Source: The Conversation – in French – By Mathieu Nadeau-Vallée, Médecin résident en anesthésie, Université de Montréal
Le 22 septembre, Donald Trump a suscité la controverse en affirmant, parmi d’autres propos infondés, que les femmes enceintes devraient éviter de prendre de l’acétaminophène (ou paracétamol, vendu sous le nom de Tylenol) durant la grossesse, évoquant un lien supposé avec le trouble du spectre de l’autisme (TSA).
Ces déclarations sans nuances, anxiogènes pour les femmes enceintes et leurs familles, nuisent au traitement de la douleur et de la fièvre en grossesse, incitent à recourir à des solutions moins sûres et minent la confiance envers les institutions. Il convient donc d’explorer d’où provient cette théorie et de rétablir les faits.
Titulaire d’un doctorat de l’Université de Montréal en pharmacologie et médecin résident en anesthésiologie, j’ai animé une page TikTok durant la Covid-19, alors que beaucoup de désinformation circulait, en particulier sur la vaccination, pour communiquer des faits médicaux fiables au grand public.
À lire aussi :
Covid-19 : la désinformation est mortelle, surtout celle véhiculée par les professionnels de la santé
D’où vient l’idée d’une causalité acétaminophène-autisme ?
Il est vrai qu’un bon nombre d’études observationnelles publiées dans les dernières décennies ont mis en lumière un lien entre la prise d’acétaminophène durant la grossesse et l’augmentation, quoique petite, de nombre de diagnostics de TSA et d’autres troubles neurodéveloppementaux chez les enfants.
Ces résultats ne prouvent pas la causalité. En épidémiologie, une corrélation ne signifie pas qu’un facteur en cause un autre : par exemple, il existe une corrélation entre le nombre de parapluies et la pluie, mais les parapluies ne causent pas la pluie.
Un exemple qui s’ancre mieux en médecine et dans notre réalité est la corrélation entre le café et le cancer du poumon. Certaines études observationnelles anciennes montraient que les grands buveurs de café avaient un risque plus élevé de cancer du poumon. Cela a fait croire, à tort, à un effet cancérogène du café. Les gros buveurs de café, dans les cohortes étudiées, étaient aussi plus souvent de gros fumeurs. Comme le tabac est la principale cause du cancer du poumon, il était donc difficile de distinguer si c’était le café ou la cigarette qui expliquait l’augmentation du risque.
C’est un exemple classique de biais épidémiologique, plus précisément d’un facteur de confusion. Le café était ici associé à la fois à l’exposition (tabac) et à l’issue (cancer du poumon), créant une association trompeuse. On retrouve le même mécanisme derrière d’autres mythes médicaux, comme celui selon lequel un verre de vin par jour améliorerait la santé globale, une idée désormais démentie.
Dans la situation de la corrélation entre l’acétaminophène maternel et l’autisme, plusieurs biais peuvent être mis en cause :
1 — La confusion par indication : les femmes enceintes qui prennent de l’acétaminophène le font la plupart du temps pour traiter une fièvre, une infection ou maux de tête. Mais la fièvre maternelle en elle-même, qui parfois est le premier signe d’une infection, a déjà été associée à des risques pour le développement neurologique du fœtus. Il est donc difficile de savoir si c’est la fièvre, l’infection ou la pilule qui est à blâmer.
2 — Les biais de rappel : dans certaines études, les parents sont interrogés plusieurs années après la grossesse pour se souvenir des médicaments pris. Les mères d’enfants ayant un TSA peuvent, intentionnellement ou non, signaler plus souvent l’acétaminophène, ce qui crée une distorsion des données.
3 — La diversité des facteurs de complexité de l’autisme : nous savons maintenant que les TSA sont dus à un mélangé de facteurs génétiques et environnementaux. Isoler l’effet d’un seul médicament reste très compliqué.
Mais comment faire pour se sortir de ce type de biais ?
En méthodologie, il existe des méthodes pour tenir compte des facteurs qui peuvent fausser les résultats, comme comparer des groupes similaires ou analyser séparément certains sous-groupes.
D’ailleurs, une grande étude suédoise publiée dans le journal JAMA en 2024 a étudié une population de plus de 1,5 million de naissances, dont 185 000 ont été exposés à l’acétaminophène durant la grossesse. Chaque grossesse a été comparée à celles de frères et sœurs non exposés, ce qui permet de réduire l’influence de l’environnement familial. L’étude n’a trouvé aucun lien entre l’acétaminophène et l’autisme ou d’autres troubles neurodéveloppementaux.
Ainsi, les données actuelles ne permettent pas de conclure que l’acétaminophène provoque l’autisme.
Pourquoi la croyance perdure-t-elle ?
Même en l’absence de preuves concrètes, l’idée d’un lien entre l’acétaminophène et l’autisme reste bien ancrée dans l’imaginaire collectif, notamment sur les réseaux sociaux. Plusieurs mécanismes expliquent cette persistance. Par exemple, face à des troubles multifactoriels comme l’autisme, dont l’étiologie demeure incertaine, il est psychologiquement rassurant de pouvoir désigner une cause précise. De plus, des publications sur les réseaux sociaux qui jouent sur les émotions — qu’elles proviennent d’influenceurs ou de vidéos générées par l’intelligence artificielle — suscitent souvent plus d’engagements qu’une déclaration équilibrée sur les limites méthodologiques d’une recherche.
Ensuite, nous avons une tendance à mieux retenir en mémoire les informations qui concordent avec nos appréhensions ou nos intuitions, même si elles ne sont pas vérifiées ou valides. Finalement, comme la confiance envers les autorités médicales et pharmaceutiques est parfois fragilisée, certaines personnes accordent davantage d’importance aux témoignages personnels ou aux discours alternatifs.
Les conséquences pour les familles et pour la santé publique
Le danger, avec ce type de déclaration infondée, est d’éloigner les femmes enceintes d’un traitement sûr et efficace, surtout lorsque les alternatives peuvent être dangereuses. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) comme l’ibuprofène, par exemple, comportent des risques en grossesse.
Au premier trimestre, ils sont associés à un risque augmenté de fausses couches. Santé Canada recommande aussi d’éviter leur utilisation à partir de 20 semaines de grossesse, sauf avis médical, car cela pourrait occasionner une atteinte rénale fœtale entraînant une diminution du liquide amniotique et un retard de la maturation des poumons. Au 3e trimestre, ils sont carrément contre-indiqués à cause du risque fœtal. D’autres évitent de traiter une fièvre haute, ce qui pourrait être plus nocif pour le fœtus que le médicament lui-même.
Cette incertitude engendre également une charge émotionnelle importante. Plusieurs mères ont exprimé des sentiments de culpabilité, se demandant si la prise de quelques comprimés d’acétaminophène était une raison du diagnostic de leur enfant. À un niveau collectif, ces préoccupations peuvent faire du tort à la confiance dans les messages de santé publique. Lorsqu’une information est mal perçue ou mal relayée, il y a le risque que le public généralise son hostilité aux autres recommandations médicales, par exemple envers la vaccination.
Malgré les inquiétudes soulevées, les organismes de santé tels que Santé Canada, la Food and Drug Administration des États-Unis et l’Organisation mondiale de la Santé recommandent toujours l’acétaminophène en cas de besoin, avec une attention particulière au respect de la posologie prescrite.
Comment faire les choses mieux ?
Afin d’anticiper la désinformation et d’apaiser l’anxiété inutile, il est essentiel de maintenir une communication scientifique vulgarisée :
-
Définir nettement la différence entre association et causalité.
-
Présenter les risques réels de ne pas traiter la fièvre ou la douleur, afin que les familles comprennent que l’absence de traitement peut parfois être plus dangereuse.
-
Soutenir les femmes enceintes sans les culpabiliser : leur rappeler que prendre soin de leur santé fait aussi partie de la santé de leur bébé.
-
Offrir des sources de qualité et accessibles permet aux parents de vérifier les faits plutôt que de dépendre entièrement des réseaux sociaux.
-
Informer sans alarmer, rassurer sans banaliser : voilà la meilleure stratégie pour protéger à la fois la santé des mères et celle de leurs enfants.
Entre désinformation et anxiété, la science a un rôle clair : éclairer, pas effrayer.
![]()
Mathieu Nadeau-Vallée ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
– ref. Acétaminophène et autisme : désinformation, confusion et biais épidémiologique – https://theconversation.com/acetaminophene-et-autisme-desinformation-confusion-et-biais-epidemiologique-266534
