Source: The Conversation – in French – By Pierre-Olivier Angrand, Professeur des Universités, Université de Lille
Pour évaluer la toxicité de pesticides, tels que l’acétamipride, rendu célèbre par la loi Duplomb, des chercheurs étudient leurs effets sur des invertébrés, à commencer par des insectes pollinisateurs comme l’abeille. Mais concernant leurs impacts sur la santé des humains et des autres vertébrés, qui restent mal pris en compte, le poisson-zèbre est un modèle animal pertinent qui permet, notamment, de développer des tests de toxicité plus éthiques.
Avant d’être censuré par le Conseil constitutionnel qui l’a jugé contraire à la Charte de l’environnement, l’article 2 de la loi dite « Duplomb » prévoyait des dérogations aux interdictions de l’utilisation en France des pesticides acétamipride, sulfoxaflor et flupyradifurone.
La possibilité d’utiliser ces molécules dans certaines filières agricoles a suscité un vif débat et une mobilisation citoyenne inédite en raison d’effets négatifs sur la biodiversité et d’un danger potentiel pour la santé humaine.
Toxicité de l’acétamipride, du sulfoxaflor et du flupyradifurone sur les insectes
Ces pesticides de la famille des néonicotinoïdes, ou apparentés par leur mode d’action, sont solubles, facilement absorbés par les plantes et neurotoxiques pour les arthropodes, les insectes et de nombreuses autres espèces. Ils agissent en ciblant certaines protéines au niveau du système nerveux de l’insecte (les récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine), provoquant sa paralysie, puis sa mort.
L’acétamipride est un composé organochloré préoccupant en raison de son accumulation dans les pollens et de son action sur les pollinisateurs. En effet, il est toxique pour les abeilles et altère leur comportement, leur métabolisme quand elles sont au stade larvaire et leur microbiote intestinal à des doses sublétales (qui n’entraînent pas la mort des abeilles, ndlr). Il présente également une toxicité accrue lorsqu’il est combiné à d’autres pesticides.
Par ailleurs, des effets sublétaux majeurs de l’acétamipride sont observés, à des doses inférieures à celles utilisées en champs, sur un organisme auxiliaire de l’agriculture, le parasitoïde oophage Trichogramma dendrolimi, essentiel à la lutte biologique contre les ravageurs agricoles. Au niveau des écosystèmes, l’acétamipride perturbe la structure trophique des sols en affectant notamment le comportement fouisseur et la reproduction des vers de terre. De plus, la solubilité de l’acétamipride lui permet de se retrouver dans les cours d’eau.
Si l’acétamipride n’est pas considéré comme fortement toxique pour les organismes aquatiques, il est toutefois responsable de lésions tissulaires chez les moules d’eau douce. Chez les souris ou les rats de laboratoire, une exposition à cette substance induit un stress oxydatif responsable de dommages à l’ADN et étroitement associé à une toxicité tissulaire, reproductive et développementale.
Le sulfoxaflor (classé parmi les sulfoximines) et le flupyradifurone (biocide de la classe des buténolides) ont été présentés comme des successeurs des néonicotinoïdes. Ces nouvelles molécules s’avèrent particulièrement efficaces pour lutter contre un large éventail de ravageurs, mais présentent des effets toxiques sur les insectes pollinisateurs et sur les auxiliaires de lutte contre les pucerons comme les coccinelles ou les vers de terre.
En revanche, l’éventuelle toxicité de ces molécules pour les vertébrés est peu connue, et l’essentiel des informations disponibles provient d’études effectuées chez le poisson-zèbre.
Le poisson-zèbre, un organisme modèle en écotoxicologie
Le poisson-zèbre (Danio rerio) est un petit téléostéen d’eau douce originaire d’Asie du Sud, notamment des rivières peu profondes à faible débit d’Inde, du Bangladesh, du Népal et du Pakistan. Il est utilisé dès les années 1970 comme modèle d’étude du développement. Le poisson-zèbre s’impose également comme un modèle de choix en écotoxicologie réglementaire en raison de ses caractéristiques biologiques favorables à l’étude des effets toxiques des contaminants environnementaux.
Son développement externe, rapide et sa transparence permettent une observation directe des altérations morphologiques, physiologiques et comportementales induites par des substances chimiques, dès les stades embryonnaires. Sur le plan neurotoxique, le poisson-zèbre possède comme l’humain, une barrière hématoencéphalique qui protège le système nerveux central en limitant la pénétration des substances chimiques étrangères. Comme l’humain également, le poisson-zèbre est doté d’un système enzymatique hépatique responsable de la métabolisation des pesticides, perturbateurs endocriniens et autres résidus pharmaceutiques.
Ce modèle vertébré aquatique est donc particulièrement pertinent pour les études toxicologiques et est aujourd’hui intégré dans plusieurs lignes directrices de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) (test de toxicité aiguë sur poissons juvéniles et adultes, OCDE TG 203 ; test de toxicité embryonnaire (Fish Embryo Toxicity, FET) OCDE TG 236). En particulier, le test de toxicité embryonnaire chez le poisson-zèbre permet d’évaluer la toxicité aiguë des substances chimiques dès les stades précoces du développement et est considéré comme une alternative éthique aux tests sur animaux adultes dans la mesure où les embryons de poisson-zèbre de moins de cinq jours ne sont pas considérés comme des animaux protégés, selon la législation (conformément à la Directive européenne 2010/63/UE).
Ce test qui utilise l’embryon de poisson-zèbre est utilisé dans le cadre des réglementations internationales : l’enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des substances chimiques acronyme anglophone, REACH dans l’Union européenne reconnu par les organismes, tels que l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) ou, en France, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).
Ainsi, l’analyse conjointe des altérations comportementales ou développementales chez les embryons et les larves de poisson-zèbre représente une approche intégrée, scientifiquement robuste et réglementaire pour évaluer le danger des contaminants environnementaux, en particulier ceux présentant un potentiel neurotoxique ou développemental, comme les pesticides de la famille des néonicotinoïdes, des sulfoximines ou des buténolides.
Quels effets de l’acétamipride, du sulfoxaflor et du flupyradifurone sur le poisson-zèbre ?
Chez l’embryon et la larve de poisson-zèbre, l’acétamipride induit des troubles locomoteurs dès les faibles concentrations (5 % de la dose létale ou comparables à celles trouvées dans l’environnement). À plus fortes doses sublétales, l’acétamipride réduit le rythme cardiaque et entraîne diverses anomalies morphologiques (colonne vertébrale courbée, œdème péricardique).
Bien que les concentrations environnementales soient très faibles, les effets synergiques avec d’autres polluants, comme le cadmium, un polluant métallique agricole issu des engrais minéraux phosphatés, aggravent la toxicité de l’acétamipride pour provoquer des effets développementaux aigus (inhibition de la croissance, malformations morphologiques, perturbations endocriniennes et immunitaires).
Enfin, l’exposition de poissons-zèbres juvéniles à des concentrations environnementales d’acétamipride pendant 154 jours (soit cinq mois, ndlr) montre une bioaccumulation du pesticide, une féminisation des adultes, des perturbations hormonales ainsi que des effets transgénérationnels sur la descendance, tels qu’une baisse de la fécondité, une réduction du taux d’éclosion et la survenue de malformations embryonnaires.
Concernant le sulfoxaflor, les données sont limitées mais préoccupantes. Chez l’embryon et la larve de poisson-zèbre, le sulfoxaflor provoque des retards d’éclosion et de croissance, des malformations caudales et des anomalies cardiaques. À l’échelle moléculaire, il module l’expression de gènes liés au stress oxydatif et à la signalisation neuronale. L’exposition au sulfoxaflor réduit également le nombre de cellules immunitaires et active les voies inflammatoires, indiquant un potentiel toxique systémique similaire à celui des néonicotinoïdes.
Quant au flupyradifurone, il s’agit d’un nouvel insecticide de type buténolide produit par Bayer et présenté comme « faiblement toxique ». Il diminue pourtant la survie, la croissance, développement et la fréquence cardiaque des embryons de poisson-zèbre. À ce jour, cette étude est la seule qui évalue l’effet du flupyradifurone sur un vertébré et elle indique que la présence de ce pesticide dans les produits agricoles et dans l’environnement pourrait être source de préoccupation.
Des données en faveur d’une réévaluation toxicologique de ces pesticides
Ainsi, ces pesticides, l’acétamipride, le sulfoxaflor et le flupyradifurone, interfèrent avec des processus fondamentaux du développement neurologique et endocrinien chez le poisson-zèbre, même à faibles doses et pour des expositions de courte durée. La conservation évolutive des voies neurochimiques et hormonales entre poissons et mammifères suggère un risque potentiel pour l’humain, notamment en cas d’exposition chronique ou prénatale.
La présence de ces composés dans les eaux de surface, dans les sols et même dans certains aliments invite à une réévaluation rigoureuse de leur profil toxicologique, en intégrant les effets cumulés, les fenêtres de vulnérabilité et les expositions multiples.
Le modèle du poisson-zèbre constitue à ce titre un précieux outil d’alerte précoce, à même d’anticiper des risques sanitaires encore mal caractérisés.
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Pierre-Olivier Angrand ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
– ref. Loi Duplomb : le poisson-zèbre est un outil d’alerte précoce – https://theconversation.com/loi-duplomb-le-poisson-zebre-est-un-outil-dalerte-precoce-265807
