Pour les villes, finis les projets flamboyants, l’ère est à l’entretien, la consolidation et la résilience

Source: The Conversation – in French – By Juste Rajaonson, Professeur agrégé, Université du Québec à Montréal (UQAM)

Pénurie de main-d’œuvre, de logements, manque de mobilité interrégionale, banlieues galopantes, gestion déficiente des déchets, et nos infrastructures, qui ont cruellement besoin d’entretien… À l’approche des élections municipales, nous avons analysé au Département d’études urbaines et touristiques de l’Université du Québec à Montréal six indicateurs clés pour mieux cerner les défis socioéconomiques et environnementaux qui attendent les prochains élus et les prochaines élues.

Le bilan ? Les réalités locales sont contrastées, mais partout, il faudra en faire plus… et surtout mieux. Mieux entretenir, mieux anticiper, mieux collaborer. Et les solutions adaptées aux défis locaux exigeront non seulement de nouvelles approches, mais aussi de nouveaux alliés.




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Cet article fait partie de notre série Nos villes d’hier à demain. Le tissu urbain connait de multiples mutations, avec chacune ses implications culturelles, économiques, sociales et — tout particulièrement en cette année électorale — politiques. Pour éclairer ces divers enjeux, La Conversation invite les chercheuses et chercheurs à aborder l’actualité de nos villes.

1. Vitalité économique : entre résilience et dépendance régionale

Entre 2020 et 2024, le taux de chômage a diminué dans plusieurs régions : de 11,3 % à 7,8 % à Montréal, de 7,7 % à 4,5 % au Bas-Saint-Laurent, jusqu’à 2,8 % en Chaudière-Appalaches. Le revenu disponible par habitant, quant à lui, a progressé de 23 % à 25 % selon les régions.

Toutefois, l’indice de vitalité économique de l’Institut de la statistique du Québec confirme que la prospérité reste concentrée autour de Québec, Montréal et Ottawa-Gatineau, tandis que la Gaspésie, la Côte-Nord et le Bas-Saint-Laurent stagnent.




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La rareté de main-d’œuvre persiste, surtout en dehors des grands centres. En 2024, on compte 1,6 chômeur par poste vacant en région, contre 2,7 à Montréal. Faciliter la mobilité interrégionale devient donc crucial, particulièrement dans les secteurs agroalimentaire, manufacturier et minier. Seulement le tiers des 1107 municipalités ont mis en place des services de transport collectif, souvent sous-financés et insuffisants face à l’ampleur des besoins en zones rurales ou périurbaines.

2. Vieillissement : une nouvelle réalité qui façonne les territoires

Le vieillissement démographique accentue ces pressions. Dans plusieurs MRC du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie et de la Côte-Nord, l’âge médian dépasse 50 ans. Or, ces régions forment la base de notre économie : énergie, ressources, alimentation, tourisme. Le ratio de soutien démographique, nombre d’actifs pour chaque personne âgée de 65 ans et plus, y est tombé à 2,5, contre 3,5 dans la région métropolitaine de Montréal.

Ce déséquilibre crée des besoins accrus en soins et services de proximité et fragilise la relève. D’ici 2051, plus du tiers de la population sera âgée de plus de 65 ans dans plusieurs régions. Déjà, les trois-quarts des municipalités participent à la démarche Municipalité amie des aînés (MADA), mais il faut aller plus loin : attirer les jeunes familles, adapter les logements et surtout améliorer la mobilité entre les régions.

3. Abordabilité du logement : un frein à la vitalité

La crise du logement compromet ces stratégies de revitalisation et d’attractivité. En 2023, le taux d’inoccupation était sous la barre critique des 3 % dans l’ensemble des 43 centres urbains du Québec. Pire : les trois-quarts d’entre eux affichaient un taux de 1 % ou moins, notamment Trois-Rivières (0,4 %), Rimouski (0,8 %) et Prévost (0 %). Si les grands centres sont à saturation, les municipalités de plus petite taille peinent à loger des travailleurs qu’elles cherchent à attirer.




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Résultats ? Les distances domicile-travail s’allongent, le parc automobile augmente et les coûts explosent pour les ménages comme pour les municipalités. Entre 2022 et 2023, les loyers ont bondi de 7,4 %, atteignant 1 074 $ à Montréal, 1 198 $ à Gatineau et 1 002 $ à Québec. Le tiers des locataires y consacrent plus de 30 % de leur revenu. Dans ce contexte, planifier l’habitation ne peut plus être dissocié des politiques économiques, sous peine de freiner la revitalisation des territoires.

4. Infrastructures : l’ère de l’entretien et de l’adaptation

Sur le plan physique, les municipalités entrent dans un cycle d’entretien, de priorisation et d’adaptation. Selon le Plan québécois des infrastructures, 65 % des investissements d’ici 2035 serviront à maintenir les actifs existants. À Saguenay par exemple, plusieurs ponts arrivent en fin de vie. À Trois-Rivières, le tiers des conduites d’eau datent d’avant 1975.


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Les événements climatiques aggravent la situation : fortes pluies, vagues de chaleur, gel-dégel… Chaque inondation alourdit la facture. Il faudra près de 2 G$ de plus par an pour renforcer les infrastructures municipales à l’horizon 2055, soit plus de 500 $ par habitant par an dans plusieurs régions. C’est le temps d’entretenir, pas de promettre des projets flamboyants ou de geler les investissements.

5. Artificialisation du territoire : un choix coûteux

Le Québec perd environ 4 000 hectares de milieux naturels chaque année, surtout dans les couronnes périurbaines de la Montérégie, Lanaudière et les Laurentides. Depuis 2000, 60 % des nouvelles superficies bâties s’y concentrent. Cette expansion complexifie l’entretien des réseaux et accroît la vulnérabilité aux inondations dans les zones sensibles, tout en menaçant la biodiversité.




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Limiter l’artificialisation devient donc une mesure de saine gestion. Dans les villes en croissance, cela passe par une densification cohérente avec la capacité des réseaux, sans imperméabilisation excessive (un processus qui protège des structures contre l’eau et l’humidité, par exemple). Dans les milieux déjà denses, il faut au contraire désimperméabiliser et restaurer les milieux naturels. Ce virage est soutenu par les nouvelles orientations gouvernementales en aménagement du territoire.

6. Matières résiduelles : essoufflement de la transition

Depuis 2015, la quantité de matières éliminées au Québec a très légèrement diminué, mais reste extrêmement élevée : près de 4,6 millions de tonnes de matières résiduelles ont été éliminées en 2023 (par enfouissement ou incinération). Les écarts régionaux sont frappants pour les ordures ménagères : certains territoires affichent une performance d’élimination par habitant bien inférieure à la moyenne provinciale d’environ 330 kg/habitant (en 2023), tandis que d’autres la dépassent largement.




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Partout, les coûts grimpent. Mais récupérer coûte encore plus cher qu’éliminer, ce qui incite encore trop souvent à enfouir plutôt qu’à valoriser. Les citoyens se découragent face à un système souvent peu clair ou mal équipé, ce qui fait qu’une part importante des déchets éliminés est en réalité valorisable (le tiers de matières recyclables et le quart de matières organiques en 2023).

La gestion des matières résiduelles représente environ 3 à 5 % des dépenses municipales, une part variable selon les territoires et en hausse constante avec la complexification de la gestion. Il faut donc se projeter : et si l’enfouissement devenait sérieusement impossible dans 10 ans ? Planifier aujourd’hui, c’est éviter de subir demain.




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Le statu quo n’est plus une option

Et on n’a même pas encore abordé la culture, l’énergie, le tourisme, la souveraineté alimentaire ou la sécurité. Mais les indicateurs abordés ici suffisent déjà à démontrer que le statu quo n’est plus une option. Aucune municipalité n’est épargnée. Ce n’est plus une question de « si », mais de « quand » et « comment » investir. C’est précisément l’objet de nos travaux à la nouvelle Chaire AdapT-UMQ sur les infrastructures municipales résilientes : mieux outiller les villes pour faire face à ces défis.

Les décideurs qui entreront en poste devront donc changer de posture. Pas de promesses simples ni de projets flamboyants. Il faut prioriser des investissements essentiels, en combinant données financières et extrafinancières pour éclairer les décisions.

Cette posture exige aussi de mobiliser de nouveaux alliés : les grands employeurs devront contribuer à la mobilité et au logement ; le secteur philanthropique peut appuyer les projets structurants ; les programmes provinciaux et fédéraux doivent être conçus à partir des besoins locaux et non l’inverse.

Enfin, renforcer les capacités internes devient une priorité. Le manque de personnel ou d’expertise ne peut plus servir de prétexte. Si c’est là que ça bloque, c’est là qu’il faut investir. Il en va de notre capacité collective à répondre aux défis de demain.

La Conversation Canada

Juste Rajaonson a reçu du financement des Fonds de recherche du Québec via le partenariat entre l’Institut AdapT et l’Union des municipalités du Québec ainsi que du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada.

Gabriel Arès ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Pour les villes, finis les projets flamboyants, l’ère est à l’entretien, la consolidation et la résilience – https://theconversation.com/pour-les-villes-finis-les-projets-flamboyants-lere-est-a-lentretien-la-consolidation-et-la-resilience-267477