Budget fédéral 2025 : le « Canada fort » est-il en réalité faible en matière d’IA ?

Source: The Conversation – in French – By Nicolas Chartier-Edwards, PhD student, Politics, Science and Technology, Institut national de la recherche scientifique (INRS)

Le gouvernement de Mark Carney a présenté son premier budget officiel, intitulé Un Canada Fort. Il se présente comme une feuille de route des investissements réalisés pour renforcer la souveraineté nationale par la productivité économique et la défense nationale. Au cœur de ces efforts se trouve l’intelligence artificielle.

Les technologies fortement axées sur l’IA ont été identifiées par huit agences fédérales dans le budget 2025 comme un moyen de réduire les dépenses opérationnelles tout en stimulant la productivité.

De nombreux investissements du budget visent à développer l’industrie de la défense par la création et la commercialisation de ce qu’on appelle des technologies à double usage — des biens, logiciels et technologies pouvant être utilisés à la fois à des fins civiles et militaires — ce qui peut également inclure l’IA.

Mais le Canada Fort est-il, en fait, faible en IA ?

Compte tenu du paysage législatif actuel et du nouveau budget, nous soutenons que le plan d’IA d’Un Canada fort minimise la réglementation et la mise en place de garde-fous, puisque le financement est principalement orienté vers l’adoption de l’IA. Il néglige les risques, les impacts et les potentielles faiblesses qui accompagnent une dépendance excessive à ces technologies.

Historique des budgets passés

Indirectement, le gouvernement canadien a constamment soutenu la recherche en IA par l’intermédiaire des organismes subventionnaires fédéraux, de la Fondation canadienne pour l’Innovation et de l’Institut canadien pour la Recherche avancée.

Entre 2006 et 2015, le gouvernement du premier ministre Stephen Harper a investi plus de $13 milliards dans la science, la technologie et l’innovation durant son mandat.

Le gouvernement de Justin Trudeau a modifié la manière dont l’IA était présentée aux citoyens du pays et la façon dont elle était financée. Le budget de 2017, intitulé Bâtir une classe moyenne forte a fait les premières références explicites à l’IA dans un budget fédéral, la décrivant comme représentant une force transformatrice pour l’économie canadienne.

Le gouvernement a mis l’accent sur « l’avantage du Canada en matière d’intelligence artificielle », qui, selon lui, pouvait se traduire par « une économie plus innovante, une croissance économique plus forte et une amélioration de la qualité de vie des Canadiens ».

Bill Morneau, ministre des Finances de l’époque, a proposé de financer les Supergrappes d’IA et d’allouer 125 millions de dollars pour établir la première Stratégie pancanadienne en intelligence artificielle.

Cet engagement envers l’IA a été réaffirmé dans le budget de 2021, lorsque la technologie a été présentée comme « l’une des transformations technologiques les plus significatives de notre époque ». Les investissements du gouvernement fédéral dans ce secteur ont été décrits comme essentiels pour garantir que l’économie en profite, et que la position de force du Canada permette « l’intégration des valeurs canadiennes dans les plates-formes mondiales ».

Le gouvernement a renouvelé la Stratégie pancanadienne d’IA avec 368 millions de dollars supplémentaires. Un montant additionnel de 2,4 milliards de dollars a été engagé dans le budget de 2024, mettant l’accent sur « l’utilisation sécuritaire et responsable » de l’IA, notamment grâce à la création de nouvelles normes et à l’établissement de l’Institut canadien de la sécurité de l’intelligence artificielle.

La question de la souveraineté

Le budget 2025 marque un autre changement substantiel dans l’approche du Canada concernant l’IA. Cette troisième phase de financement met l’accent sur l’adoption, la productivité, la souveraineté et le principe fondamental du double usage — à la fois civil et militaire.

Mais nous ne croyons pas qu’il favorise la recherche et les projets portant sur les enjeux clés liés à l’IA. Il amplifie plutôt un langage promotionnel.

Nous croyons que l’adoption à grande échelle de l’IA dans les ministères et agences fédéraux (comme l’Agence du revenu du Canada, Emploi et Développement social Canada, Pêches et Océans Canada, Services publics et Approvisionnement Canada, Statistique Canada, Ressources naturelles Canada et Patrimoine canadien) réduira en réalité la capacité à développer des réglementations, à concevoir des garde-fous, à mener des délibérations éthiques et à garantir une participation significative de la société civile, parce que son intégration généralisée imprégnera l’ensemble de la bureaucratie.

L’IA présentée comme moteur économique — à travers la réduction des coûts et les applications à double usage — est devenue le nouveau récit promotionnel du gouvernement.




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La faiblesse en IA du Canada fort

Quelles vulnérabilités émergent lorsque l’IA est déployée de manière agressive au sein de la fonction publique ? Depuis l’abandon de la loi sur l’Intelligence artificielle et les données, l’approche canadienne de la gouvernance de l’IA repose davantage sur des normes et standards que sur l’État de droit.

Cet environnement pourrait transformer un avantage perçu en matière d’IA en une véritable faiblesse. Cela est particulièrement vrai compte tenu de la dépendance excessive du gouvernement envers des logiciels étrangers (comme Microsoft CoPilot) et des matériels étrangers (comme les puces NVIDIA nécessaires aux superordinateurs), d’un manque de compréhension complète des technologies déjà utilisées par les différentes agences et de l’absence de lignes directrices sur les armes autonomes létales — des systèmes d’armes capables de rechercher, identifier et attaquer des cibles sans intervention humaine directe.

Promouvoir la création rapide de régulations ainsi que l’adoption à tout prix de l’IA dans un budget centré sur le soutien à la recherche, au développement, à la commercialisation et à la mise en œuvre de technologies à double usage risque de négliger plusieurs écueils de l’IA, notamment :

La promotion de l’IA comme un avantage économique — par l’automatisation de l’administration publique et le double usage militaire — dans un environnement non réglementé et sans financement dédié à la surveillance risque de perturber des secteurs et des services essentiels au maintien de la démocratie canadienne, fondement même d’un Canada Fort.

La Conversation Canada

Nicolas Chartier-Edwards a reçu des financements du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

François-Olivier Picard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Budget fédéral 2025 : le « Canada fort » est-il en réalité faible en matière d’IA ? – https://theconversation.com/budget-federal-2025-le-canada-fort-est-il-en-realite-faible-en-matiere-dia-270022