Source: The Conversation – France in French (3) – By Sébastien Bontemps-Gallo, Microbiologiste – Chargé de recherche, Centre national de la recherche scientifique (CNRS); Université de Lille

Pour échapper à notre système immunitaire, la bactérie responsable de la maladie de Lyme utilise une méthode de camouflage particulièrement efficace. Après avoir décrypté son fonctionnement, les scientifiques commencent à mettre au point des vaccins afin de s’attaquer à la bactérie avant qu’elle puisse recourir à ce stratagème.
Avec près de 500 000 personnes diagnostiquées chaque année aux États-Unis et entre 650 000 et 850 000 cas estimés en Europe, la maladie de Lyme, ou borréliose de Lyme, représente un problème de santé publique majeur dans tout l’hémisphère Nord.
Les symptômes de la maladie sont très variables : ils vont de lésions cutanées à des atteintes cardiovasculaires, articulaires ou neurologiques. Ces différences s’expliquent notamment par le fait que les bactéries impliquées peuvent différer en fonction de la zone géographique considérée. Mais malgré leurs différences, toutes les bactéries impliquées ont un point commun : leur capacité à se rendre invisible à l’oeil du système immunitaire de leur hôte.
Des symptômes variables
La maladie de Lyme résulte d’une infection bactérienne transmise par les tiques du genre Ixodes, de petits animaux hématophages qui se nourrissent du sang des animaux, et parfois du nôtre.
Le microbe responsable est une bactérie, Borrelia burgdorferi, ainsi nommée en l’honneur du Dr Willy Burgdorfer, qui l’a découverte en 1982 aux Rocky Mountain Laboratories (Montana, États-Unis).
Dix ans plus tard, le Pr Guy Baranton, à l’Institut Pasteur, a montré qu’en Europe, plusieurs bactéries proches de B. burgdorferi peuvent provoquer la maladie.
Ces espèces forment ce qu’on appelle le complexe Borrelia burgdorferi sensu lato (s.l.), littéralement les Borrelia burgdorferi « au sens large », par comparaison avec Borrelia burgdorferi sensu stricto, autrement dit Borrelia burgdorferi « au sens strict ».
Aux États-Unis, c’est surtout Borrelia burgdorferi sensu stricto qui cause la maladie, tandis qu’en Europe, Borrelia afzelii et Borrelia garinii dominent.
Ces différences expliquent la variabilité des formes que peut revêtir la maladie selon les régions. Ainsi, B. afzelii provoque plus souvent des manifestations cutanées, tandis que B. garinii est plutôt associée à des atteintes neurologiques.
Une bactérie pas comme les autres
Borrelia burgdorferi est une bactérie en forme de spirale, appelée spirochète, qui se déplace activement. Elle possède un petit patrimoine génétique, constitué d’ADN, dont la taille est environ trois fois moindre que celle du patrimoine génétique d’Escherichia coli, la bactérie bien connue dans les laboratoires de recherche.
Mais l’ADN de B. burdgorferi a une organisation unique. Les génomes bactériens sont habituellement constitués d’un seul chromosome circulaire. Mais au lieu d’un chromosome circulaire classique, B. burgdorferi possède un chromosome linéaire, comme les cellules humaines. Ce chromosome est accompagné de plus d’une dizaine de plasmides (petites molécules d’ADN) circulaires et linéaires.
Les gènes indispensables à la survie de la bactérie sont majoritairement retrouvés sur le chromosome linéaire, qui est bien conservé entre les différentes espèces du complexe B. burgdorferi s.l. (ce qui signifie qu’il diffère très peu d’une espèce à l’autre).
Les plasmides contiennent quant à eux des gènes qui permettent à la bactérie d’infecter, de se cacher du système immunitaire et de survivre dans la tique. Le nombre et le contenu de ces plasmides varient d’une espèce à l’autre, et ils peuvent se réorganiser comme des pièces de puzzle, offrant potentiellement à la bactérie de nouvelles capacités pour s’adapter.
S’adapter pour survivre : les secrets de B. burgdorferi
Pour survivre, B. burgdorferi doit être capable de prospérer dans des environnements opposés : celui de la tique et celui du mammifère. Lorsqu’une tique se nourrit sur un animal infecté, la bactérie colonise l’intestin de l’arachnide acarien (rappelons que les tiques ne sont pas des insectes !). Elle y reste en dormance entre deux repas sanguins. Dans cet organisme, elle doit supporter le froid (puisque les tiques – contrairement aux mammifères – ne régulent pas leur température corporelle), le manque de nourriture et un environnement acide.
Dès qu’une tique commence à se nourrir sur un animal à sang chaud tel qu’un mammifère, la chaleur du sang et les modifications chimiques associées à son absorption déclenchent un changement de programme moléculaire. Tout se passe comme si le sang jouait le rôle d’un interrupteur activant un « mode infection ». Ce mode permet aux bactéries B. burgdorferi de migrer vers les glandes salivaires de la tique, et donc d’être transmises à un nouvel hôte avec la salive.
Une fois dans le mammifère, les bactéries doivent encore contrer les défenses du système immunitaire. Heureusement pour elles, la salive de la tique contient des molécules protectrices vis-à-vis du système immunitaire de leur hôte commun. Certains de ces composés bloquent le système du complément, un groupe de protéines sanguines capables de détecter et de détruire les microbes.
C’est le cas des protéines de la salive de tique appelées Salp15. En se fixant à des protéines situées à la surface de la bactérie (nommées OspC), les protéines Salp15 se comportent comme un bouclier temporaire, qui protège la bactérie pendant qu’elle commence à se disséminer dans l’organisme.
Mais les bactéries B. burgdorferi ne s’arrêtent pas là. Elles changent continuellement d’apparence, pour mieux se fondre dans chacun des environnements où elles évoluent, tels des caméléons. Lorsqu’elles sont à l’intérieur de la tique, elles produisent des protéines appelées OspA, qui leur permettent d’adhérer à l’intestin du parasite. Mais juste avant la transmission, elles remplacent ces protéines OspA par des protéines OspC, qui leur permettent d’envahir les tissus de l’hôte.
Cependant, ces protéines OspC attirent rapidement l’attention du système immunitaire. Une fois la bactérie installée dans le mammifère, les protéines OspC sont donc à leur tour remplacées par d’autres protéines, appelées VlsE.
Le gène vlsE qui sert à les fabriquer a la particularité de subir des transformations (on parle de recombinaisons), ce qui permet aux bactéries B. burgdorferi de fabriquer différentes versions de la protéine VlsE, les rendant ainsi très difficiles à reconnaître par le système immunitaire de l’hôte.
Tout se passe en quelque sorte comme si les B. burgdorferi changeaient régulièrement de « vêtement », afin que le système immunitaire ne puisse pas les reconnaître. Ce jeu de cache-cache moléculaire, appelé « variation antigénique », les rend presque invisibles au système immunitaire, ce qui leur permet de continuer à se multiplier discrètement.
Depuis quelques années, les scientifiques tentent de contrer ce stratagème, en développant notamment des vaccins contre les bactéries B. burgdorferi.
Les pistes pour prévenir et contrôler la maladie de Lyme
En 2025, deux projets de vaccins ont ravivé l’espoir d’une victoire contre la maladie de Lyme. Ceux-ci ciblent la protéine OspA, présente à la surface de la bactérie lorsqu’elle se trouve dans la tique. À Paris, l’Institut Pasteur, en partenariat avec Sanofi, a présenté un candidat vaccin à ARN messager, basé sur la même technologie que celle utilisée contre la COVID-19.
De leur côté, les laboratoires pharmaceutiques Valneva et Pfizer développent un vaccin qui cible lui aussi OspA, mais via une autre approche, fondée sur l’emploi de protéines recombinantes. Ces protéines, produites en laboratoire, correspondent à plusieurs variantes d’OspA exprimées par différentes souches de Borrelia burgdorferi présentes en Amérique du Nord et en Europe. Lors de l’injection, elles sont associées à un adjuvant afin de renforcer la réponse immunitaire et d’induire une production plus efficace d’anticorps. Les premiers résultats de ce vaccin, baptisé VLA15, semblent encourageants.
Bien qu’ils soient différents dans leur conception, ces deux vaccins reposent sur une approche originale qui a déjà fait ses preuves. En effet, en 1998 aux États-Unis, la FDA (« Food and Drug Administration » – l’agence chargée de la surveillance des denrées alimentaires et des médicaments) avait autorisé la commercialisation du vaccin LYMErix, développé par l’entreprise pharmaceutique GSK, qui ciblait uniquement la protéine OspA produite par la souche américaine de Borrelia burgdorferi.
Commercialisé à partir de 1999, ce vaccin conférait une protection de 76 % contre la maladie aux États-Unis. Bien qu’imparfait, il s’avérait intéressant notamment pour les personnes les plus à risque de contracter la maladie. Il a cependant été retiré du marché en 2002 par GSK, en raison d’une polémique concernant la survenue de potentiels effets secondaires chez certaines personnes vaccinées.
L’analyse des données n’a pas permis de déceler de problème sur les cohortes étudiées, ce qui a amené la FDA à maintenir l’autorisation de mise sur le marché. Cependant, l’importante couverture médiatique a entraîné une chute des ventes, menant les responsables de GSK à décider de stopper la production et cesser la commercialisation.
Concrètement, les vaccins ciblant OspA permettent de bloquer la bactérie dans le corps de la tique, empêchant son passage à l’être humain. Lorsqu’une tique infectée pique une personne vaccinée, elle aspire du sang contenant les anticorps anti-OspA produits suite à la vaccination. Dans son intestin, ces anticorps se fixent sur la surface des bactéries Borrelia burgdorferi, les empêchant de migrer vers les glandes salivaires. Résultat : la bactérie n’atteint jamais le site de la piqûre, et l’infection est bloquée avant même de commencer.
Cette approche a été privilégiée, car cibler la bactérie directement dans le corps humain est beaucoup plus difficile. Comme on l’a vu, grâce aux recombinaisons du gène vlsE, qui s’active lorsque B. burgdorferi entre dans le corps d’un mammifère, la bactérie devient alors une experte dans l’art de se cacher.
Mais la lutte est loin d’être terminée : en continuant à décoder toujours plus précisément les stratégies de survie et d’évasion des bactéries Borrelia, les chercheurs espèrent ouvrir la voie à de nouveaux outils diagnostiques, de traitement et de prévention.
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Sébastien Bontemps-Gallo travaille au Centre d’Infection et d’Immunité de Lille (Institut Pasteur de Lille, Université de Lille, Inserm, CNRS, CHU Lille). Il a reçu des financements de l’Agence Nationale de la Recherche, de l’I-SITE Université Lille Nord-Europe, de l’Inserm Transfert et du CNRS à travers les programmes interdisciplinaires de la MITI.
– ref. Maladie de Lyme : comment la bactérie « Borrelia burgdorferi » nous infecte – https://theconversation.com/maladie-de-lyme-comment-la-bacterie-borrelia-burgdorferi-nous-infecte-267829
