Source: The Conversation – France (in French) – By Amanda Bongers, Assistant Professor, Chemistry Education Research, Queen’s University, Ontario
S’il semble évident que les scientifiques doivent développer des compétences en analyse visuelle, ces dernières ne sont pas suffisamment enseignées ni mises en pratique dans nos universités.
C’est l’une des difficultés de l’apprentissage des sciences : il repose en partie sur des images et des simulations pour représenter des choses que nous ne pouvons pas voir à l’œil nu. Dans des matières comme la chimie, les étudiants peuvent avoir du mal à visualiser les atomes et les molécules à partir des symboles complexes qui les représentent.
Pourtant, la plupart des cours de chimie dispensés l’université n’aident pas les étudiants à mieux comprendre ces représentations. Les étudiants passent leurs cours à regarder passivement des diapositives pleines d’images sans s’impliquer ni générer les leurs. En s’appuyant sur leurs capacités innées plutôt qu’en apprenant à affiner leur pensée visuelle et leurs compétences en analyse d’images, de nombreux étudiants finissent par se sentir perdus face aux symboles et ont recours à des techniques de mémorisation fastidieuses et improductives.
Que pouvons-nous faire pour aider les élèves à analyser et à tirer des enseignements des visuels scientifiques ? La solution se trouve peut-être du côté de l’histoire de l’art. Il existe de nombreux parallèles entre les compétences acquises en histoire de l’art et celles requises dans les cours de sciences.
Développer un œil averti
Se sentir déconcerté par une œuvre d’art ressemble fortement à l’expérience que font de nombreux étudiants en chimie. Dans les deux cas, les spectateurs peuvent se demander : que suis-je en train de regarder, où dois-je regarder et qu’est-ce que cela signifie ?
Et si un portrait ou un paysage peut sembler, a priori, porter un message simple, les œuvres d’art regorgent d’informations et de messages cachés pour un œil non averti.
Plus on passe de temps à regarder chaque image, plus on peut découvrir d’informations, se poser des questions et approfondir son exploration visuelle et intellectuelle.
Par exemple, dans le tableau du XVIIIe siècle intitulé Nature morte aux fleurs sur une table de marbre (1716) de la peintre néerlandaise Rachel Ruysch, en regardant plus longuement les fleurs, on découvre plusieurs insectes dont les historiens de l’art interprètent la présence dans un contexte plus large de méditations spirituelles sur la mortalité.

(Rijksmuseum)
Le domaine de l’histoire de l’art est consacré à l’étude des œuvres d’art et met l’accent sur l’analyse visuelle et les capacités de réflexion critique. Lorsqu’un historien de l’art étudie une œuvre d’art, il explore les informations que celle-ci peut contenir, les raisons pour lesquelles elle a été présentée de cette manière et ce que cela signifie dans un contexte plus large.
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Processus d’observation et de questionnement
Ce processus d’observation et de questionnement sur ce que l’on regarde est nécessaire à tous les niveaux de la science et constitue une compétence générale utile.
L’organisation à but non lucratif Visual Thinking Strategies a créé des ressources et des programmes destinés à aider les enseignants, de la maternelle au lycée, à utiliser l’art comme sujet de discussion dans leurs classes.
Ces discussions sur l’art aident les jeunes apprenants à développer leurs capacités de raisonnement, de communication et de gestion de l’incertitude. Une autre ressource, « Thinking Routines » (Routines de réflexion) du projet Zero de Harvard, inclut d’autres suggestions pour susciter l’intérêt des élèves pour l’art, afin de les aider à cultiver leur sens de l’observation, de l’interprétation et du questionnement.
Pour regarder de manière critique, il faut ralentir
De telles approches ont également été adoptées dans l’enseignement médical, où les étudiants en médecine apprennent à porter un regard critique grâce à des activités d’observation attentive d’œuvres d’art et explorent les thèmes de l’empathie, du pouvoir et des soins.

(Shutterstock)
Les programmes d’humanités médicales aident également les jeunes professionnels à faire face à l’ambiguïté. Apprendre à analyser l’art change la façon dont les gens décrivent les images médicales, et améliore leur score d’empathie.
Les compétences nécessaires à l’analyse visuelle des œuvres d’art exigent que nous ralentissions, que nous laissions notre regard vagabonder et que nous réfléchissions. Une observation lente et approfondie implique de prendre quatre ou cinq minutes pour contempler silencieusement une œuvre d’art, afin de laisser apparaître des détails et des liens surprenants. Les étudiants qui se forment à l’imagerie médicale dans le domaine de la radiologie peuvent apprendre ce processus d’observation lente et critique en interagissant avec l’art.
Les étudiants en classe
Imaginez maintenant la différence entre un cadre calme comme un musée et une salle de classe, où l’on est obligé d’écouter, de regarder, de copier, d’apprendre à partir d’images et de se préparer pour les examens.
En cours, les étudiants prennent-ils le temps d’analyser ces schémas chimiques complexes ? Les recherches menées par mes collègues et moi-même suggèrent qu’ils y consacrent très peu de temps.
Lorsque nous avons assisté à des cours de chimie, nous avons constaté que les élèves regardaient passivement les images pendant que l’enseignant les commentait, ou copiaient les illustrations au fur et à mesure que l’enseignant les dessinait. Dans les deux cas, ils ne s’intéressaient pas aux illustrations et n’en créaient pas eux-mêmes.
Lorsqu’elle enseigne la chimie, Amanda, l’autrice principale de cet article, a constaté que les élèves se sentent obligés de trouver rapidement la « bonne » réponse lorsqu’ils résolvent des problèmes de chimie, ce qui les amène à négliger des informations importantes mais moins évidentes.
Analyse visuelle dans l’enseignement de la chimie
Notre équipe composée d’artistes, d’historiens de l’art, d’éducateurs artistiques, de professeurs de chimie et d’étudiants travaille à introduire l’analyse visuelle inspirée des arts dans les cours de chimie à l’université.
Grâce à des cours simulés suivis de discussions approfondies, nos recherches préliminaires ont mis en évidence des recoupements entre les pratiques et l’enseignement des compétences en arts visuels et les compétences nécessaires à l’enseignement de la chimie, et nous avons conçu des activités pour enseigner ces compétences aux étudiants.
Un groupe de discussion composé d’enseignants en sciences à l’université nous a aidés à affiner ces activités afin qu’elles correspondent aux salles de classe et aux objectifs des enseignants. Ce processus nous a permis d’identifier de nouvelles façons d’appréhender et d’utiliser les supports visuels. À mesure que nos recherches évoluent, ces activités sont également susceptibles d’évoluer.

De nombreux étudiants en sciences ne poursuivent pas une carrière traditionnelle dans le domaine scientifique, et leurs programmes mènent rarement à un emploi spécifique, mais les compétences en pensée visuelle sont essentielles dans le large éventail de compétences nécessaires à leur future carrière.
Par ailleurs, l’analyse visuelle et la pensée critique deviennent indispensables dans la vie quotidienne, avec l’essor des images et des vidéos générées par l’IA.
Développer des compétences pour ralentir et observer
Intégrer les arts dans d’autres disciplines peut favoriser la pensée critique et ouvrir de nouvelles perspectives aux apprenants. Nous soutenons que les arts peuvent aider les étudiants en sciences à développer des compétences essentielles en analyse visuelle en leur apprenant à ralentir et à simplement observer.
« Penser comme un scientifique » revient à se poser des questions sur ce que l’on voit, mais cela correspond tout aussi bien à la façon de réfléchir d’un historien de l’art, selon les principes suivants :
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Observer attentivement les détails ;
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Considérer les détails dans leur ensemble et dans leur contexte (par exemple, en se demandant : « Qui a créé cela et pourquoi ? ») ;
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Reconnaître la nécessité de disposer de connaissances techniques et fondamentales étendues pour comprendre ce qui est le moins évident ;
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Enfin, accepter l’incertitude. Il peut y avoir plusieurs réponses, et nous ne connaîtrons peut-être jamais la « bonne réponse » !
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Amanda Bongers receives funding from SSHRC and NSERC.
Madeleine Dempster reçoit un financement du Conseil de recherches en sciences humaines.
– ref. Pour les artistes comme pour les scientifiques, l’observation prolongée permet de faire émerger l’esprit critique – https://theconversation.com/pour-les-artistes-comme-pour-les-scientifiques-lobservation-prolongee-permet-de-faire-emerger-lesprit-critique-266616
