Source: The Conversation – in French – By Normand Mousseau, Directeur de l’Institut de l’énergie Trottier, Polytechnique Montréal et Professeur de physique, Université de Montréal
Feux de forêt records, résidus agricoles sous-utilisés, scieries fragilisées : le Canada se retrouve avec une grande quantité de biomasse sous-valorisée. Pourtant, cette ressource pourrait devenir l’un de ses meilleurs alliés dans la lutte contre les changements climatiques, à condition d’en planifier l’usage avec rigueur.
Les secteurs de la biomasse au Canada font face à de fortes incertitudes à cause de perturbations politiques et naturelles. Le secteur forestier canadien a récemment été frappé par de nouveaux tarifs douaniers annoncés par l’administration américaine sur les produits forestiers canadiens, portant le total des droits imposés sur le bois d’œuvre canadien à 45 %. Le secteur agricole et agroalimentaire est également particulièrement vulnérable, car il exporte plus de 70 % de ses principales cultures.
En plus de faire face à ces incertitudes politiques, les secteurs de la biomasse subissent de plus en plus les effets des catastrophes climatiques. En 2025, les incendies avaient brûlé 8,3 millions d’hectares de forêts canadiennes au 30 septembre, soit la deuxième pire saison de feux de forêt au Canada. Avec le changement climatique, les phénomènes climatiques extrêmes, tels que les feux de forêt et la sécheresse, risquent de devenir plus fréquents et plus intenses.
Les transformations s’accélèrent et les risques augmentent. Pour les industries et les communautés qui dépendent de la biomasse, le moment est venu d’imaginer une vision à long terme de son rôle dans la transition climatique.
Les ressources de la biomasse : un élément clé
Le Canada a besoin de se diriger vers une économie carboneutre et les secteurs de la biomasse ont un rôle clé à jouer dans cette transition.
La disponibilité de diverses ressources de biomasse dans les forêts et les terres agricoles au Canada, combinée aux nouvelles technologies pour la convertir en bioproduits et bioénergie, fait de la biomasse une solution potentielle pour réduire les émissions de carbone dans plusieurs secteurs, comme l’industrie, le bâtiment et tous les modes de transport (routier, maritime, ferroviaire et aérien).
La biomasse peut faire partie des stratégies d’atténuation du changement climatique. Bien utilisée, elle peut remplacer les combustibles et produits fossiles, et aider à stocker le carbone de différentes façons : dans des matériaux durables fabriqués à partir de bois ou de résidus agricoles, sous forme de biochar qui retient le carbone dans le sol, ou grâce à la bioénergie combinée au captage et au stockage du CO2 (BECSC), qui empêche le carbone libéré lors de la production d’énergie de rejoindre l’atmosphère.
L’intérêt pour les matières premières de la biomasse par de nombreuses industries est élevé, comme le démontrent plusieurs projets récents. En 2025, la première usine de biochar à échelle industrielle du Canada a été inaugurée au Québec, tandis que la raffinerie Strathcona en Alberta, qui deviendra la plus grande installation de diesel renouvelable du Canada, a été achevée.
Le rôle de la biomasse ressort clairement dans les modélisations de trajectoires possibles pour atteindre les objectifs climatiques du Canada. Ces analyses montrent que, si une partie importante de la biomasse disponible était utilisée différemment, il serait possible de séquestrer jusqu’à 94 millions de tonnes équivalant CO2 par an grâce au BECSC et au biochar.
Ces résultats soulignent la nécessité pour le Canada de planifier soigneusement les développements de nouveaux projets et de répartir judicieusement la biomasse entre ses usages traditionnels et émergents.
Identification des utilisations optimales de la biomasse
Comme nous l’expliquons dans un rapport récent, plusieurs facteurs influencent le potentiel de la biomasse à réduire les émissions, notamment le type d’écosystème où elle est récoltée, l’efficacité de sa conversion, les combustibles employés et les produits qu’elle remplace dans les secteurs concernés. Autrement dit, les bénéfices climatiques de la biomasse ne sont pas automatiques : ils dépendent des choix faits à chaque étape de la chaîne de valeur. Ainsi, si les transformations ou le transport des ressources exigent beaucoup d’énergie fossile ou si le produit final déplace une alternative peu émettrice, le gain pour le climat peut devenir marginal, voire négatif.
Pour utiliser la biomasse de façon optimale, il faut bien comprendre les ressources disponibles dans un contexte de changement climatique, ainsi que leur réel potentiel de réduction des émissions. Un potentiel qui dépend à la fois de l’efficacité des technologies et des réalités culturelles, environnementales et économiques des communautés.
Il manque encore une vision à long terme
Les décideurs doivent éviter de travailler en vase clos et tenir compte des effets collatéraux de l’allocation des ressources. Les pratiques dans les secteurs de la biomasse, qu’il s’agisse de la foresterie ou de l’agriculture, évoluent lentement. Les forêts, notamment, suivent de longs cycles de croissance et de récolte : les choix faits aujourd’hui influenceront les émissions pour des décennies.
Pourtant, malgré l’importance de ses ressources, le Canada n’a pas de stratégie définissant une vision du rôle de la biomasse dans la transition vers la carboneutralité d’ici 2050.
Le Canada s’est doté de plusieurs cadres liés à la bioéconomie, notamment le Cadre renouvelé de la bioéconomie forestière (2022) et la stratégie canadienne pour la bioéconomie (2019). Mais il manque encore une stratégie d’ensemble qui définirait la place de la biomasse dans les différents secteurs, énergétiques ou non, dans la perspective d’un avenir carboneutre.
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Le Canada peut s’inspirer de sa propre Stratégie canadienne pour l’hydrogène pour concevoir une stratégie similaire sur la biomasse, appuyée sur une modélisation intégrée de son potentiel dans différents secteurs de l’économie canadienne. Il est urgent d’adopter une approche réaliste, fondée sur des analyses à plusieurs échelles – du régional au national – plutôt que sur des cibles sectorielles isolées.
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De nombreux acteurs du secteur soulignent l’urgence d’adopter une stratégie nationale claire pour la bioéconomie, afin d’offrir plus de prévisibilité aux industries de la biomasse au Canada. Dans un article publié par Biomass Magasine, Jeff Passmore (fondateur et président de Scaling Up) déclare attendre que le Canada élabore une stratégie nationale concrète en matière de bioéconomie. Dans un article publié par Bioenterprise en 2023, il est souligné que « l’un des éléments clés nécessaires pour construire l’avenir de la biomasse au Canada est une stratégie nationale de bioéconomie solide à long terme, soutenue par l’industrie et les gouvernements ».
Enfin, un article de Bioindustrial Innovation Canada recommande de « réviser la stratégie nationale pour la bioéconomie en fixant des objectifs mesurables visant à assurer une coordination interministérielle et intersectorielle, assortis d’une feuille de route claire pour la collaboration entre l’industrie et le secteur public ».
La biomasse ne se gère pas à l’aveugle. Ses impacts varient selon les régions et les usages. Pour que les projets futurs contribuent réellement aux objectifs climatiques du Canada, il faut dès maintenant une vision nationale cohérente.
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Dans le cadre du travail rapporté pour cet article, Normand Mousseau a reçu des financements d’Environnement et Changements climatiques Canada, de la Fondation familiale Trottier (via son soutien pour les activités de l’Institut de l’énergie Trottier) et de l’Accélérateur de transition, un organisme à but non lucratif donc le mandat est d’appuyer la transition énergétique dans divers secteurs économiques. Aucun droit de regard sur les analyses et les conclusions n’ont été accordés aux organismes qui ont financé ce texte ou des rapports sur lesquels il s’appuie. Les auteurs sont seuls responsables de celles-ci.
L’Institut de l’énergie Trottier de Polytechnique Montréal a été créé grâce à un généreux don de la Fondation familiale Trottier. Sa mission couvre la recherche, la formation et la diffusion d’information en lien avec les enjeux de décarbonation des systèmes énergétiques.
Pour soutenir le mandat de recherche du Groupe consultatif sur la carboneutralité, le projet de l’IET sur la biomasse a été réalisé avec le soutien financier du gouvernement du Canada. Le financement a été réalisé par le Fonds d’action et de sensibilisation pour le climat du Fonds pour dommages à l’environnement, administré par Environnement et Changement climatique Canada. Aucun droit de regard sur les analyses et les conclusions n’ont été accordés aux organismes qui ont financé ce rapport. Les auteurs sont seuls responsables de celles-ci.
Roberta Dagher travaille à l’Institut de l’énergie Trottier en support à l’Accélérateur de transition. Roberta Dagher ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article.
– ref. Pour transiter vers une économie carboneutre, la biomasse a un rôle clé à jouer – https://theconversation.com/pour-transiter-vers-une-economie-carboneutre-la-biomasse-a-un-role-cle-a-jouer-268634
