Logement : les partis municipaux prisonniers de la logique du marché

Source: The Conversation – in French – By Renaud Goyer, Professeur, politiques et programmes sociaux, École de travail social, Université du Québec à Montréal (UQAM)

À quelques semaines des élections municipales, prévues le 3 novembre prochain, la question du logement s’impose comme l’un des enjeux centraux de la campagne au Québec. Dans un contexte de crise d’abordabilité et de hausse des expulsions, les partis municipaux rivalisent de promesses pour accroître l’offre de logements, mais leurs propositions restent souvent prisonnières d’une même logique : miser sur le marché pour résoudre une crise qu’il a contribué à créer.


Cet article fait partie de notre série Nos villes d’hier à demain. Le tissu urbain connait de multiples mutations, avec chacune ses implications culturelles, économiques, sociales et – tout particulièrement en cette année électorale – politiques. Pour éclairer ces divers enjeux, La Conversation invite les chercheuses et chercheurs à aborder l’actualité de nos villes.


Un règlement inefficace

En 2005, bien avant même l’arrivée de Projet Montréal à la mairie, le conseil municipal (alors dirigé par Gérald Tremblay) adoptait une politique de construction de logements sociaux et abordables au sein des projets de développement privés, en misant sur la négociation avec les promoteurs immobiliers. À son arrivée, Projet Montréal a renforcé la politique en imposant l’inclusion de logements abordables, familiaux et/ou sociaux. Aujourd’hui, cette politique est jugée inefficace par l’ensemble des formations politiques, y compris celles qui en avaient été à l’origine.

En fait, tant la politique d’inclusion que le règlement pour une métropole mixte n’ont permis de construire des logements abordables, familiaux et/ou sociaux en nombre suffisant pour répondre aux besoins. Les promoteurs préfèrent, dans 97 % des cas, payer la maigre compensation prévue plutôt que de les bâtir : à peine 250 unités construites annuellement, alors que les mises en chantier représentaient au moins 20 fois plus d’unités.

Tous les partis formulent la même critique : la politique d’inclusion serait trop contraignante pour les promoteurs immobiliers, qui hésiteraient à lancer de nouveaux projets. Ce frein réglementaire aurait, selon eux, ralenti le développement. Or, les chiffres racontent une tout autre histoire : depuis l’adoption du règlement, Montréal a connu des années records de mises en chantier.

La prégnance de la politique de l’offre

En réalité, cette politique, tout comme les propositions électorales actuelles, repose sur une même idée : pour résoudre la crise du logement, il suffirait de construire davantage, peu importe le type de logements.

Dans cette optique, les partis reprennent la stratégie de la SCHL : faciliter la vie aux promoteurs en réduisant les barrières à la construction et la « paperasserie ». Projet Montréal, par exemple, a annoncé la désignation de zones « prêtes à bâtir » alors qu’Ensemble Montréal promet de construire 50 000 logements en cinq ans par l’accélération des procédures de permis.

Lorsqu’il est question de logements abordables ou sociaux, les intentions demeurent plus vagues. Tous souhaitent en accroître le nombre – sauf Action Montréal –, mais peu avancent des mesures concrètes. Les solutions proposées sont surtout financières : garanties municipales (Projet Montréal), fonds privé-public pour les OBNL pour élargir le spectre de l’offre (Futur Montréal), ou microcrédit pour protéger les locataires vulnérables (Ensemble Montréal). Ces approches révèlent une contradiction : on cherche à mobiliser les mécanismes du marché pour produire du logement… hors marché.

Cette logique n’est d’ailleurs pas nouvelle. Les anciennes politiques d’inclusion reposaient elles aussi sur la collaboration avec le secteur privé pour construire du logement social ou abordable. Or, ce modèle a contribué à marginaliser ce type d’unités dans le parc immobilier montréalais : la part des HLM, notamment, a reculé au cours des dix dernières années.




À lire aussi :
Élections municipales : les enjeux des villes changent, mais pas leurs pouvoirs


Une crise à travers le prisme de l’itinérance

Pour la plupart des partis politiques, la crise actuelle n’est pas d’abord une crise du logement, mais une crise de l’itinérance. Cette dernière est bien réelle, bien sûr, mais elle sert trop souvent à détourner le regard du problème plus large : l’accès au logement pour l’ensemble de la population. Peu de propositions visent à loger le plus grand nombre ou à renforcer le parc de logements sociaux et abordables.


Déjà des milliers d’abonnés à l’infolettre de La Conversation. Et vous ? Abonnez-vous gratuitement à notre infolettre pour mieux comprendre les grands enjeux contemporains.


Cette approche révèle un certain malaise politique. Les partis peinent à défendre le logement social sans recourir à la figure des personnes marginalisées ou non logées, présentées implicitement comme les « indésirables » de la ville qu’il faudrait soustraire à la vue. Les politiques de logement deviennent ainsi un outil de gestion de la visibilité de la pauvreté, plutôt qu’une réponse structurelle à la crise.

Ce glissement explique sans doute l’absence, dans la campagne actuelle, d’un débat sur la cohabitation urbaine, de la perspective des personnes non logées. Ce silence étonne, alors même que l’Office de consultation publique de Montréal a déposé un rapport sur la question cet été. Les commissaires y rappellent dans un premier temps que les enjeux de cohabitation découlent de la crise de logement et nourrissent la stigmatisation, l’exclusion et la criminalisation des personnes en situation d’itinérance. Dans un deuxième temps, ils interpellaient élus et candidats pour qu’ils exercent un leadership inclusif sur cette question.

La non-responsabilité comme modus operandi

Les élus municipaux ne prennent pas leurs responsabilités concernant la cohabitation, le logement et l’itinérance ; ils donnent l’impression que ce n’est pas de leur ressort et que la responsabilité revient plutôt à Québec ou à Ottawa.

Pourtant, tant en matière de logement que d’itinérance, le palier municipal peut agir. D’ailleurs, le parti Transition Montréal rappelle que la Ville a maintenant de nouveaux pouvoirs de taxation pour financer des initiatives en matière de logement – même si le parti reste vague sur la manière dont il entendrait les utiliser.

À l’instar de Vancouver en Colombie-Britannique, ou même de Montréal dans les années 1980, la Ville pourrait devenir maître d’œuvre de projets en matière de logement à travers une organisation qui existe déjà : la Société d’habitation de Montréal. Créée par la Ville, cette dernière possède 5000 logements hors marché et pourrait être mobilisée, avec un financement indexé, pour démarchandiser des logements existants ou construire de nouvelles unités.

Une telle démarche permettrait de diversifier les modes d’intervention, qui ont surtout reposé sur le privé et le marché au cours des 20 dernières années, et de confier au secteur communautaire la tâche de gérer la crise et d’y remédier. Au pire, elle permettrait d’ouvrir le débat sur le pouvoir des villes en matière de logement.

À quelques semaines du scrutin, le choix qui se profile est moins celui de la couleur politique que de la vision du rôle de la ville : simple facilitatrice du marché ou véritable maître d’œuvre du logement ?

La Conversation Canada

Renaud Goyer a reçu des financements Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

Louis Gaudreau est chercheur-associé à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS). Il reçoit présentement du financement du CRSH.

Léanne Tardif ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Logement : les partis municipaux prisonniers de la logique du marché – https://theconversation.com/logement-les-partis-municipaux-prisonniers-de-la-logique-du-marche-268069