Source: The Conversation – in French – By Marie Duru-Bellat, Professeure des universités émérite en sociologie, Centre de recherche sur les inégalités sociales (CRIS), Sciences Po
Les études s’allongent, le niveau de diplôme progresse chez les jeunes. Mais cela se traduit-il vraiment par une hausse des compétences ? Et dans quelle mesure cet investissement apporte-t-il une plus-value sur le marché du travail ? Éclairages sur un débat qui invite à repenser les liens entre formation et emploi.
Dans un article intitulé « Le faux procès des études supérieures trop longues », et publié par The Conversation, l’économiste Guillaume Allègre revient sur les discours souvent idéologiques et les analyses, plus sérieuses, qui interrogent dans un sens critique le développement des études supérieures.
Ce développement est particulièrement marqué depuis le début du XXIe siècle (2,16 millions d’étudiants, dont 1,397 million à l’université, en 2000, contre 2,96 millions, dont 1,6 million à l’université, en 2023), accompagné, sur la longue période, de conséquences massives sur l’entrée dans la vie. En 1986, à l’âge de 21 ans, environ 20 % des jeunes étaient encore scolarisés, c’est le cas de près de la moitié d’entre eux, en 2021.
Pourtant, pour Guillaume Allègre, « en durée, les jeunes ne font pas plus d’études qu’avant », et l’accroissement du nombre de diplômés s’explique par la baisse des redoublements.
Des diplômes, mais quel « capital humain » ?
Les jeunes parviendraient donc à des niveaux de diplôme plus élevés du fait de carrières scolaires moins perturbées par des redoublements. La baisse du redoublement – en elle-même positive vu l’inefficacité, largement démontrée, de cette pratique – a été le fruit d’une politique volontariste. On a laissé passer plus facilement dans la classe supérieure, mais personne n’oserait dire que c’est parce que les élèves ou les étudiants étaient (tout simplement) meilleurs…
À l’école primaire, on observe une baisse du niveau des élèves, si l’on se réfère aux notes d’information de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’éducation nationale, de 2008 à 2020.
Dans l’enseignement supérieur, où il n’existe pas de mesures standardisées de ce que savent les étudiants, certains chercheurs, constatant que « les règles de validation des enseignements par les compensations de notes n’ont jamais autant favorisé l’obtention des diplômes », suggèrent plutôt « une tolérance nouvelle, bon gré mal gré, à la fragilité des aptitudes scolaires des étudiants ».
On peut donc craindre que ces jeunes qui ont moins redoublé et qui font des études plus longues n’aient pas, malgré un niveau formel d’instruction plus élevé, des acquis proportionnellement plus importants. Certes, plus de jeunes qui vont plus loin, moins de jeunes qui font du surplace en redoublant, c’est en moyenne une hausse de leurs acquis, mais à niveau de diplôme identique, ils en savent moins, ce qui traduit une baisse d’efficacité de l’école.
Il y a donc de la marge entre le diplôme et le « capital humain » qu’il est censé certifier, ce qui devrait interroger les économistes dans leur a priori favorable à l’élévation du niveau d’éducation.
On constate ainsi que si la France compte autant, voire plus, de diplômés du supérieur que la plupart des pays voisins, leur niveau de compétences en littératie – la capacité à maîtriser l’écrit – n’est pas toujours très supérieur à celui de personnes moins diplômées d’autres pays. Par exemple, le niveau des Néerlandais dotés d’un diplôme de second cycle du secondaire est très proche de celui des Français diplômés de l’enseignement supérieur, selon les évaluations de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Or,pour Guillaume Allègre, dès lors que le diplôme reste rentable, il est « individuellement utile ». Il l’est effectivement pour se placer : la rentabilité relative d’un diplôme, par rapport au diplôme immédiatement inférieur, est incontestable.
D’où vient alors ce leitmotiv des jeunes qui se plaignent de la situation qu’ils trouvent au sortir de leurs études, sur le mode de « Avec un master, t’as plus rien » ? Tout simplement du fait qu’ils considèrent également le rendement « absolu » du diplôme, le poste qu’il permet d’obtenir ; et là, le déclassement est réel et incontesté chez les économistes, par rapport à ce que le diplôme permettait d’obtenir dans un passé pas si lointain, à l’époque de leurs parents notamment.
Se former à entrer dans la vie…
Au-delà de cette quête de rendement économique, il faut se demander ce qu’ont appris ces étudiants, au-delà des savoirs académiques souvent pointus délivrés par les enseignants-chercheurs des universités (ceci est moins vrai des filières professionnalisées), en d’autres termes ce qu’on apprend à fréquenter longtemps et exclusivement l’enseignement supérieur.
Certaines enquêtes montrent que la quête d’un diplôme toujours plus élevé nourrit chez les étudiants des attitudes qui peuvent s’avérer dysfonctionnelles à l’heure de l’insertion. Lors de l’entrée sur le marché du travail, ils réalisent parfois que leur diplôme ne sera pas forcément apprécié dans un monde où la valorisation du savoir pour le savoir n’a pas cours.
Formés, dans les filières universitaires généralistes du moins, à des savoirs dont les applications concrètes sont rarement dégagées, ils découvrent que la vie professionnelle minimise de fait la valeur des connaissances théoriques au profit de ce qu’elles permettent de réaliser. Une véritable reconversion s’impose parfois pour désapprendre très vite ce qu’on a mis du temps à apprendre.
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Par contraste, quand ils ont combiné études et emploi, les étudiants estiment pour les trois quarts d’entre eux qu’un travail rémunéré occupé pendant leurs études apporte des compétences et des réseaux (même, à hauteur des deux tiers, quand il s’agit d’un travail non qualifié). D’après l’Observatoire de la vie étudiante, ils sont une minorité (18 %) à estimer que leur travail a un impact négatif sur leurs études, auquel s’ajoutent 30 % qui le jugent source de stress ; mais ils sont plus de 60 % à juger qu’il n’en est rien…
Au total, les enquêtes concluent que si le travail rémunéré ne favorise pas les résultats scolaires, il n’entraîne pas de handicap significatif en deçà d’un seuil hebdomadaire de quinze à vingt heures. Et, par ailleurs, il favoriserait plutôt l’insertion professionnelle.
Articuler formation et emploi
On peut donc se demander si la formation de jeunes adultes ne devrait pas s’efforcer de conjuguer le plus souvent possible études et expériences professionnelles. En France, le modèle de l’élève des classes préparatoires, entièrement absorbé par ses études, domine et, en arrière-plan, la conviction que ce que notre pays peut offrir de mieux à la jeunesse, c’est de rester le plus longtemps possible dans les enceintes scolaires.
La proposition de Guillaume Allègre développée dans un rapport de Terra Nova de 2010 s’inspire des dispositifs de type « allocation d’études » qui existent dans certains pays du Nord, pour favoriser l’autonomie des jeunes. Mais rappelons que ces pays sélectionnent à l’entrée du supérieur, et sont donc moins exposés que nous au risque de voir des étudiants s’engager dans des nasses sans débouchés.
Surtout, le cumul emploi-études est bien moins répandu dans notre pays que chez nombre de nos voisins – Danemark, Pays-Bas, Royaume-Uni ou Allemagne. On pourrait tout à fait imaginer des « emplois pour étudiants », adaptés à leur emploi du temps, comme il existe dans de nombreux campus américains. Les étudiants y gagneraient en diversité d’expériences – possiblement aussi formatrices que ce qu’on apprend en milieu universitaire – et en autonomie financière.
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Qu’en est-il pour le pays ? Sans verser dans la polémique sur le thème « les Français ne travaillent pas assez », il faut rappeler, sur la base notamment de la note 110 du Conseil d’Analyse économique, publiée en mars 2025, « Objectif “plein emploi” » que ce n’est pas la durée annuelle de travail des actifs qui distingue la France mais la faiblesse des taux d’emploi et des seniors et des jeunes.
Si la question du travail des « seniors » fait couler beaucoup d’encre, celle du travail des jeunes, en particulier des jeunes en cours d’études, s’avère des plus taboues : le « droit aux études » ne saurait se discuter… sachant qu’on parle en l’occurrence du droit aux études à temps plein.
Si l’on s’attache à la formation des jeunes adultes, favoriser la conjugaison études-emploi serait sans doute une piste intéressante, tout en étant également « rentable » en termes économiques, ce qui n’a pas de raison d’être négligé. Sans évidemment faire le « procès » des études supérieures, il est nécessaire de réfléchir à la formation que nous devons offrir à ces jeunes qui constituent à présent la majorité des générations montantes.
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Marie Duru-Bellat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
– ref. Le développement des études supérieures entre « faux procès » et vraies questions… – https://theconversation.com/le-developpement-des-etudes-superieures-entre-faux-proces-et-vraies-questions-267336
