Bad Bunny au Super Bowl : une polémique emblématique des États-Unis de Donald Trump

Source: The Conversation – France in French (3) – By Ediberto Román, Professor of Law, Florida International University

La présence de Bad Bunny à la mi-temps du Super Bowl 2026 suscite une levée de boucliers dans les rangs trumpistes. L’artiste, né à Porto Rico – territoire disposant d’un statut spécifique, dont les habitants sont citoyens des États-Unis mais ne peuvent pas voter à l’élection présidentielle et ne disposent pas de représentants au Congrès –, devient malgré lui le symbole d’un système qui célèbre la culture latino tout en la réprimant à ses marges. Au moment où les abus de la police de l’immigration (ICE) alimentent la peur parmi les Hispaniques, l’apparition du rappeur sur la scène la plus médiatisée du pays met en évidence les contradictions du rapport des États-Unis à cette large communauté.


La désignation du rappeur portoricain Bad Bunny par la National Football League (NFL) pour effectuer un court concert lors de la mi-temps du Super Bowl 2026, le 8 février prochain, a déclenché les foudres des médias conservateurs et de plusieurs membres de l’administration Trump.

Alors que le président a qualifié ce choix d’« absolument ridicule », la secrétaire à la sécurité intérieure, Kristi Noem, a promis que des agents de la police de l’immigration (ICE) « seraient présents partout au Super Bowl ». Le célèbre commentateur de droite Benny Johnson a déploré dans un tweet posté sur X que le répertoire du rappeur ne contienne « aucune chanson en anglais », tandis que la polémiste Tomi Lahren a déclaré que Bad Bunny n’était pas états-unien.

Bad Bunny, né Benito Antonio Martínez Ocasio, est une superstar et l’un des artistes les plus écoutés au monde. Et comme il est portoricain, il est également citoyen des États-Unis.

Il est certain que Bad Bunny coche de nombreuses cases qui irritent les conservateurs. Il a apporté son soutien à Kamala Harris pour la présidence en 2024. Il a critiqué les politiques anti-immigration de l’administration Trump. Il a refusé d’effectuer une tournée sur le continent américain, craignant que certains de ses fans ne soient pris pour cible et expulsés par l’ICE. Et ses paroles explicites – dont la plupart sont en espagnol – feraient frémir même les plus ardents défenseurs de la liberté d’expression. Sans même parler de sa garde-robe androgyne.

Et pourtant, en tant qu’experts des questions d’identité nationale et des politiques d’immigration des États-Unis, nous pensons que les attaques de Lahren et Johnson touchent au cœur même de la raison pour laquelle le rappeur a déclenché une telle tempête dans les rangs de la droite. Le spectacle d’un rappeur hispanophone se produisant lors de l’événement sportif le plus regardé à la télévision états-unienne constitue en soi une remise en cause directe des efforts déployés par l’administration Trump pour masquer la diversité du pays.

La colonie portoricaine

Bad Bunny est né en 1994 à Porto Rico, un « État libre associé » aux États-Unis, rattaché à ces derniers après la guerre hispano-américaine de 1898.

Cette terre est le foyer de 3,2 millions de citoyens états-uniens de naissance. Si le territoire était un État fédéré des États-Unis, il serait le 30e le plus peuplé par sa population, d’après le recensement de 2020.

Mais Porto Rico n’est pas un État ; c’est une colonie issue de l’époque révolue de l’expansion impériale américaine outre-mer. Les Portoricains n’ont pas de représentants votant au Congrès et ne peuvent pas participer à l’élection du président des États-Unis. Ils sont également divisés sur l’avenir de l’île. Une grande majorité souhaite soit que Porto Rico devienne un État états-unien, ou obtienne un statut amélioré par rapport à l’actuel, tandis qu’une minorité plus réduite aspire à l’indépendance.

Mais une chose est claire pour tous les Portoricains : ils viennent d’un territoire non souverain, avec une culture latino-américaine clairement définie – l’une des plus anciennes des Amériques. Porto Rico appartient peut-être aux États-Unis ; et de nombreux Portoricains apprécient cette relation privilégiée, mais l’île elle-même ne ressemble en rien aux États-Unis, ni dans son apparence ni dans son atmosphère.

Les plus de 5,8 millions de Portoricains qui résident dans les 50 États compliquent encore davantage le tableau. Bien qu’ils soient légalement citoyens des États-Unis, les autres États-Uniens ne les considèrent souvent pas comme tels. En effet, un sondage réalisé en 2017 a révélé que seuls 54 % des États-Uniens savaient que les Portoricains étaient citoyens du même pays qu’eux.

Le paradoxe des citoyens étrangers

Les Portoricains vivent dans ce que nous appelons le « paradoxe des citoyens étrangers » : ils sont citoyens des États-Unis, mais seuls ceux qui résident sur le continent jouissent de tous les droits liés à la citoyenneté.

Un rapport récent du Congrès américain a conclu que la citoyenneté états-unienne des Portoricains « n’est pas une citoyenneté égale, permanente et irrévocable protégée par le 14e amendement […] et le Congrès conserve le droit de déterminer le statut du territoire. » Tout citoyen états-unien qui s’installe à Porto Rico ne jouit plus des mêmes droits que les citoyens états-uniens du continent.

La désignation de Bad Bunny pour le spectacle de la mi-temps du Super Bowl illustre bien ce paradoxe. Outre les critiques émanant de personnalités publiques, il y a eu de nombreux appels parmi les influenceurs pro-Trump à expulser le rappeur.

Ce n’est là qu’un exemple parmi d’autres qui rappelle aux Portoricains, ainsi qu’aux autres citoyens latino-américains, leur statut d’« autres ».

Les arrestations par l’ICE de personnes semblant être des immigrants – une tactique qui a récemment reçu l’aval de la Cour suprême – illustre bien leur statut d’étrangers.

La plupart des raids de l’ICE ont eu lieu dans des communautés majoritairement latino-américaines à Los Angeles, Chicago et New York. Cela a contraint de nombreuses communautés latino-américaines à annuler les célébrations du Mois du patrimoine hispanique.

Clip du titre « NUEVAYoL » issu du dernier album de Bad Bunny. Sorti en ligne le 4 juillet 2025, jour de la fête nationale des États-Unis, il enregistre plus de 43 millions de vues.

L’impact mondial de Bad Bunny

La vague de xénophobie contre Bad Bunny a poussé des responsables politiques comme le président de la Chambre des représentants Mike Johnson à réclamer son remplacement par une personnalité « plus appropriée » pour le Super Bowl, comme l’artiste de musique country Lee Greenwood, 83 ans, supporter de Donald Trump. À propos de Bad Bunny, Johnson a déclaré : « Il semble qu’il ne soit pas quelqu’un qui plaise à un large public. »

Mais les faits contredisent cette affirmation. L’artiste portoricain occupe la première place des classements musicaux mondiaux. Il compte plus de 80 millions d’auditeurs mensuels sur Spotify. Et il a vendu près de cinq fois plus d’albums que Greenwood.

Cet engouement mondial a impressionné la NFL, qui organise sept de ses rencontres à l’étranger cette saison et souhaite encore accroître ce nombre à l’avenir. De plus, les Latino-Américains représentent la base de fans qui connaît la plus forte croissance au sein de la ligue, et le Mexique est son plus grand marché international, avec 39,5 millions de fans selon les chiffres publiés.

La saga « Bad Bunny au Super Bowl » pourrait bien devenir un moment politique important. Les conservateurs, dans leurs efforts pour mettre en avant « l’altérité » de Bad Bunny – alors que les États-Unis sont l’un des premiers pays hispanophones au monde – ont peut-être involontairement sensibilisé les États-Uniens au fait que les Portoricains étaient leurs concitoyens.

Pour l’heure, les Portoricains et le reste de la communauté latino-américaine des États-Unis continuent de se demander quand ils seront acceptés comme des égaux sur le plan social.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Bad Bunny au Super Bowl : une polémique emblématique des États-Unis de Donald Trump – https://theconversation.com/bad-bunny-au-super-bowl-une-polemique-emblematique-des-etats-unis-de-donald-trump-267885