Source: The Conversation – in French – By Cloudius Ray Sagandira, Principal Researcher, Council for Scientific and Industrial Research
L’Afrique supporte une lourde charge en matière de santé. Elle représente 25 % du fardeau mondial des maladies alors qu’elle ne compte que 18 % de la population mondiale.
Cette situation reflète des problèmes profonds : l’accès aux soins, les infrastructures et les conditions socio-économiques sont très insuffisants.
Pourtant, le continent ne produit que 3 % des médicaments mondiaux. Il en importe plus de 70 %. Cela rend les médicaments chers et leur approvisionnement peu fiable, car dépendant des chaînes d’approvisionnement internationales.
La pandémie de COVID-19 a clairement mis en évidence cette vulnérabilité. Les principaux pays exportateurs de médicaments, tels que la Chine et l’Inde, ont imposé des restrictions à l’exportation pour privilégier leurs besoins nationaux. Les fabricants africains se sont alors retrouvés dans l’impossibilité de s’approvisionner en composants et médicaments essentiels. Ce qui a entravé beaucoup d’activités pharmaceutiques locales. Les médicaments essentiels, notamment les antibiotiques, les antipaludiques et les traitements contre le cancer, sont devenus rares.
Le cœur du problème réside dans la dépendance à l’importation des composants pharmaceutiques actifs. Ils sont essentiels et donnent aux médicaments leur efficacité. Sans ces principes actifs, on ne peut pas produire des médicaments.
L’Afrique importe plus de 95 % de ses principes pharmaceutiques actifs, principalement d’Inde et de Chine. Leur importation rend la production locale coûteuse et vulnérable aux prix pratiqués à l’étranger. Cette dépendance a un impact considérable sur l’accès aux médicaments essentiels.
La capécitabine, un médicament utilisé pour traiter certains cancers, en est un exemple. En Afrique du Sud, par exemple, un traitement de six mois à la capécitabine coûte environ 2 200 dollars américains. Ce prix illustre la crise d’accessibilité financière des soins contre le cancer dans toute la région.
La fabrication locale de principes actifs permettrait de réduire les coûts en supprimant les frais d’importation et les retards de livraison. Elle stimulerait également les économies locales en créant des emplois et en encourageant l’innovation.
Je suis chimiste et spécialisé dans le développement de procédés flexibles, peu coûteux et adaptés au contexte africain pour la production de principes actifs pharmaceutiques. Dans une récente étude, mes coauteurs et moi-même avons mis en évidence les avantages et les obstacles liés à la fabrication locale de principes actifs pharmaceutiques sur le continent.
Nous proposons des moyens durables pour mettre en place des capacités de production locales, en utilisant des technologies de fabrication modernes. L’une d’entre elles est la fabrication en flux continu, une méthode de production dans laquelle les médicaments sont fabriqués en flux continu plutôt qu’en lots. Elle permet une production plus rapide, plus sûre et plus régulière, avec moins de déchets et de coûts. Cela pourrait rendre la production africaine plus compétitive et plus durable.
Mais aucune technologie n’est à elle seule la solution. Il faudra combiner les méthodes traditionnelles et modernes, adaptées aux besoins locaux, pour bâtir une industrie pharmaceutique solide.
Certains pays ont déjà commencé à mettre en place ce type de systèmes de fabrication. Toutefois, leur déploiement à grande échelle se heurte encore à plusieurs obstacles. Il s’agit notamment du manque d’infrastructures pilotes, de financements et de main-d’œuvre qualifiée, ainsi que des coûts d’installation élevés.
Des progrès sont en cours
La bonne nouvelle, c’est que la dynamique s’accélère. Plusieurs entreprises africaines sont à la pointe de la production locale d’ingrédients pharmaceutiques. Parmi celles-ci, on peut citer :
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Emzor Pharmaceuticals et Fidson Healthcare au Nigeria
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Aspen Pharmacare et Chemical Process Technologies en Afrique du Sud
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Eva Pharma en Égypte
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Dei BioPharma en Ouganda.
Les gouvernements du Kenya, du Ghana, de l’Afrique du Sud et du Nigeria investissent également dans des partenariats public-privé pour soutenir cette transition.
Il faut des investissements considérables. Un rapport de la Banque africaine de développement estime que 11 milliards de dollars américains seront nécessaires d’ici 2030 pour financer la croissance de l’industrie pharmaceutique locale en Afrique. Cela inclut la fabrication de principes pharmaceutiques actifs et de vaccins.
Nous avons noté un certain nombre de développements encourageants.
En 2023, Emzor Pharmaceuticals a obtenu 14 millions d’euros de la Banque européenne d’investissement pour créer une usine de fabrication au Nigeria. L’objectif est d’accélérer la production de traitements contre le paludisme.
Le gouvernement sud-africain a récemment soutenu la création de FuturePharma. Il s’agit d’une installation en libre accès au Conseil pour la recherche scientifique et industrielle (CSIR). Son objectif est d’aider les entreprises pharmaceutiques à travers l’Afrique en leur fournissant des services de recherche, de soutien au développement et de formation de la main-d’œuvre. Il s’agit également d’un investissement visant à réduire les risques liés à la fabrication moderne de principes actifs pharmaceutiques.
En outre, les instituts de recherche et les universités sont à la pointe de la recherche et du développement dans le domaine de la fabrication en flux continu. Leurs travaux se concentrent sur l’adaptation de la technologie afin de rendre la production plus rentable, durable et viable au niveau local.
L’objectif est de créer un continent où chaque pays peut produire ses propres médicaments à un prix abordable et réagir rapidement aux crises sanitaires. Il s’agit également de développer une industrie pharmaceutique florissante.
Grâce à des partenariats croissants, à de nouvelles technologies et à des investissements en hausse, cet avenir est à portée de main.
Mais il existe des obstacles. L’Afrique importe encore la plupart des matières premières nécessaires à la fabrication des composants. Cela rend la production locale coûteuse et vulnérable aux prix fixés à l’étranger.
Le manque de personnel qualifié, la difficulté d’accès au financement et la vétusté des infrastructures freinent également les progrès.
Relever les défis
Pour surmonter ces obstacles, il faut :
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investir dans la production locale de matières premières
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offrir des allégements fiscaux et des subventions
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améliorer l’approvisionnement en électricité
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développer les programmes de formation.
Le développement des compétences est encouragé par diverses initiatives. Citons par exemple le Programme de développement de la main-d’œuvre du Conseil pour la recherche scientifique et industrielle et la bourse African STARS (Science, Technology and Research Scholars). Pilotés par l’université de Stellenbosch et l’Institut Pasteur de Dakar, ils contribuent à former une main-d’œuvre pharmaceutique qualifiée à travers l’Afrique.
Ces initiatives proposent des formations techniques et en leadership sur mesure. Elles permettent aux jeunes scientifiques issus du monde universitaire et de l’industrie de promouvoir une production locale durable et réactive de médicaments et de vaccins.
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Cloudius Ray Sagandira bénéficie d’un financement de la Fondation nationale pour la recherche et du Conseil pour la recherche scientifique et industrielle.
– ref. L’Afrique peut réduire ses importations de médicaments en produisant localement les principes actifs – https://theconversation.com/lafrique-peut-reduire-ses-importations-de-medicaments-en-produisant-localement-les-principes-actifs-267458
