L’IA transforme le conseil plus qu’elle ne le remplace

Source: The Conversation – in French – By Laurent Flores, Maître de Conférences, HDR, Sciences de Gestion, Université Paris-Panthéon-Assas

Le cabinet McKinsey a déployé 12 000 agents IA au service de ses 40 000 collaborateurs, après avoir licencié 5 000 salariés. SuPatMaN/Shutterstock

Le conseil mue : moins d’exécution, plus de décision et de conduite du changement. Preuve à l’appui, cabinets et compétences s’ajustent vite.


Il y a quelques mois à peine, nous évoquions trois phases dans l’adoption de l’IA : productivité, point d’inflexion, puis substitution.

Les grands cabinets de conseil viennent tout juste de franchir ce seuil critique.

McKinsey a déployé 12 000 agents IA pour assister ses 40 000 collaborateurs. Dans le même temps, l’entreprise est passée de 45 000 à 40 000 employés. Accenture a licencié 12 000 personnes en trois mois, celles jugées « incapables de se reconvertir » à l’IA selon sa direction. Le Boston Consulting Group affirme que 20 % de ses revenus proviennent désormais de l’IA, avec un objectif de 40 % d’ici 2026.

Le métier du conseil n’est pas mort. Il se réinvente, vite.

L’automatisation dévore les tâches analytiques

Aujourd’hui, l’intelligence artificielle remplace ce que faisaient les consultants juniors : synthétiser des données, produire des slides, rechercher des informations.

Plus de 75 % des employés de McKinsey utilisent Lilli, la plateforme IA interne. L’outil traite plus de 500 000 requêtes par mois et permet d’économiser environ 30 % du temps consacré à la recherche et à la synthèse.

Cette évolution suit exactement le modèle anticipé.

Les trois phases d’adoption de l’IA dans le conseil.
Laurent Flores, CC BY

Une étude de Stanford (2023) menée auprès de 5 000 agents de support clients montre que l’IA augmente la productivité de 14 % en moyenne. L’effet est massif chez les débutants (+35 %) et plus modeste pour les personnes les plus expérimentées. L’IA gomme une partie de l’inexpérience du junior.

Les chiffres ne mentent pas. Accenture a formé 550 000 employés à l’IA générative. Le nombre de ses spécialistes data et IA est passé de 40 000 à 77 000 en deux ans.

La valeur migre vers la décision humaine

Pourtant, le conseil ne disparaît pas. Il se redéfinit.

« Do we need armies of business analysts creating PowerPoints ? No, the technology could do that » (« Avons-nous besoin d’armées d’analystes d’affaires qui créent des présentations PowerPoint ? Non, la technologie peut le faire »), déclare Kate Smaje, responsable mondiale de la technologie chez McKinsey.

L’IA synthétise et analyse. L’humain analyse et décide. Cette redistribution de la valeur se lit aussi dans les comptes.

Boston Consulting Group (BCG) a réalisé 2,7 milliards de dollars de chiffre d’affaires lié à l’IA en 2024, sur un total de 13,5 milliards. Dans la foulée, le cabinet a créé BCG X, une division de plus de 3 000 spécialistes vouée à l’intégration de l’IA.

Part de l’IA au Boston Consulting Group (BCG).
Laurent Flores, CC BY

Ce que l’IA ne fait pas : c’est pondérer les options dans le contexte culturel d’une entreprise, anticiper les résistances humaines, adapter une recommandation aux dynamiques de pouvoir des organisations.

La machine digère les données. Le consultant orchestre la décision.

Se préparer maintenant ou rester sur le quai

La fenêtre pour s’adapter se referme de plus en plus vite.

Une nouvelle étude de Stanford (août 2025) confirme que les emplois juniors sont les plus touchés par l’IA, avec une baisse moyenne de 16 % depuis fin 2022. Les secteurs les plus impactés : le développement logiciel, les fonctions administratives et commerciales, et désormais le conseil.

Accenture l’assume pleinement.

« Nous nous séparons, dans un délai très court, de personnes dont nous pensons qu’elles ne pourront acquérir les compétences dont nous avons besoin », déclare Julie Sweet, la patronne du groupe.

Le message est certes brutal, mais limpide. La reconversion IA n’est plus une option, elle devient une réalité.

Cette trajectoire correspond au schéma du « point d’inflexion » que nous décrivions début 2025. D’abord, l’IA augmente la productivité. Puis elle atteint un seuil où elle remplace certaines tâches. Enfin, elle se substitue progressivement à l’humain sur un nombre croissant de fonctions.

Le conseil vient de franchir ce point d’inflexion. Les cabinets qui réussissent cette transition combinent formation massive et restructuration assumée. McKinsey forme plus de 70 % de ses effectifs à l’utilisation de Lilli. BCG a noué des partenariats stratégiques avec neuf géants de l’IA, dont Anthropic, Microsoft et OpenAI. Accenture a triplé ses revenus liés à l’IA en 2025.

La différence entre ceux qui montent dans le train et ceux qui restent sur le quai ? La capacité à déplacer la valeur de l’exécution vers la décision, de la production vers la synthèse, de l’analyse vers le jugement contextuel.

Un « modèle » pour tous les métiers intellectuels

La transformation du conseil préfigure celle de nombreux métiers intellectuels. Toutes les professions fondées sur la collecte, le traitement et la présentation d’informations structurées sont concernées : traduction, comptabilité, recherche juridique, études de marché, enseignement. La vague IA touche tous les « cols blancs ».

Une étude de l’Université de Stanford (juillet 2025) estime que l’IA pourrait accélérer près de la moitié des tâches dans les 100 métiers les plus courants. Les gains potentiels représenteraient 12 % du PIB. Mais ces gains dépendent fortement de la formation, des politiques d’accompagnement et de la vitesse d’adaptation.

Le conseil montre la voie. Les cabinets qui intègrent massivement l’IA tout en revalorisant l’expertise humaine prospèrent. McKinsey affiche 40 % de revenus liés à l’IA. BCG vise la même proportion d’ici 2026. Mais cette croissance s’accompagne de restructurations qui excluent celles et ceux qui ne suivent pas le rythme.

Le « conseil humain augmenté ».
Laurent Flores, CC BY

La leçon est double

L’IA ne remplace pas le conseil : elle le réinvente autour de sa véritable valeur, la capacité humaine à synthétiser, décider et accompagner le changement dans des contextes d’organisation de plus en plus complexes.

Mais cette réinvention exige une adaptation rapide. Celles et ceux qui maîtrisent l’IA pour « augmenter » leur jugement conservent leur avantage. Les autres deviennent « remplaçables ».

Le point d’inflexion est franchi. La question n’est plus de savoir si l’IA transformera votre métier, mais quand vous choisirez de vous transformer avec elle.

The Conversation

Laurent Flores ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. L’IA transforme le conseil plus qu’elle ne le remplace – https://theconversation.com/lia-transforme-le-conseil-plus-quelle-ne-le-remplace-267041