Source: The Conversation – in French – By Hugo Asselin, Professeur titulaire, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT)
Plusieurs pays industrialisés connaissent actuellement une pénurie de main-d’œuvre causée, notamment, par un vieillissement de la population. Ce n’est pas une surprise. C’était prévu depuis au moins 30 ans.
Parmi les solutions possibles figure celle d’encourager les gens à rester en emploi plus longtemps, ou à retourner au travail après la retraite. Cet appel à mettre à contribution la « main-d’œuvre expérimentée » n’est pas nouveau non plus, mais tarde à se concrétiser.
Cet article fait partie de notre série La Révolution grise. La Conversation vous propose d’analyser sous toutes ses facettes l’impact du vieillissement de l’imposante cohorte des boomers sur notre société, qu’ils transforment depuis leur venue au monde. Manières de se loger, de travailler, de consommer la culture, de s’alimenter, de voyager, de se soigner, de vivre… découvrez avec nous les bouleversements en cours, et à venir.
Des préjugés tenaces
Bien que le taux d’activité des personnes de 65 ans et plus ait augmenté considérablement depuis une vingtaine d’années au Canada (de 8,9 % en 2001 à 15,8 % en 2021), il demeure trois fois moins élevé que la proportion se disant en très bonne ou en excellente santé (49,9 % en 2021).
Une large part du bassin de main-d’œuvre expérimentée reste donc encore sur la touche.
Pourtant, des programmes ont été mis en place (p. ex. : L’initiative ciblée pour travailleurs âgés et La compétence n’a pas d’âge), des guides, des formations, des sites Web, etc. Mais force est de constater que ça ne suffit pas.
L’âgisme est encore un des principaux freins à la participation au travail des personnes âgées, même si plusieurs préjugés à leur égard sont non fondés. Ainsi, il est faux de prétendre que la productivité diminue avec l’âge. Bien que certaines habiletés physiques (force, dextérité, équilibre) et psychologiques (mémoire, concentration) puissent, dans certains cas, diminuer avec l’âge, d’autres habiletés compensent (diligence, expérience, capacité de transmission de connaissances).
Le mythe selon lequel les personnes plus âgées s’absentent davantage pour des raisons de santé a lui aussi été déboulonné. Une des rares études longitudinales sur le sujet a montré que le nombre moyen de jours de congé de maladie diminue après 65 ans.
Il est évident qu’il faut changer les attitudes et les comportements, mais peu d’entreprises et d’organisations incluent l’âge dans leurs politiques d’équité, diversité et inclusion (EDI).
Repousser l’âge de la retraite : une fausse bonne idée ?
Certains suggèrent le prolongement de carrière comme moyen de maintenir active la main-d’œuvre expérimentée.
Toutefois, une étude sur les « emplois-ponts » (les emplois entre la carrière principale et la retraite) a montré que seulement 8 % des gens ont prolongé leur carrière dans le même emploi, que 29,5 % ont opté pour un emploi similaire à leur emploi de carrière, et que près des deux tiers (62,5 %) ont choisi un emploi différent. Ce besoin de changement indique qu’il faut des mesures pour permettre aux gens de travailler plus longtemps, mais pas nécessairement pour le même employeur ou dans le même domaine.
Le repoussement de l’âge de la retraite est aussi souvent évoqué, mais cette mesure uniforme fait l’objet de critiques vu ses effets négatifs pour certains groupes de la population. Par exemple, travailler plus longtemps a des effets délétères pour les personnes moins diplômées, dont plusieurs occupent des emplois physiquement exigeants à risque élevé de blessures ou de douleurs chroniques.
Les femmes, qui sont plus nombreuses que les hommes à agir comme proches-aidantes, sont également pénalisées par un repoussement de l’âge de la retraite ou de la retraite anticipée. En effet, combiner plus longtemps leurs responsabilités professionnelles et leur engagement envers leurs proches augmente leurs charges financières, émotionnelles et physiques.
C’est donc dire qu’il faut des mesures pour inciter les personnes qui le peuvent et qui le souhaitent à poursuivre leur vie active, sans toutefois que ça ne devienne une obligation.
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Pourquoi travailler plus longtemps ?
On peut distinguer deux groupes parmi la main-d’œuvre expérimentée : les personnes pour qui le travail est une occasion de socialiser, de transmettre leurs connaissances et de se sentir utiles (environ les deux tiers), et celles qui doivent travailler plus longtemps pour des raisons économiques (environ le tiers).
Autrement dit, certaines personnes âgées vivent pour travailler tandis que d’autres travaillent pour vivre. Leurs besoins sont différents et nécessitent des approches différentes.
En raison de l’écart salarial persistant entre les hommes et les femmes, ces dernières sont nombreuses à avoir accumulé un revenu moindre une fois rendues à l’âge de la retraite. Occuper un emploi-pont bien rémunéré qui met en valeur leurs compétences (par exemple comme travailleuses autonomes), leur permettrait de combler une partie du manque à gagner et serait un beau point d’orgue à leur carrière.
Certaines personnes hésitent à travailler au-delà de la retraite, craignant des pénalités fiscales, ou que leurs prestations gouvernementales diminuent. D’abord, il convient de dire que ces craintes sont en partie exagérées, puisqu’une personne retraitée peut conserver entre 61 % et 89 % d’un revenu d’emploi d’appoint après prise en compte des charges fiscales.
Néanmoins, des améliorations pourraient tout de même être apportées aux politiques fiscales pour encourager la prolongation de la vie active. Par exemple, au Québec, le montant du crédit d’impôt pour prolongation de carrière pourrait être augmenté, et ce crédit pourrait être remboursable afin que les personnes à faible revenu y aient accès.
Quelles solutions pour favoriser la participation de la main-d’œuvre expérimentée ?
De nombreuses personnes aînées souhaitent continuer de travailler, mais pas nécessairement en prolongeant leur carrière principale. Elles sont parfois rebutées par certains aspects administratifs (p. ex. nécessité de mise à niveau, préparation d’un curriculum vitae, processus d’application, négociation des conditions de travail, etc.). À cet effet, les centres-conseils en emploi offrent des formations et du soutien pour outiller la main-d’œuvre expérimentée.
Au sein des entreprises et organisations, les mesures de conciliation emploi-retraite sont particulièrement importantes puisque plusieurs personnes aînées – particulièrement des femmes – font de la proche aidance ou s’occupent de leurs petits-enfants. D’autres font du bénévolat, ou ont des loisirs qui occupent une partie de leur temps. Certaines pratiques de gestion des ressources humaines sont ainsi plus favorables à la main-d’œuvre expérimentée (p. ex. horaires flexibles, temps partiel, travail à distance, rémunération concurrentielle).
L’emploi de main-d’œuvre expérimentée peut s’avérer plus complexe pour les employeurs, notamment en ce qui concerne le recrutement, la gestion des horaires et les besoins de formation. Des agences de placement de personnel ou des coopératives de travailleuses et travailleurs peuvent faciliter certains aspects logistiques.
Chose certaine, la participation de la main-d’œuvre expérimentée a des bénéfices, non seulement pour les travailleurs et travailleuses et leurs employeurs, mais aussi pour la société : réduction de la pénurie de main-d’œuvre, valorisation des expertises, réduction de la dépendance aux régimes publics, augmentation de la qualité de vie. Plusieurs mesures existent déjà et d’autres pourraient aisément être mises en place pour permettre aux personnes aînées de continuer de s’accomplir professionnellement et de contribuer activement au mieux-être collectif.
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Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
– ref. Une main-d’œuvre expérimentée, mais peu sollicitée : quelles solutions pour garder les personnes aînées au travail ? – https://theconversation.com/une-main-doeuvre-experimentee-mais-peu-sollicitee-quelles-solutions-pour-garder-les-personnes-ainees-au-travail-261637
