Source: The Conversation – in French – By Sarah Venter, Baobab Ecologist, University of the Witwatersrand
Les baobabs sont parfois appelés « arbres à l’envers », car leurs branches ressemblent à des racines qui s’élèvent vers le ciel. Sur les huit espèces de baobabs qui existent dans le monde, six se trouvent à Madagascar, une dans le nord de l’Australie et une autre, Adansonia digitata, se trouve dans les régions de savane du continent africain.
Ces arbres ne sont pas seulement impressionnants, ils sont aussi les pierres angulaires des écosystèmes et des moyens de subsistance africains. Ils fournissent des fruits, des fibres, des médicaments et un abri pour les populations et la faune sauvage. Mais c’est leur floraison nocturne et leur alliance avec de petits visiteurs de la nuit – les chauves-souris et les papillons nocturnes – qui recèlent les secrets de leur évolution et de leur survie future.
Les baobabs ont d’énormes fleurs blanches qui sont visitées la nuit par les chauves-souris et les papillons de nuit pour se nourrir de leur nectar sucré. Pendant qu’ils se nourrissent du nectar, la fleur recouvre ses visiteurs nocturnes de pollen qu’ils transportent vers la prochaine fleur qu’ils visitent. Cela permet de transférer le pollen de la partie mâle (anthère) d’une fleur à la partie femelle (stigmate) de la fleur suivante.
Sans cette pollinisation, les arbres ne pourraient pas produire les fruits nutritifs que les Africains consomment depuis des milliers d’années, ni les graines qui permettront à la prochaine génération de baobabs de pousser.
Je suis écologiste spécialiste des baobabs et j’étudie ces arbres depuis 18 ans. Dans ma dernière recherche, mon équipe a étudié 284 baobabs à travers l’Afrique occidentale (Ghana), orientale (Kenya) et australe (Afrique du Sud, Namibie, Botswana) afin de déterminer quels animaux pollinisaient leurs fleurs. Nous avons observé les chauves-souris et les papillons de nuit pendant 205 heures, filmé et capturé les chauves-souris afin de les identifier, et collecté le pollen présent sur leur corps. Nous avons également comparé la forme, le nectar et le parfum des fleurs dans les différentes régions.
L’étude indique aussi que leurs fleurs s’adaptent à ces pollinisateurs différents selon les régions.
Les baobabs sont tous génétiquement de la même espèce, mais leurs caractéristiques florales, leur forme, leur parfum et leur nectar ont évolué pour s’adapter aux différents pollinisateurs de chaque région.
Ces adaptations s’opèrent sur des milliers d’années. Cela signifie également que les arbres dépendent fortement de leur relation avec les chauves-souris ou les papillons de nuit. Si ces créatures disparaissent en raison du changement climatique, les arbres pourraient ne plus se reproduire. Cela mettrait en danger non seulement l’espèce des baobabs, mais aussi tout l’écosystème qui dépend d’eux.
Des recherches supplémentaires sont nécessaires sur les animaux qui pollinisent les fleurs de baobab et sur leur importance pour la survie future des baobabs.
Préserver l’arbre de vie de l’Afrique
Protéger les pollinisateurs ne se limite pas à préserver la biodiversité. Cela permet également d’assurer la pérennité de l’un des arbres les plus vitaux d’Afrique et des communautés qui vivent à son ombre.
En matière de restauration et de conservation, une leçon cruciale s’impose : les graines et jeunes plants doivent être choisis en fonction des pollinisateurs propres à chaque région. Les fleurs émettent un parfum et produisent des quantités de nectar adaptées à leurs pollinisateurs. Si les fleurs ne parviennent pas à attirer les visiteurs appropriés, elles ne peuvent pas produire de fruits ou de graines. Par exemple, un baobab adapté aux chauves-souris peut ne pas prospérer dans un endroit où seuls les papillons de nuit sont présents.
Voici ce que nous avons découvert :
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Afrique de l’Ouest : le principal visiteur des baobabs est la chauve-souris frugivore de couleur paille (Eidolon helvum), une grande espèce qui se nourrit en se suspendant la tête en bas aux branches. Les fleurs de baobab reflètent ici leur compagnon : les fleurs de cette région sont grandes, portées par de longs pédoncules et remplies de nectar. Les chauves-souris font pivoter les fleurs avec leurs pouces, et le pollen se dépose sur leur tête et leur poitrine. Ils transportent ce pollen vers d’autres fleurs, donnant ainsi naissance à une nouvelle génération d’arbres.
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Afrique de l’Est : ici, c’est la petite chauve-souris frugivore égyptienne (Rousettus aegyptiacus) qui domine. Ces chauves-souris se posent directement sur les fleurs, utilisant la tige comme tremplin. Les fleurs d’Afrique de l’Est ont donc évolué pour devenir plus petites et plus robustes, avec moins de nectar, mais suffisamment pour encourager des visites répétées tout au long de la nuit.
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Afrique australe : aucune chauve-souris ne visite les baobabs dans cette région. À la place, diverses espèces de papillons de nuit remplissent le rôle de pollinisateurs. Certains volent délicatement, d’autres se posent directement sur les fleurs. Les fleurs y sont plus petites, avec des pétales tombants et des stigmates plus larges. Ces adaptations subtiles poussent les papillons de nuit à entrer en contact direct avec les parties porteuses de pollen.
Les secrets des fleurs : forme nectar et parfum
Nous avons également analysé les fleurs et avons constaté toute une série de différences qui pourrait être reflet des modes d’alimentation des chauves-souris et des papillons de nuit :
Forme : dans les régions où vivent les chauves-souris, les pétales se replient vers l’arrière. Cela permet aux chauves-souris de se poser ou de se suspendre aux fleurs. Dans les régions où vivent les papillons de nuit, les pétales tombent, favorisant un contact étroit et un transfert efficace du pollen.
La longueur du pédoncule (la tige qui relie la fleur, puis le fruit, à la branche) : les fleurs des baobabs d’Afrique de l’Ouest ont de longues tiges qui conviennent aux grandes chauves-souris qui se nourrissent en se suspendant aux branches. En Afrique de l’Est, les tiges plus courtes réduisent les oscillations lorsque les petites chauves-souris se posent directement sur les fleurs.
Nectar : les grandes chauves-souris ont favorisé le développement de fleurs riches en nectar en Afrique de l’Ouest. Les fleurs d’Afrique de l’Est produisent moins de nectar pour les chauves-souris plus petites, et les fleurs de baobab d’Afrique australe ne fournissent que quelques gouttes de nectar, juste assez pour attirer les papillons de nuit.
Position du stigmate : en Afrique australe, certaines fleurs ont des stigmates courts et larges, la partie de l’organe reproducteur féminin qui reçoit le pollen avant qu’il ne soit transféré à l’ovaire enfoui sous la boule staminale. Cela contraste avec les stigmates entièrement saillants des fleurs de baobab d’Afrique occidentale et orientale qui sont visitées par les chauves-souris. Pour les papillons de nuit, cette position augmente les chances qu’ils effleurent les parties reproductrices de la fleur, les forçant ainsi à polliniser la fleur.
Parfum : les baobabs d’Afrique libèrent des composés inhabituels ressemblant au soufre qui attirent les chauves-souris, mais les fleurs d’Afrique australe émettent un parfum plus sucré, ce qui les rend attrayantes pour les papillons de nuit.
Notre avenir repose sur des ailes
Les oiseaux, les abeilles et les coléoptères ne pollinisent pas les fleurs de baobab, qui dépendent donc des papillons de nuit et des chauves-souris pour leur survie. Les baobabs peuvent s’adapter à une grande variété de conditions environnementales et climatiques. Mais les chauves-souris et les papillons de nuit peuvent être plus sensibles au changement climatique.
Nos recherches montrent que même les géants dépendent d’alliances fragiles, nouées ici avec les plus discrets visiteurs de la nuit. Protéger ces pollinisateurs signifie protéger les baobabs eux-mêmes, et avec eux, les communautés et les écosystèmes qui en dépendent.
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Sarah Venter reçoit un financement de la Fondation Baobab.
– ref. Comment les chauves-souris et les papillons de nuit préservent les baobabs d’Afrique – https://theconversation.com/comment-les-chauves-souris-et-les-papillons-de-nuit-preservent-les-baobabs-dafrique-269519
