Source: The Conversation – in French – By Azouz Ali, Professeur en Entrepreneuriat, Université du Québec à Montréal (UQAM)
Ce devait être la vitrine de la modernisation de l’État. C’est devenu un avertissement pour tous ceux qui rêvent de transformation numérique express. En observant le naufrage du projet SAAQclic, les PME québécoises peuvent tirer trois leçons clés avant de se lancer dans leurs propres virages technologiques.
Lancée en 2023 par la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), la plate-forme SAAQclic promettait un accès simple et rapide aux démarches d’immatriculation et de permis des citoyens. Mais entre retards, bogues et frustration citoyenne, ce projet technologique (trop) ambitieux est devenu symbole de fiasco.
Alors que son coût pourrait atteindre 1,1 milliard de dollars, presque le double du budget initial, le gouvernement de François Legault a précipitamment mis en place en avril 2025 une commission d’enquête pour comprendre les causes de ce fiasco. Pour les petites et moyennes entreprises (PME), cet épisode rappelle qu’un projet technologique mal géré peut rapidement se transformer en gouffre financier et réputationnel.
Que ce soit pour des projets de refonte de leur site web, l’implantation d’un logiciel de gestion de la relation client (CRM) ou encore l’automatisation de la facturation à l’aide de l’intelligence artificielle, les PME font de plus en plus le choix d’adopter des solutions numériques avancées afin de s’adapter à un environnement mondialisé et concurrentiel.
Bien que les PME soient réputées pour leur agilité et leur capacité d’adaptation, elles ne sont pas à l’abri des mêmes risques que ceux observés dans le projet SAAQclic : sous-estimation de la complexité technique, dépendance excessive aux prestataires externes, communication tardive avec les employés ou les clients, dépassements budgétaires qui plombent la trésorerie. Ainsi, le fiasco SAAQclic rappelle que les projets numériques ne sont pas seulement une affaire de technologie, mais avant tout de gouvernance et d’organisation.
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Trois leçons simples pour les PME
1. Faire confiance, sans perdre le contrôle
Par définition, les PME sont des organisations où la proximité règne. Les liens hiérarchiques y sont plus souples, ce qui favorise naturellement la confiance entre l’entrepreneur et ses équipes internes et/ou externes. Cependant, cette confiance ne devrait pas remplacer un certain niveau de rigueur. Comme les PME ne disposent pas toujours des ressources nécessaires pour mener à bien un projet technologique, confier un mandat à un prestataire externe ne dispense jamais de le suivre de près. Autrement dit, la confiance et le contrôle vont de pair. L’un ne fonctionne pas sans l’autre.
Typiquement, cela implique la nomination d’un référent ou coordonnateur (employé en interne) qui suit le projet au quotidien et s’assure de définir des jalons clairs (maquette, tests utilisateurs, mise en production). L’idéal serait de prévoir aussi des pénalités ou clauses de sortie si les engagements ne sont pas tenus par le prestataire externe.
2. Découper pour mieux maîtriser : avancer par petits pas
L’une des erreurs majeures du projet SAAQclic tient à la décision d’un déploiement intégral et simultané de la plate-forme, une approche connue sous le nom de « big bang ».
Cette stratégie, risquée même pour une grande organisation, laisse peu de place à l’ajustement et amplifie les risques. Dans une PME, mieux vaut fragmenter l’implémentation afin de limiter les risques d’échecs du projet technologique.
Avant de généraliser le projet à toute l’entreprise, il est préférable de lancer d’abord un test sur un module ou une équipe pilote. Par exemple, lors d’un projet de mise en place d’un progiciel de gestion intégré – ou ERP (Enterprise Resource Planning), un système qui centralise les principales fonctions d’une entreprise –, il est plus prudent d’automatiser d’abord la facturation avant d’intégrer le module logistique.
Du point de vue opérationnel, il est aussi essentiel d’adopter des méthodes de gestion de projet flexibles, appelées « méthodes agiles » : avancer par petites étapes (sprints), livrer régulièrement des fonctionnalités, et tester souvent avec les utilisateurs finaux. Ces étapes permettent de détecter et corriger les erreurs rapidement, à moindre coût.
3. Anticiper pour mieux rebondir
L’une des critiques qui ont été faites lors de la commission d’enquête chargée de comprendre les causes du fiasco du projet SAAQclic a été la sous-estimation des risques liés au déroulement du projet : dépassements, retards, résistances internes.
Une PME peut difficilement absorber un tel manque de proactivité. D’un point de vue financier, il est essentiel de prévoir un budget tampon de 10 à 20 % pour absorber les imprévus. Au niveau organisationnel, il est nécessaire d’envisager un plan B si le prestataire externe principal fait défaut.
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Enfin, un plan de communication devrait être établi afin de rester transparent avec les employés et les clients sur les échéances et les problèmes rencontrés. Ainsi, anticiper le pire n’est pas faire preuve de pessimisme, mais plutôt un gage de résilience.
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La transformation numérique, un levier stratégique
La transformation numérique, qu’elle soit publique ou privée, n’est pas qu’une question de technologie. C’est avant tout un exercice de gouvernance, de discipline et de confiance bien placée. Bien menée, une transformation numérique est un formidable levier pour les PME : gain de temps, amélioration de la relation client, meilleure traçabilité et prise de décisions plus rapides. Mais mal préparée, elle peut aussi entraîner perte de crédibilité, stress organisationnel et perte financière lourde.
L’affaire SAAQclic rappelle que les projets numériques sont avant tout des projets humains et organisationnels. Alors qu’il restera sans doute dans les annales comme l’un des grands fiascos numériques publics du Québec, il offre aussi une leçon précieuse pour les PME. En effet, même les projets les mieux intentionnés peuvent échouer lorsque la gouvernance, la communication et la gestion des risques sont insuffisamment réfléchies. Bien que ces principes ne garantissent pas le succès absolu, elles réduisent considérablement le risque d’un fiasco coûteux.
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Azouz Ali ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
– ref. SAAQclic : voici comment les dirigeants de PME peuvent éviter de reproduire les mêmes erreurs – https://theconversation.com/saaqclic-voici-comment-les-dirigeants-de-pme-peuvent-eviter-de-reproduire-les-memes-erreurs-265835
