Source: The Conversation – in French – By Sivime El Tayeb El Rafei, Étudiante candidate au doctorat en technologie éducative, Université Laval
Souvent associée aux jeux vidéo, la réalité virtuelle (RV) s’impose désormais comme un outil de soutien aux proches aidants, en leur offrant des formations immersives adaptées.
Imaginez : votre père atteint d’Alzheimer vous pose sans cesse la même question. L’impatience monte, la culpabilité aussi. Comment garder votre calme ? La réalité virtuelle offre une solution : en enfilant un casque, on s’entraîne dans une simulation immersive à répondre avec bienveillance, à trouver les mots justes et à gérer son stress, sans risque pour son proche.
On associe souvent la réalité virtuelle aux jeux vidéo ou aux simulateurs de vol. Pourtant, son histoire remonte bien avant l’ère numérique avec l’invention du stéréoscope par le physicien Charles Wheatstone en 1838. Des romans de science-fiction aux expériences cinématographiques comme le Sensorama du cinéaste Morton Heilig en 1957, en passant par le premier casque conçu en 1968, la RV s’est d’abord nourrie du monde artistique et littéraire avant de trouver sa place dans les laboratoires de recherche et les salles de formation.
Aujourd’hui, cette technologie immersive s’invite dans un domaine où on ne l’attendait pas forcément : la proche aidance.
À lire aussi :
Alzheimer : la réalité virtuelle, dernière bouée pour les proches aidants ?
Une formation pas comme les autres
Concevoir une formation immersive en RV, ce n’est pas transposer un cours classique dans un monde en 3D. C’est un travail exigeant, qui demande de penser chaque détail : le scénario, les interactions, le rythme, la charge cognitive. La conception pédagogique est aujourd’hui un pilier incontournable pour rendre une simulation crédible et utile.
Imaginez qu’on vous donne les clés d’un avion : vous ne voulez pas seulement qu’il ait fière allure, mais qu’il soit sécuritaire, ergonomique et capable de vous amener à destination.
De la même façon, une formation en RV doit être bâtie comme un simulateur d’expériences, où l’aidant apprend en faisant, en se trompant sans conséquence et en s’ajustant. C’est ce qu’on appelle apprendre « par essais et erreurs », mais dans un cadre où l’erreur ne coûte rien… sauf un peu de sueurs froides virtuelles.
Co-concevoir avec les aidants : un travail d’équipe
La conception pédagogique en RV ne peut pas reposer sur une seule expertise. Elle exige un travail de co-conception où chaque acteur joue un rôle : les pédagogues structurent l’expérience, les experts de santé valident les contenus cliniques, les techniciens développent les environnements 3D.
Mais il ne faut pas oublier les proches aidants eux-mêmes. Plus que de simples apprenants, ce sont des partenaires de soins dont l’expérience quotidienne permet de cibler les situations les plus pertinentes à simuler. En les impliquant, on s’assure que la RV réponde à leurs besoins réels et reflète leurs émotions. Comme on dit ici, « rien sur nous sans nous ».
Les modèles de conception pédagogique : encore en rodage
La recherche scientifique propose peu à peu des façons d’encadrer l’utilisation de la réalité virtuelle en formation. Par exemple, certains modèles suggèrent de découper les tâches en petites étapes et d’accompagner l’utilisateur pour éviter la surcharge d’informations.
L’idée est simple : trop de détails d’un coup, et on perd l’essentiel.
Ces repères rappellent surtout une chose importante pour les proches aidants : l’immersion doit rester au service de l’apprentissage. Autrement dit, la technologie ne doit pas éblouir au point de faire oublier l’objectif principal : mieux préparer les aidants à leurs défis quotidiens.
Des compétences à cultiver pour concevoir en RV
Concevoir une formation en RV, c’est :
-
Raconter une histoire (engageante qui capte l’attention et donne sens à l’expérience ;
-
Imaginer des interactions réalistes, mais sans surcharger l’aidant ;
-
Assurer l’inclusion et l’accessibilité, pour que chacun puisse participer, peu importe ses limites ;
-
Travailler en équipe, car ces projets réunissent souvent des experts de domaines variés (santé, éducation, technologie).
Et surtout, avoir des compétences humaines, car on ne forme pas des professionnels en blouse blanche, mais des personnes souvent épuisées, qui ont besoin de répit, d’écoute et de soutien.
À cela s’ajoutent deux défis d’actualité : le premier, protéger les données sensibles, car la RV peut capter des mouvements, des voix ou même des émotions. Le second : composer avec l’essor de l’IA générative qui peut aider à créer des scénarios ou des visuels, mais dont le rôle doit rester de soutenir le travail humain. Le concepteur garde un rôle essentiel : s’assurer que l’expérience reste adaptée aux besoins réels des proches aidants.
Une formation immersive réussie repose sur un mariage délicat entre trois ingrédients : des environnements 3D crédibles, des animations pertinentes et des interactions adaptées. Trop de stimuli peuvent créer une surcharge cognitive, rendant l’expérience inefficace, voire stressante. Ici encore, le rôle du concepteur pédagogique est d’orchestrer ces éléments de sorte qu’aucun instrument ne couvre les autres.
Ce que dit la recherche : des effets prometteurs
De nombreuses études montrent que la RV aide les aidants à mieux comprendre la maladie d’Alzheimer, à améliorer leur communication, et à se sentir plus confiants dans leur rôle.
Elle apporte aussi des atouts technologiques uniques : présence et immersion, incarnation qui consiste à se mettre dans la peau d’autrui, apprentissage par l’imagination et l’interaction, et performances supérieures à d’autres environnements d’apprentissage. Sans oublier sa capacité à être diffusée largement : une fois conçue, une formation immersive peut être réplicable et diffusée partout dans le monde, à condition d’avoir une connexion Internet décente.
Déjà des milliers d’abonnés à l’infolettre de La Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd’hui à notre infolettre pour mieux comprendre les grands enjeux contemporains.
Former sans professionnaliser
Il est important de le rappeler : l’objectif n’est pas de transformer les proches aidants en « mini-infirmières » ou en spécialistes de gériatrie. La RV doit rester un outil de soutien, pas une école de médecine déguisée. On veut leur donner des clés simples, concrètes, qui allègent leur quotidien et renforcent leur confiance.
Au-delà de la technologie, l’ambition est humaine. Créer des formations immersives, c’est imaginer des expériences qui parlent aux aidants, qui les soutiennent dans leurs moments de doute et qui améliorent leur bien-être. C’est aussi valoriser leur rôle central dans la société, en leur donnant accès à des outils innovants et de qualité.
La réalité virtuelle n’est pas une mode passagère : c’est une boîte à outils pédagogique qui, bien utilisée, peut transformer la formation en santé. Mais son efficacité repose sur un maillon trop souvent négligé : la conception pédagogique.
![]()
Je suis étudiante au doctorat en technologie éducative et je m’intéresse a la conception pédagogique, au potentiel de la réalité virtuelle et à la proche aidance.
Je fais du bénévole a la société Alzheimer du Québec, juste pour apporter du soutien aux proches aidants qui vivent une situation pareille a la mienne.
Donc, ce que je cite dans l’article s’appuie sur la recherche que je mène uniquement, sur la recension des écrits scientifiques et sur la littérature grise.
– ref. La réalité virtuelle s’impose comme un outil aux proches aidants, mais il faut les impliquer dans la conception – https://theconversation.com/la-realite-virtuelle-simpose-comme-un-outil-aux-proches-aidants-mais-il-faut-les-impliquer-dans-la-conception-264005
