Entre la Chine et les Etats-Unis, l’Afrique doit s’imposer comme l’arbitre des minéraux critiques

Source: The Conversation – in French – By James Boafo, Lecturer in Sustainability and Fellow of Indo Pacific Research Centre, Murdoch University

Les minéraux critiques tels que le lithium, le cobalt, le nickel, le cuivre, les terres rares et les métaux du groupe du platine sont essentiels aux technologies modernes, notamment à des secteurs comme l’électronique, les télécommunications, les énergies renouvelables, la défense et les systèmes aérospatiaux.

La demande mondiale pour ces minéraux ne cesse de croître, tout comme la concurrence pour s’en procurer.

L’approvisionnement et la production de ces minéraux sont largement concentrés dans les pays du Sud. La majeure partie du cobalt mondial est ainsi produite en République démocratique du Congo (RDC). Ce pays fournit près des trois quarts de la production mondiale de cobalt. L’Australie produit quant à elle près de la moitié du lithium mondial. Le Chili représente un autre quart de la production mondiale de lithium, suivi par la Chine avec 18 %.

La Chine, de son côté, domine la chaîne d’approvisionnement grâce à des investissements massifs dans les opérations minières, en particulier en Afrique. Elle est responsable du raffinage de 90 % des éléments de terres rares et du graphite, et de 60 à 70 % du lithium et du cobalt. Les États-Unis et l’Union européenne, partenaires commerciaux de longue date des pays africains, ont également adopté des politiques visant à garantir l’accès aux ressources africaines.

La question est de savoir ce que font les pays africains pour tirer parti de cette demande en minéraux essentiels, en particulier pour stimuler leur propre développement.

En tant que chercheurs spécialisés dans le développement, nous abordons cette question dans une publication consacrée à l’importance croissante des minéraux critiques en Afrique, éditée par le Indian Council of World Affairs. Dans une autre publication, nous examinons comment la nouvelle diplomatie des ressources risque de maintenir l’Afrique dans un rôle simple de fournisseur de matières premières de l’économie mondiale.

Nous recommandons aux pays africains de déterminer eux-mêmes comment tirer profit de cette concurrence mondiale. Cela passe notamment par l’élaboration de stratégies nationales qui mettent l’accent sur la valeur ajoutée et les avantages locaux. Ces stratégies nationales devraient commencer par mettre en position les pays africains de manière à ce qu’ils tirent profit de leurs ressources au-delà de la valeur ajoutée.

Cette compétition autour des minéraux essentiels de l’Afrique souligne ainsi l’urgence des réformes de gouvernance et de la coopération régionale afin de transformer la richesse minérale en prospérité durable, en évitant ainsi une nouvelle « malédiction des ressources ».

Le « nouvel ordre mondial » émergent

Un « nouvel ordre mondial » dirigé par la Chine est en train d’émerger pour contrer l’influence occidentale menée par les États-Unis. Les pays de l’Est et du Sud illustrent ce changement à travers des regroupements tels que les BRICS et la coopération Sud-Sud dans les domaines de la technologie et du développement. La Chine a également renforcé son influence dans le Sud grâce à des initiatives telles que la nouvelle route de la soie (Belt and Road Initiative).

Lancée en 2013, l’initiative « Nouvelle route de la soie» est un projet d’infrastructures ambitieux qui relie les continents par voie terrestre et maritime. Depuis lors, plus de 200 accords ont été signés avec plus de 150 pays et 30 organisations internationales. Cette initiative a augmenté l’accès de la Chine aux ressources. Cela se fait souvent en échange du développement d’infrastructures qui relient les régions minières aux ports.

En Afrique, la Chine a investi massivement dans l’exploitation minière et les infrastructures dans les pays riches en ressources tels que la RDC, le Zimbabwe, la Zambie, l’Afrique du Sud et le Ghana. Ses entreprises ont notamment dépensé environ 4,5 milliards de dollars américains dans des projets liés au lithium au Zimbabwe, en RDC, au Mali et en Namibie.

Pékin a récemment célébré le 80e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale par un défilé militaire qui a permis de mettre en avant la puissance militaire de la Chine. Le président Xi a affirmé à cette occasion que la Chine était désormais une puissance « inarrêtable ».

Forte de son influence et de son accès privilégié aux minéraux critiques, ce pays a consolidé sa capacité à acquérir du matériel militaire et des technologies de pointe.

La concurrence pour les minéraux essentiels de l’Afrique

L’Afrique détient environ 30 % des gisements mondiaux de minéraux critiques, ce qui en fait un enjeu géopolitique majeur. Les États-Unis et l’UE cherchent à conclure des accords afin de sécuriser leur approvisionnement et de réduire leur dépendance vis-à-vis de la Chine.

L’UE a ainsi conclu des partenariats stratégiques sur les minéraux avec la RDC, le Rwanda, la Namibie et la Zambie. La Chine a pour sa part conclu des accords bilatéraux avec onze pays africains dans le secteur minier. Les États-Unis ont également signé un accord trilatéral avec la RDC et la Zambie. Son objectif est de soutenir une chaîne de valeur intégrée pour les batteries des véhicules électriques (VE). Elle a également signé récemment un accord « Minerais pour la paix » avec la RDC et le Rwanda afin de tenter de mettre fin à des décennies de conflit dans l’est du Congo.

Bien que les pays africains aient besoin d’aide pour transformer leurs ressources en prospérité, nos recherches ont montré que ces partenariats risquent d’accentuer la position marginale de l’Afrique dans la chaîne de valeur mondiale. En effet, ils reproduisent souvent des conditions qui rappellent le colonialisme : dépendance, extraction des ressources et déséquilibres de pouvoir.

La voie à suivre

Nos recherches montrent que la rivalité entre l’ordre mondial échaffaudé par les États-Unis et celui impulsé par la Chine dépendra de plusieurs facteurs. Il s’agit notamment du contrôle des technologies émergentes: les énergies renouvelables, la défense, l’aérospatiale et l’IA. Or toutes ces industries dépendent des minéraux critiques. L’accès élargi à ces minéraux et à leurs chaînes d’approvisionnement, ainsi que leur contrôle, seront donc des facteurs déterminants de la puissance mondiale.

La compétition entre les États-Unis et la Chine pour les minéraux essentiels va s’intensifier. Dans cette bataille, il est crucial que les pays africains restent neutres. Ces derniers doivent s’engager uniquement dans des partenariats significatifs et mutuellement bénéfiques qui font véritablement progresser leurs pays et leurs économies.

A cet égard, les pays africains doivent définir explicitement leurs priorités dans le secteur extractif. Sans stratégie claire, l’Afrique continuera de se voir imposer l’avenir par les puissances extérieures. Le continent restera prisonnier de sa dépendance au lieu de pouvoir tirer pleinement parti de la valeur réelle de ses richesses minérales.

Enfin, plutôt que de se contenter de se disputer les minéraux critiques de l’Afrique, la Chine, les États-Unis et l’UE devraient s’engager de manière équitable avec les pays africains dans le secteur extractif afin de garantir un développement équitable sur tout le continent.

The Conversation

The authors do not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and have disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.

ref. Entre la Chine et les Etats-Unis, l’Afrique doit s’imposer comme l’arbitre des minéraux critiques – https://theconversation.com/entre-la-chine-et-les-etats-unis-lafrique-doit-simposer-comme-larbitre-des-mineraux-critiques-267351