Source: The Conversation – in French – By Annie Bérubé, Professeure au département de psychologie et de psychoéducation, Université du Québec en Outaouais (UQO)
En un quart de siècle, le Québec a profondément transformé sa façon d’éduquer ses enfants, et pour le mieux. La cinquième édition d’une enquête unique au monde confirme une tendance claire : moins de violence dans l’éducation des enfants.
Le Québec est riche de 25 ans de données documentant la violence à l’égard des enfants, recueillies par le biais de cinq éditions d’une enquête populationnelle. Rares sont les sociétés capables de documenter ainsi la maltraitance envers les enfants.
Cette enquête unique est le fruit d’une collaboration entre l’Institut de la statistique du Québec et de chercheuses universitaires. À leur tête, la chercheuse Marie-Ève Clément, de l’Université du Québec en Outaouais (UQO), est présente depuis les débuts de ce travail, qui fait du Québec un pionnier en la matière. Ont également contribué aux différentes éditions des enquêtes : Annie Bérubé de l’UQO, Marie-Hélène Gagné de l’Université Laval et Sylvie Lévesque de l’Université du Québec à Montréal.
Une diminution de la violence envers les enfants
Les résultats de l’enquête qui vient de paraître sont encourageants. Ils montrent une diminution marquée autant des attitudes parentales favorables envers la punition corporelle que des comportements de violence physique et psychologique envers les enfants. Aujourd’hui, moins d’une mère sur 20 croit encore qu’une tape est nécessaire pour éduquer son enfant, contre près d’une sur trois il y a 25 ans.
Ce changement d’attitude se reflète dans une réduction des comportements violents à l’égard des enfants dans les familles. Ainsi, en 25 ans, l’utilisation de la punition corporelle, comme donner la fessée, a diminué de 70 %. Ce sont aujourd’hui près de 14 % des enfants qui subiraient de tels comportements au moins une fois dans l’année, contre 48 % en 1999. Il y a 25 ans, environ 7 enfants sur 100 subissaient de la violence physique sévère chaque année. Aujourd’hui, ce chiffre se situe à 3 enfants sur 100.
Enfin, l’agression psychologique répétée, qui se manifeste par des comportements comme crier ou hurler après l’enfant ou le traiter de noms, a diminué de près de moitié et toucherait aujourd’hui 28 % des enfants du Québec au cours d’une année, contre 48 % en 1999.
Même si c’est constats sont encourageants, il reste que 62 % des enfants vivent au moins une forme de violence au cours d’une année, qu’elle soit psychologique ou physique. Bien qu’ils aient diminué, les taux annuels de violence physique sévère demeurent bien plus élevés que ce que laissent entrevoir les statistiques des services de protection de la jeunesse au Québec.
Les ados, premiers touchés par la négligence
Chaque année, près de 290 000 enfants au Québec vivent des situations de négligence. L’enquête distingue trois formes principales. D’abord, la négligence de supervision, qui touche 6 enfants sur 100 et expose ceux-ci à des risques pour leur sécurité. Les adolescents de 13 à 17 ans sont les plus touchés : presque 1 sur 7 manque de surveillance suffisante.
Plus de 6 % des enfants vivent une négligence cognitive et affective, lorsque les adultes du ménage ne participent pas suffisamment aux activités quotidiennes de l’enfant. La négligence physique, concernant l’accès à la nourriture, aux vêtements et aux soins médicaux, touche moins de 1 enfant sur 100 (0,4 %).
Un enfant sur cinq témoin de violence entre ses parents
L’enquête de 2024 a permis de documenter l’exposition des enfants à la violence entre leurs parents ou un partenaire intime au cours de l’année. Les résultats montrent que 20 % des enfants du Québec sont exposés à ce type de violence qui s’exprime principalement sous forme de violence psychologique entre les partenaires (19 %), mais aussi de violence physique (2,5 %).
La maltraitance, un cycle difficile à briser
L’enquête montre que certains enfants sont plus exposés à la maltraitance, quel que soit leur âge ou le type de violence. Ceux dont les parents signalent des difficultés de développement ou des problèmes de santé, physiques ou mentaux, sont particulièrement vulnérables.
Trois caractéristiques parentales se distinguent par leur lien avec toutes les formes de maltraitance. D’abord, les parents ayant eux-mêmes vécu de la maltraitance durant leur enfance sont plus susceptibles d’exercer de la violence physique ou psychologique, de négliger leur enfant ou de l’exposer à la violence conjugale.
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Ensuite, les enfants grandissant auprès de parents qui rapportent des symptômes dépressifs sont plus susceptibles que les autres d’être exposés à au moins une forme de maltraitance. Enfin, le stress parental est particulièrement lié à l’agression psychologique répétée, à la violence physique et à l’exposition à la violence entre partenaires intimes, alors qu’il est associé à la négligence pour les enfants de 6 à 17 ans.
Finalement, au niveau de l’environnement familial, un faible niveau de soutien social rapporté par le parent s’avère être un facteur relié à toutes les formes de maltraitance. Les enfants grandissant auprès de parents moins bien soutenus sont significativement plus à risque de vivre de la violence, d’y être exposés ou de grandir dans un contexte de négligence que les autres enfants.
En somme, plus de la moitié (52 %) des enfants de 6 mois à 17 ans vivent annuellement au moins un type de maltraitance au sein de leur foyer, que ce soit sous forme de violence physique, psychologique, de négligence ou d’exposition à la violence entre partenaires intime. Parmi eux, 18 % subissent deux formes ou plus de maltraitance. Cette combinaison de violences, généralement vue comme un signe de gravité, toucherait davantage les personnes adolescentes. Les enfants vivent souvent en même temps des violences à la maison et des disputes ou violences entre leurs parents.
Agir pour prévenir et soutenir
Les facteurs associés à la maltraitance identifiés par l’enquête soulignent l’importance d’un soutien efficace, à la fois dans les services publics et dans le réseau communautaire. Cela inclut, par exemple, les politiques et programmes publics comme le Régime québécois d’assurance parentale ou les Services intégrés en périnatalité et petite enfance, ainsi que les services communautaires, éducatifs et philanthropiques. Pensons aux organismes communautaires Famille (OCF), aux centres de la petite enfance (CPE), aux initiatives comme Naître et grandir, ou programmes de parentalité qui accompagnent et soutiennent les parents et les familles. Les investissements en prévention demeurent primordiaux, comme le rappelle un récent texte appuyé par plus de 175 personnes issues du milieu de la recherche.
En somme, les données de la récente enquête soulignent l’important travail accompli au cours des 25 dernières années pour mieux soutenir le développement des enfants. Il reste crucial de garantir à tous les enfants des foyers sûrs et bienveillants. Ces résultats militent en faveur d’interventions de proximité, précoces et préventives.
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Annie Bérubé a reçu des financements du CRSH et des financements passés du MSSS.
Clément, Marie-Eve a reçu des financements du CRSH, du FRQ et du MSSS.
Lévesque sylvie a reçu des financements du FRQSC, du CRSH, des IRSC et du Secrétariat à la condition féminine du Québec.
Marie-Hélène Gagné a reçu des financements du CRSH, des IRSC et des FRQ.
– ref. Moins de cris, moins de coups : le Québec a changé sa façon d’éduquer – https://theconversation.com/moins-de-cris-moins-de-coups-le-quebec-a-change-sa-facon-deduquer-267931
