée au Mali. Cette démonstration de force vise également à attirer de nouveaux combattants et à intimider tant les autorités que les populations.
Des répercussions immédiates et durables
Cette offensive pourrait avoir des répercussions multiples, tant sur les plans sécuritaire, politique que humanitaire.
D’abord, la désorganisation des services étatiques : l’attaque contre la résidence du gouverneur, les camps militaires et le commissariat a provoqué la paralysie temporaire des institutions locales, semant un climat de peur parmi la population.
Ensuite, un affaiblissement de la confiance des populations envers l’État. D’après les témoignages recueillis sur place le jour des attaques, de nombreux habitants ont fui vers des villages voisins. Les transporteurs, qui assurent habituellement les liaisons entre la ville de Kayes et les zones rurales, ont rebroussé chemin par crainte de nouvelles violences. L’insécurité grandissante alimente un climat de peur et de tension.
Puis, le risque d’un effet domino sur les régions voisines. Cette attaque pourrait inspirer d’autres opérations menées par des groupes armés non étatiques dans les zones frontalières, notamment vers le sud de la Mauritanie et le sud-est du Sénégal. Ce qui pourrait accélérer la régionalisation du conflit malien.
Enfin, il y a non seulement une volonté manifeste d’étendre l’insécurité au-delà des frontières maliennes et d’impacter psychologiquement les populations en les poussant à prendre le chemin de l’exil, mais aussi de saper la confiance que ces mêmes populations accordent aux autorités frontalières.
De fait, l’attaque de Diboli a mis sur le qui-vive les hautes autorités sénégalaises et mauritaniennes qui ont déjà renforcé la surveillance militaire aux frontières et dans les autres régions qu’elles considèrent comme névralgiques.
Des capacités de riposte limitées
Malgré une réponse rapide des Forces armées maliennes (FAMa), notamment lors de l’attaque du 1er juillet 2025 où plus de 80 terroristes auraient été neutralisés, la situation sécuritaire demeure préoccupante. Les capacités militaires du pays restent limitées en termes d’effectifs, de mobilité et de ressources technologiques dans cette région montagneuse et forestière.
En outre, la région de Kayes, jusque-là peu militarisée, souffre d’un important déficit de renseignement, en particulier dans les zones rurales où les populations hésitent à signaler la présence de membres du JNIM, par crainte de représailles.
À cela s’ajoute la présence des groupes terroristes dans plusieurs régions du pays. Avec les groupes rebelles au nord du pays, les Forces de défense et de sécurité font face à plusieurs fronts.
Plus globalement, le Mali traverse une période politique instable, marquée par des transitions politiques répétées depuis 2020. Cette instabilité entrave la mise en œuvre de réformes structurelles nécessaires à une lutte efficace contre le terrorisme et limite la capacité de mobilisation nationale autour des enjeux sécuritaires.
Les mesures d’urgence et structurelles à prendre
À long terme, des mesures structurelles telles que le développement de la jeunesse, la coopération régionale et le dialogue sur la gouvernance sont essentielles pour assurer une stabilisation durable. Le changement climatique, l’insécurité alimentaire, le retour au soutien de l’état à travers la sensibilisation des populations sont des initiatives qu’il faudrait aussi associer dans les mesures d’urgence et structurelles à prendre immédiatement.
La coopération militaire tripartite (Mali-Sénégal-Mauritanie) devrait être renforcée avec des activités opérationnelles planifiées, comme en février 2025, des patrouilles mixtes transfrontalières et des actions civilo-militaires avec une collaboration étroite des populations locales.
Suivant les recommandations du Groupe d’action financière (GAFI), il faudrait également renforcer dans la sous-région ouest-africaine les lois contre le terrorisme et la criminalité. Pour ce faire, il faut davantage cibler les réseaux de financement du terrorisme en mettant en place des cadres juridiques spécifiques aux contextes sahéliens capables de couper à la source ces types de financements.
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– ref. Attaques coordonnées dans l’Ouest du Mali : une nouvelle phase dans l’expansion du djihadisme ? – https://theconversation.com/attaques-coordonnees-dans-louest-du-mali-une-nouvelle-phase-dans-lexpansion-du-djihadisme-261533
