Taxer les aliments ultra-transformés : solution ou fléau ?

Source: The Conversation – in French – By Nina Klioueva, Université de Montréal

Les aliments ultra-transformés dominent désormais l’alimentation des Canadiens. Leur présence massive en épicerie, leurs prix bas et leur commodité en font des choix faciles, surtout pour les ménages pressés ou à faible revenu. Mais leur surconsommation accroît les risques de maladies chroniques. Une question s’impose : taxer ces produits pourrait-il vraiment améliorer la santé publique sans pénaliser les plus vulnérables ?

Au Canada, 46 % de l’apport calorique total provient d’aliments ultra-transformés, une proportion qui grimpe à 50 % chez les adolescents. Autrement dit, près de la moitié de ce que nous mangeons quotidiennement provient de produits industriels modifiés et enrichis d’additifs, de sucres libres, de gras saturés et de sodium. Ces aliments, conçus pour être hyperappétissants et se conserver longtemps, sont directement liés à une hausse de l’obésité, du diabète de type 2, des maladies cardiovasculaires et de certains cancers. Devant ces constats, plusieurs pays ont choisi d’agir : certains ont adopté des politiques réglementaires strictes, alors que d’autres misent sur la sensibilisation et la responsabilité volontaire des entreprises alimentaires.

Le débat autour de la taxation de ces produits s’inscrit dans un enjeu plus large d’équité sociale. D’un côté, les taxes nutritionnelles visent à réduire la consommation de produits nocifs pour la santé. De l’autre, elles risquent de frapper plus durement les ménages à faible revenu, qui dépendent souvent de ces aliments bon marché. Trouver un équilibre entre efficacité et justice sociale devient donc essentiel.

Des exemples internationaux inspirants

Certains pays ont déjà franchi le pas et démontrent que des mesures ambitieuses peuvent avoir un réel impact. Le Chili, souvent cité en exemple, a mis en œuvre dès 2016 une politique complète et cohérente. Celle-ci impose des étiquettes d’avertissement noires sur les produits contenant trop de sucre, de sel, de gras saturés ou de calories. Elle interdit la publicité de malbouffe destinée aux enfants entre 6 h et 22 h, bannit les boissons sucrées et les chips dans les écoles, et prohibe l’utilisation de personnages de dessins animés sur les emballages ciblant les moins de 14 ans. Résultat : la consommation de boissons sucrées a chuté de 24 % entre 2015 et 2017. Au-delà des chiffres, cette réforme a contribué à une prise de conscience collective et à une meilleure compréhension du lien entre alimentation et santé.

Le Mexique offre un autre exemple marquant. En 2014, il a instauré une taxe sur les produits dépassant 275 kcal pour 100 g, ainsi que sur les boissons sucrées. Cette mesure a entraîné une réduction moyenne de 17 % des achats parmi les ménages à faible revenu. Ces résultats démontrent qu’une taxation bien ciblée peut modifier les comportements alimentaires à court terme. Toutefois, elle met aussi en lumière ses limites sociales. En effet, les produits ultra-transformés demeurent souvent les plus accessibles sur le plan économique et logistique. Pour plusieurs familles, ces aliments représentent une source de calories bon marché et faciles à préparer.

Ainsi, une taxation seule ne suffit pas : elle doit être accompagnée d’initiatives favorisant l’accès à des aliments sains et abordables. Sans cela, elle risque de creuser davantage les inégalités alimentaires. L’instauration d’une taxe peut réduire les choix alimentaires des ménages les plus modestes, sans garantir un accès équivalent à des alternatives saines et abordables, comme les fruits et légumes. C’est pourquoi l’Organisation mondiale de la Santé cherche aujourd’hui à mieux définir la catégorie des aliments ultra-transformés, afin d’harmoniser les politiques publiques et de guider les pays dans leurs stratégies de prévention.

Le Canada à la croisée des chemins

Face à ces expériences étrangères, le Canada amorce lentement un virage, mais le cadre réglementaire reste en retard. Le pays prévoit d’introduire, en janvier 2026, un étiquetage nutritionnel sur le devant des emballages, inspiré du modèle chilien. Cette mesure vise à aider les consommateurs à repérer d’un coup d’œil les produits riches en sucre, en sel ou en gras saturés. Elle constitue une étape importante vers une meilleure transparence alimentaire.

Cependant, la fiscalité alimentaire canadienne demeure inchangée depuis près de 35 ans. Le système actuel taxe ou exonère certains produits selon des critères désuets, comme la taille du format ou l’état prêt-à-consommer, plutôt que selon le degré de transformation ou la valeur nutritionnelle réelle. Résultat : certaines incohérences persistent. Par exemple, un grand format de boisson gazeuse peut être non taxé, alors qu’un repas sain et préparé à base d’ingrédients frais peut l’être. Ce paradoxe entretient la confusion chez les consommateurs et peut involontairement encourager la surconsommation de produits transformés à bas prix.


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Pour que la politique fiscale canadienne soutienne réellement la santé publique, une révision complète du système s’impose. Il serait souhaitable d’intégrer des critères nutritionnels clairs, alignés sur les recommandations de Santé Canada et sur les données scientifiques les plus récentes. De plus, une taxation efficace devrait s’accompagner de subventions ciblées favorisant l’achat de fruits, légumes, légumineuses et produits peu transformés.




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Vers une approche plus juste et équilibrée

La taxation des aliments ultra-transformés peut constituer un levier puissant pour améliorer la santé publique, mais son efficacité dépend du contexte dans lequel elle s’inscrit. Une politique isolée, centrée uniquement sur la taxe, risque d’être perçue comme punitive et injuste. En revanche, une stratégie intégrée, combinant taxation modérée, étiquetage clair, subventions pour les aliments sains et programmes d’éducation alimentaire, pourrait produire des effets durables et équitables.

Une telle approche permettrait de réduire la consommation de produits malsains tout en soutenant les populations les plus vulnérables. Elle éviterait de créer un paradoxe où une mesure de santé publique, conçue pour protéger la population, contribuerait en réalité à accentuer les inégalités sociales. Le défi du Canada est donc de repenser sa fiscalité alimentaire en s’appuyant sur les leçons des autres pays, tout en veillant à ne laisser personne derrière.

La Conversation Canada

Nina Klioueva a reçu des financements sous forme de bourse de maîtrise en recherche pour titulaires d’un diplôme professionnel – volet régulier du FRQ, ainsi qu’une Bourse d’études supérieures du Canada – maîtrise (BESC M) des IRSC.

Maude Perreault a reçu du financement du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

ref. Taxer les aliments ultra-transformés : solution ou fléau ? – https://theconversation.com/taxer-les-aliments-ultra-transformes-solution-ou-fleau-268051