Source: The Conversation – in French – By Mireille Lalancette, Professor, Département de lettres et communication sociale, Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR)
Qu’ont en commun, Lionel Carmant, Maïté Blanchette Vézina, Éric Lefebvre, Pierre Dufour, Pierre Fitzgibbon, Joëlle Boutig, Youri Chassin, Isabelle Poulet ? Ces huit politiciens, qui étaient tous députés pour la Coalition avenir Québec (CAQ), ont soit quitté le parti pour siéger comme indépendant, fait le saut au fédéral, ou se sont réorientés ailleurs qu’en politique. Certains, encore, ont été expulsés.
C’est notamment le cas d’Isabelle Poulet, dernière en date à quitter. Début novembre, le cabinet de François Legault a informé le public qu’Isabelle Poulet, la députée de Laporte, en Montérégie, était exclue du caucus de la CAQ. La députée aurait fait la « grave erreur » de courtiser le Parti libéral du Québec.
En flirtant avec le parti adverse, Poulet a transgressé une règle implicite : la solidarité.
Alors que les partis politiques sont au cœur du système démocratique, qu’ils coalisent les valeurs et offrent des idéologies claires permettant de regrouper les élus, qu’est-ce qui pousse les députés à quitter leur parti ? Cette question m’anime dans mes recherches en communication politique à l’UQTR. Mes collègues des Universités Acadia et de l’Alberta, spécialisés en sciences politiques, partagent cette même préoccupation.
Dans cet article, nous offrons un regard croisé sur la loyauté en politique et sur les raisons qui poussent les députés à quitter leur parti à l’aune de notre ouvrage récent No I in Team. Party Loyalty in Canadian Politics.
Dans No I in Team, nous analysons de manière détaillée la vie politique entre 1980 et 2023 tant au fédéral qu’au provincial. Plus de 350 entrevues avec des politiciens, chefs et stratèges, ainsi que l’analyse de nombreux documents d’archives et de textes médiatiques (plus de 3 300) nous ont permis de brosser un portrait riche et nuancé des raisons qui poussent les politiciens à être fidèles à leurs partis pendant qu’ils évoluent en politique, mais également des raisons qui les poussent à partir.
Le « je » et le « nous »
La prémisse clé reste que la politique est un jeu d’équipe… « there is no I in team », comme le dit le fameux dicton anglophone. En français, l’idée est celle qu’en équipe il faut oublier le « je » au profit du « nous ». Cela veut dire que dans une équipe politique, il faut parler d’une seule voix et respecter la discipline du parti.
En règle générale, les élus rejoignent des partis dont ils partagent les valeurs et qu’ils souhaitent représenter. Cela ne veut pas dire que la collaboration est exempte de défis, de désaccords et d’irritants. Malgré tout, les députés sont nombreux à rester des joueurs d’équipe, et cela pour diverses raisons.
Parmi celles-ci, on retrouve la volonté de conserver leur poste et de gagner en influence au sein de leur parti. De plus, les députés préfèrent évoluer au sein de partis puisque ces derniers jouent un rôle clé et positif dans le jeu démocratique, organisent les discours et les prises de position et stabilisent les gouvernements. Dans ce contexte, une démission demeure toujours un événement marquant.
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Conflits de loyauté
En effet, quand un élu décide de quitter son parti, il est rapidement critiqué par ses collègues et mis au ban de son parti. La démission fin octobre de Lionel Carmant, ministre responsable des Services sociaux, a certainement marqué les esprits. François Legault lui a en effet donné une longue accolade, ce qui est rare lors d’un départ.
Carmant a quitté à la suite de l’adoption de la loi sur la rémunération des médecins. Il était pris en étau entre loyauté envers sa famille, puisque sa fille et sa conjointe sont médecins, et loyauté envers sa profession, puisqu’il a lui-même travaillé à titre de neuropédiatre.
Transfuges et indépendants : mêmes combats ?
Des conflits de loyauté similaires arrivent parfois quand les gens évoluent en politique. Il n’est pas rare de voir des politiciens quitter leur parti pour en rejoindre un autre plus près de leurs valeurs et intérêts, pour obtenir une promotion, ou bien pour siéger comme indépendants.
Il y a des cas célèbres de transfuges. Pensons ici à Belinda Stronach, qui a quitté le Parti conservateur du Canada (PCC) en 2005 pour rejoindre le Parti libéral et y devenir ministre.
Les transfuges directs sont ceux qui sont les plus critiqués, autant par leurs collègues, les citoyens que les médias. Pourquoi ? Parce que le fait de passer d’un parti à l’autre – de traverser la chambre comme l’illustre l’expression consacrée – du jour au lendemain fait figure de trahison. Plus encore, cela nuit à l’image du politicien vertueux qui serait là par conviction et non à des fins électoralistes. Comment peut-on être conservateur un matin et se réveiller libéral le suivant, se questionnent citoyens et journalistes ?
C’est ce qu’on a pu se demander avec le passage récent de Chris d’Entremont, député de la Nouvelle-Écosse, du Parti conservateur du Canada au Parti libéral. Ce dernier justifie son choix en disant :
Après mûre réflexion et des discussions approfondies avec mes électeurs et ma famille, j’en suis arrivé à une conclusion claire : il existe une meilleure voie à suivre pour notre pays. Le premier ministre Mark Carney nous offre cette voie.
Interrogé en lien avec cette situation, le whip du gouvernement, Mark Gerretsen, a justifié ce transfuge :
La réalité, c’est que ce que nous constatons au sein du Parti conservateur, c’est que le mouvement progressiste est mort. Chris d’Entremont est un conservateur progressiste et il cherche un nouveau foyer. (notre traduction).
C’est fréquemment une incompatibilité du point de vue des valeurs qui motive la décision de quitter sa famille politique.
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Claquer la porte et ébranler les colonnes du temple
D’autres élus défraient les manchettes lorsqu’ils quittent leur parti pour siéger comme indépendant. Ne voulant plus faire partie de l’équipe, ils font parler d’eux lorsqu’ils exposent haut et fort leurs critiques envers leur ancien parti et son chef. Ce fut le cas pour Maïté Blanchette Vézina, qui après avoir perdu son poste de ministre des Ressources naturelles et des Forêts, a annoncé qu’elle quittait la CAQ.
Elle avait alors déclaré : « Je n’ai pas confiance en M. Legault. […] Un chef doit reconnaître le moment de préparer la relève. J’invite le premier ministre à réfléchir sérieusement. »
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La notion d’équipe est fréquemment au cœur des discours lors des départs, comme ce fut le cas pour Mme Blanchette Vézina et de plusieurs autres que nous avons analysés :
Pour aller au combat ensemble, il faut savoir clairement ce qu’on défend, y adhérer et, surtout, avoir confiance en son chef et sa garde rapprochée. Et malheureusement, ce n’est plus le cas pour moi. Depuis plusieurs mois, je m’interroge profondément sur la direction de notre formation politique, sur la capacité aussi du leadership actuel à donner un cap qui rassemble et inspire, a mentionné Mme Blanchette Vézina.
Nos résultats montrent que l’écoute du chef et la possibilité d’avoir une voix dans les dossiers sont deux variables primordiales qui expliquent les départs, mais aussi les raisons de rester.
Les conflits avec le chef prédisent souvent les départs. C’est pourquoi la plupart des chefs s’efforcent d’éviter les départs et de préserver un caucus discipliné. Les députés qui désertent soulèvent souvent des questions sur l’harmonie et la solidarité au sein du parti de la part du public et des médias. C’est d’ailleurs pourquoi de nombreux élus de la CAQ se sont faits rassurants à la suite du départ de Maïté Blanchette-Vézina, notamment en soulignant qu’ils étaient très unis.
La politique reste donc un jeu d’équipe. Dans ce contexte, les départs, choisis ou imposés, provoquent toujours des remous, et cela tant pour le parti, qui se retrouve sous les projecteurs, que pour le politicien lui-même, qui doit non seulement rendre des comptes à ses électeurs, mais aussi parfois évoluer sans l’appui qu’offre un parti politique, tant en termes de personnel, de ligne politique, que de financement.
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Mireille Lalancette a reçu des financements du CRSH pour mener cette recherche.
Alex Marland a reçu des financements de SSHRC.
Jared Wesley a reçu des financements du CRSH.
– ref. Partir ou bien rester ? Quand la loyauté politique est mise en péril – https://theconversation.com/partir-ou-bien-rester-quand-la-loyaute-politique-est-mise-en-peril-269030
