Faire payer aux municipalités une partie des coûts d’indemnisation liés aux inondations, une fausse bonne idée

Source: The Conversation – in French – By Bernard Deschamps, PhD Student in Environmental Sciences, Université du Québec à Montréal (UQAM)

Votre sous-sol a-t-il déjà été inondé ? Pour des milliers de Québécois, cette question n’est pas théorique. Face à des inondations de plus en plus fréquentes, une solution semble logique : pour forcer les municipalités à mieux protéger leur territoire, il suffirait de leur faire payer une partie de la facture. Après tout, si elles subissent les conséquences financières de leurs décisions d’aménagement, elles seront plus prudentes.

Cette affirmation est en grande partie supportée par la littérature sur le sujet de l’aléa moral. En termes simples, c’est l’idée que si quelqu’un d’autre paie toujours la facture, on est moins motivé à prévenir le problème. Mais est-ce si simple ?

Candidat au doctorat en sciences de l’environnement à l’Université du Québec à Montréal, mes travaux portent sur la contribution des municipalités du Québec dans le partage du risque d’inondations. J’ai notamment piloté la création du Fonds d’assurance des municipalités du Québec, un assureur spécialisé dans la gestion et le transfert des risques municipaux.




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Le contrôle des municipalités sur le risque

Plusieurs études suggèrent que les programmes d’aide post-catastrophe, en indemnisant systématiquement, créent ce genre de désincitatif à la prévention.

Nos programmes d’indemnisations sont présentés comme un facteur clé expliquant pourquoi les municipalités ont très peu d’incitatifs financiers à prioriser les mesures de réduction du risque.

Afin de vérifier la pertinence et l’acceptabilité d’une contribution financière municipale, j’ai réalisé des entrevues semi-structurées auprès de 35 maires, gestionnaires et experts municipaux. Cette démarche, menée dans le cadre de mes travaux de doctorat sur le partage du risque d’inondations, visait à confronter cette idée à la réalité et aux contraintes vécues sur le terrain.




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La réaction des participants fut quasi unanime : c’est une « fausse bonne idée ». Loin de les motiver, leur faire payer une partie de la facture est vue comme une sanction injuste et inefficace. Pourquoi un tel fossé entre la théorie et le terrain ? Parce que, comme l’a résumé un participant, la proposition ignore une réalité fondamentale : les municipalités ont le sentiment d’avoir « peu de contrôle sur le risque » dans le modèle de gouvernance actuel.

« On nous transfère le coût, mais pas le contrôle »

Le scepticisme des acteurs municipaux ne vient pas d’un refus de leurs responsabilités, mais d’un profond sentiment d’impuissance. Proposer une pénalité financière, disent-ils, c’est ignorer les trois lourdes contraintes qui paralysent leur action.

  • Un pouvoir d’action limité par la gouvernance : Les élus se sentent pris dans un étau. Leur autonomie en matière d’aménagement est limitée par le cadre provincial. Un participant s’est demandé à voix haute : « Je ne suis pas sûr que la contribution convaincrait vraiment nos élus d’avoir le courage politique nécessaire pour adopter les réglementations requises ». La situation ressemble à une demande paradoxale : on leur transfère le coût, mais pas les pleins pouvoirs pour agir.

  • Le poids écrasant du « risque hérité » : Les décisions d’aujourd’hui sont hantées par celles d’hier. Imaginez être maire d’une ville où, depuis 50 ans, des quartiers entiers se sont construits en plaine inondable, souvent avec l’aval des gouvernements de l’époque. Vous demander aujourd’hui de payer pour les dommages, alors que déplacer des centaines de familles est socialement et financièrement impensable, illustre parfaitement ce « risque hérité ». C’est une dette du passé qui hypothèque lourdement le présent.

  • Des enjeux d’équité et de faisabilité : Qui paierait vraiment la facture ? Les participants craignent que ces coûts soient simplement refilés aux citoyens par des hausses de taxes, ou qu’ils pénalisent injustement les populations les plus vulnérables vivant dans des secteurs historiquement défavorisés. Pour les petites municipalités, la mesure pourrait même être économiquement insoutenable.


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Cinq chantiers pour une vraie résilience

Rejeter l’idée d’une sanction financière ne signifie pas prôner l’inaction. Au contraire, les participants ont identifié cinq chantiers prioritaires, dessinant une feuille de route claire pour bâtir une résilience fondée sur la collaboration et l’autonomisation.

  1. Engager les citoyens et communiquer le risque : Accroître la responsabilité citoyenne par des plates-formes web interactives, des ateliers publics de sensibilisation et la création de comités citoyens pour participer aux décisions.

  2. Renforcer la réglementation (pour de vrai) : Réduire la vulnérabilité en mettant à jour les codes du bâtiment pour imposer des normes de construction plus strictes en zone inondable et en rendant obligatoire l’intégration d’évaluations complètes des risques dans tous les plans d’urbanisme.

  3. Collaborer et mutualiser les ressources : Optimiser les efforts en encourageant financièrement les projets menés à l’échelle des bassins versants et en fournissant aux municipalités les données, les outils et le soutien technique dont elles ont besoin.

  4. Soutenir les plus exposés, sans exception : Réduire les inégalités par une aide financière et technique ciblée pour les municipalités à faible capacité fiscale et pour les ménages à faibles revenus qui doivent adapter leur résidence.

  5. Prioriser la prévention et l’atténuation : Changer de paradigme en offrant des subventions pour les travaux de résilience chez les particuliers (surélévation, clapets, etc.) et en investissant dans les infrastructures naturelles comme la restauration des zones humides.

Un nouveau pacte pour ne plus revivre les mêmes drames

Ainsi la proposition d’une contribution financière municipale, bien que séduisante en théorie, est une solution qui passe à côté de l’enjeu principal, soit le manque de pouvoir réel des municipalités pour agir efficacement sur le risque.

Toutefois, donner aux municipalités les moyens d’agir ne signifie pas les déresponsabiliser. Au contraire, cela doit marquer la fin du transfert systématique du risque vers la collectivité. La responsabilité des municipalités dans leurs décisions d’aménagement, tout comme celle des citoyens qui choisissent de s’établir en zone à risque, doit être pleinement assumée et ne peut plus être une simple variable d’ajustement.

Concrètement, pour le citoyen, cela signifie que ses impôts serviront non plus à éponger des sinistres évitables, mais à financer une prévention intelligente. C’est l’assurance que sa municipalité prend des décisions durables pour protéger sa maison et sa communauté.

Le chemin vers des communautés plus résilientes passe donc par un nouveau pacte de confiance et de responsabilité : outiller, soutenir et donner le pouvoir aux municipalités d’agir, en échange d’une imputabilité claire et directe pour leurs décisions. La construction de cette résilience est l’affaire de tous, et cette alliance exigeante est le seul chantier qui vaille pour que le Québec ne soit plus condamné à revivre les mêmes drames.

La Conversation Canada

Bernard Deschamps a reçu des financements du RIISQ.

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