Quand la Constitution québécoise ignore les peuples autochtones

Source: The Conversation – in French – By Karine Millaire, Professeure adjointe en droit constitutionnel et autochtone, Université de Montréal

La Coalition avenir Québec (CAQ) projette non seulement d’imposer une Constitution du Québec aux Premières Nations et Inuit, mais en plus le projet de loi s’inscrit en contradiction avec les droits des Autochtones garantis par la Constitution canadienne. Adopter une telle approche en 2025 ignore des droits constitutionnels bien reconnus, reproduit la vieille approche coloniale et constitue une grave erreur juridique comme historique.

Il y a plus de 40 ans, on enchâssait dans la Constitution canadienne l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Cette disposition garantit les droits des peuples autochtones issus de traités et leurs droits ancestraux. Le projet de Constitution de la CAQ en fait complètement fi. Aucune disposition du projet de loi déposé ne traite des droits constitutionnels autochtones. Plus encore, les quelques mentions des Premières Nations et Inuit au préambule du projet de loi 1, Loi constitutionnelle de 2025 sur le Québec, sont de nature à minimiser des droits pourtant clairement reconnus.

On y mentionne en effet les Autochtones pour affirmer qu’ils « existe[nt] au sein du Québec ». On ne reconnaît pas qu’il s’agit de « peuples », contrairement à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones de 2007, mais plutôt de simples « descendants des premiers habitants du pays ». On désigne même nos nations sous des appellations coloniales francisées, rappelant le processus d’effacement des noms de nos ancêtres.

Le projet de loi affirme l’« intégrité territoriale » ainsi que la « souveraineté » culturelle et parlementaire du Québec. Les Autochtones ne pourraient selon ce projet de Constitution que « maintenir et développer leur langue et leur culture d’origine ». Autrement dit, les droits territoriaux et de gouvernance garantis en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 sont complètement ignorés, voire niés.

L’imposition coloniale des « droits collectifs » de la « nation québécoise » sur les droits collectifs et fondamentaux des peuples autochtones est également affirmée par des dispositions d’interprétation spécifiques. Alors que les droits des Premières Nations et Inuits sont réduits, on précise que ceux de la nation québécoise « s’interprètent de manière extensive ».

De plus, on propose la création d’un Conseil constitutionnel ayant pour mandat d’interpréter la Constitution du Québec. Or, les facteurs explicitement précisés dont devrait tenir compte ce Conseil ne portent que sur les droits et « caractéristiques fondamentales du Québec », son « patrimoine commun », son « intégrité territoriale », ses « revendications historiques », son « autonomie » et son « économie ». Pas une seule mention ici de l’existence des peuples autochtones ou de leurs droits.

Les Wendat, Kanien’keháka (Mohawk), Attikamekw, Anishinaabe, Cris (Eeyou Istchee), Abénakis, Mi’kmaq, Innus, Naskapis, Wolastoqiyik et Inuit n’existent pas sur un territoire « appartenant » au Québec. C’est le Québec qui existe sur les territoires dont ces nations sont les gardiennes et pour lesquels nous avons une responsabilité commune. Nos droits ne sauraient être effacés à nouveau en 2025 par ce projet de Constitution du Québec.

La Cour suprême et les tribunaux du Québec comme d’ailleurs au pays reconnaissent de façon constante que les peuples autochtones ont une souveraineté préexistante à celle imposée historiquement par la Couronne, c’est-à-dire une souveraineté qui existait bien avant les débats sur l’autonomie du Québec au Canada. Cette souveraineté existe toujours et doit être réconciliée avec celle de l’État dans un esprit de « justice réconciliatrice ».

Il en découle des droits concrets en matière de consultation, de consentement, d’autonomie gouvernementale. Aucune dérogation à ces droits n’est possible, contrairement aux droits et libertés visés par la clause dérogatoire de l’article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Or, la CAQ souhaite mettre à l’abri de contestations constitutionnelles toute disposition législative qui « protège la nation québécoise ainsi que l’autonomie constitutionnelle et les caractéristiques fondamentales du Québec » en interdisant toute contestation judiciaire d’un organisme qui utiliserait pour ce faire des fonds publics du Québec. Fort nombreuses sont les organisations qui reçoivent des fonds publics, incluant celles ayant justement la mission publique de protéger la société contre les actions illégales ou délétères de l’État. Il s’agit d’un des fondements de l’État de droit.

Du point de vue autochtone, cette interdiction rappelle l’époque coloniale où il était interdit aux Premières Nations de contester les actions illégales de l’État qui avaient pour but de les déposséder de leurs terres, de nier leurs droits et de les assimiler. Cette mesure a participé au génocide des peuples autochtones au Canada.




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Un projet de loi qui s’ajoute à d’autres violations de droits par Québec

Ce projet de Constitution du Québec s’ajoute à plusieurs autres atteintes claires aux droits autochtones. Pensons à la contestation de Québec de la loi fédérale reconnaissant le droit inhérent des peuples autochtones de mettre en place leurs propres politiques familiales et de protection de la jeunesse. La Cour suprême lui a donné tort et a confirmé la constitutionnalité de la loi fédérale.

La CAQ a aussi refusé d’exclure les étudiants autochtones des règles de renforcement de la Charte de la langue française (projet de loi 96), alors que les langues autochtones ne menacent pas le français. Cette décision accroît les obstacles aux études supérieures et limite les droits de gouvernance en éducation des peuples autochtones. La contestation de la constitutionnalité de la loi québécoise est en cours.

Enfin, pensons au récent projet de loi 97 visant à réformer le régime forestier, lequel avait été sévèrement critiqué. Celui-ci proposait un retour en arrière et rappelait l’approche préconisée au début de la colonisation du territoire, alors que l’industrie jouait un rôle accru en matière de gouvernance du territoire. Le projet de loi a finalement été abandonné fin septembre, mais il aura fallu que les peuples autochtones se battent à nouveau pour faire respecter leurs droits.

Moderniser la Constitution du Québec pour respecter les droits des Autochtones

Le contexte n’est plus le même qu’à la fondation du pays en 1867 ou lors des discussions des années 1980 ayant précédé le rapatriement de la Constitution. En 2025, il ne serait ni légal, ni légitime, d’adopter une Constitution du Québec ignorant les droits des Autochtones.

Une Constitution québécoise doit minimalement reconnaître les mêmes droits ancestraux et issus de traités que ceux protégés par la Constitution canadienne et les décisions des tribunaux en la matière. Cela inclut des droits de gouvernance notamment quant au territoire.

De plus, la Charte des droits et libertés de la personne est silencieuse sur les droits autochtones. L’article 10 garantissant le droit à l’égalité devrait être modifié pour indiquer que l’identité et le statut autochtone sont des motifs de discrimination spécifiquement prohibés au Québec. Cette Charte devrait également reconnaître expressément le droit à la sécurité culturelle afin que toute personne autochtone ait accès aux services publics de façon équitable. Ces changements permettraient qu’un mandat conséquent soit donné à la Commission des droits de la personne pour agir afin d’enrayer cette discrimination.


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Le Québec doit également mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Le Canada fait partie de nombreux pays qui se sont engagés à le faire et nos tribunaux ont commencé à s’y référer. La Déclaration exige de construire avec les peuples autochtones les politiques qui touchent à leurs droits, de respecter leur consentement et leur autonomie ainsi que le droit d’avoir accès aux services publics sans discrimination, à l’instar du Principe de Joyce.

Le projet de Constitution de la CAQ ne correspond en rien à ce qu’un véritable processus constituant doit faire. Ni les Québécois ni les peuples autochtones ne participent à cette démarche. Une Constitution devrait être pensée pour au moins les sept prochaines générations, comme nous l’enseignent les Aînés, et non en vue de la prochaine élection.

La Conversation Canada

Karine Millaire est Présidente bénévole de Projets Autochtones du Québec, une organisation assurant des services d’hébergement et d’autonomisation aux personnes autochtones en situation de précarité à Tiohtià:ke (Montréal). À titre de professeure universitaire, elle reçoit du financement du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

ref. Quand la Constitution québécoise ignore les peuples autochtones – https://theconversation.com/quand-la-constitution-quebecoise-ignore-les-peuples-autochtones-268329