Source: The Conversation – in French – By Marc Souris, chercheur, Institut de recherche pour le développement (IRD)
La fièvre de la vallée du Rift sévit actuellement dans le nord du Sénégal. Depuis l’apparition de l’épidémie, le 21 septembre dernier, le bilan ne cesse s’alourdir. Le dernier communiqué du gouvernement fait état de 78 cas confirmés et 11 décès. Maladie virale transmise par les moustiques et touchant principalement le bétail, elle peut également infecter l’humain. Si la plupart des cas humains restent bénins, la maladie entraîne de lourdes pertes économiques et sanitaires dans les élevages et constitue un risque pour les populations exposées.
En tant que chercheur, j’ai contribué à plusieurs études sur cette zoonose virale transmise par les moustiques et affectant principalement les ruminants et les humains. J’explique ici ce qu’est la fièvre de la vallée du Rift, comment elle est traitée et comment elle peut être contrôlée.
Comprendre la fièvre de la vallée du Rift
La fièvre de la vallée du Rift (FVR) est une zoonose (maladie affectant des animaux et pouvant se transmettre à l’humain) causée par le virus RVF, un phlebovirus de la famille des Phenuiviridae (ordre des Bunyavirales). La maladie touche en particulier certains animaux domestiques, principalement les bovins, les ovins, les caprins, mais aussi camélidés et autres petits ruminants. Mais elle peut occasionnellement infecter les humains.
Chez les animaux, la maladie provoque une importante morbidité: baisse de la production de lait, forte mortalité néonatale, avortements massifs chez les femelles gestantes, et mortalité dans 10 à 20 % des cas. Elle entraîne ainsi des pertes économiques considérables pour les éleveurs.
Chez les humains, la plupart des infections sont asymptomatiques ou bénignes (simple syndrome grippal), mais l’infection peut provoquer des symptômes graves dans un petit pourcentage de cas : affections oculaires, encéphalite, fièvre hémorragique. Le taux de mortalité chez les personnes infectées est de 1% environ.
Comment se transmet-elle ?
Chez les animaux, la maladie est principalement transmise par les piqûres de moustiques infectés (au moins 50 espèces de moustiques sont vecteurs du virus FVR, notamment les Aedes, mais aussi Culex, Anopheles, Mansonia, ainsi que d’autres insectes. Les moustiques s’infectent en piquant des animaux infectés et en phase de virémie (présence de particules virales dans le sang), et vont ensuite transmettre le virus en se nourrissant sur d’autres animaux. Chez les Aedes, la transmission verticale (œufs infectés par le virus) est également possible, ce qui pourrait contribuer à la survie du virus dans l’environnement.
Chez l’humain, dans la plupart des cas l’infection résulte d’un contact avec du sang ou des organes d’animaux contaminés, notamment au cours d’interventions vétérinaires ou de découpage de carcasses d’animaux infectés. Des contaminations directes par piqûre de moustiques ou de mouches infectés par le virus FVR ont également été rapportées, mais aucune transmission interhumaine n’a jusqu’à présent été constatée.
L’origine de la maladie
La maladie a été identifiée pour la première fois en 1931 dans la vallée du Rift, au Kenya, lors d’une épidémie humaine de 200 cas. Le virus responsable a été isolé en 1944 en Ouganda.
Depuis, de nombreuses flambées de la maladie ont été signalées en Afrique subsaharienne : en Egypte (1977), à Madagascar (1990, 2021), au Kenya (1997,1998), en Somalie (1998), en Tanzanie (1998), avec une extension en 2000 au Yemen et à l’Arabie saoudite, aux Comores (2007-2008) et à Mayotte (2018-2019). En Afrique de l’Ouest, les principales épidémies ont touché la Mauritanie (1987, 1993, 1998, 2003, 2010, 2012), le Sénégal (1987, 2013-2014) et le Niger (2016).
La maladie est donc historiquement présente en Afrique de l’Est, mais son extension au Sahel et en Afrique de l’Ouest s’est faite progressivement via le mouvement d’animaux et lors de conditions environnementales favorables, notamment lors de précipitations exceptionnelles. A ce jour, une trentaine de pays ont déclaré des cas animaliers et/ou humains sous la forme de foyers ou de flambées épidémiques.
Pourquoi et comment la maladie réapparaît
La maladie réémerge régulièrement en Afrique tous les cinq à quinze ans. En Afrique de l’Est, des foyers apparaissent et la maladie se propage lorsque les conditions climatiques sont propices, notamment lors de fortes précipitations ou d’inondations dans des zones naturellement arides. Par exemple, en 1998-1999 l’apparition de nombreux foyers en Afrique de l’Est a coïncidé avec les fortes précipitations liées au phénomène El Niño.
Dans le Sahel, la corrélation pluie-épidémie est moins systématique. L’émergence de foyers dans des zones peu surveillées montre que la FVR peut émerger dans des lieux inattendus. Des analyses sur les souches virales en Mauritanie ont également suggéré des introductions génétiques ou des mouvements viraux interrégionaux.
Le virus se maintient dans l’environnement sans que l’on en connaisse exactement le processus. Le virus est maintenu dans l’environnement par un réservoir animal sauvage hétérogène (antilopes, cerfs, reptiles, etc.) qui, à ce jour, n’est pas encore complètement identifié.
Comme pour de nombreuses maladies virales, les épidémies se propagent à partir d’un foyer principal vers des foyers secondaires. La diffusion est favorisée par le déplacement des troupeaux (notamment dans les zones pastorales du Sahel), par la dispersion accidentelle de moustiques infectés, et par les conditions environnementales propices au développement des vecteurs.
Symptômes cliniques et traitements
Chez les animaux, l’apparition de nombreux avortements et d’une mortalité très importante parmi les jeunes animaux est caractéristique de l’infection. Les animaux adultes sont aussi touchés : les bovins et ovins peuvent souffrir d’écoulement nasal, d’hypersalivation, d’anorexie, d’asthénie ou de diarrhée. La mortalité est de 20 % chez les ovins, 10 % chez les bovins. Les femelles gestantes avorteront systématiquement (80-100 %).
Chez l’humain, après une période d’incubation de deux à six jours, la plupart des infections sont asymptomatiques ou bénignes (simple syndrome grippal), et les symptômes durent alors en général de quatre à sept jours. Les individus ayant contracté la FVR acquièrent une immunité naturelle.
Dans un faible pourcentage de cas, la maladie est beaucoup plus sévère :
• Lésions oculaires (jusqu’à 10% des cas symptomatiques), apparaissant généralement une à trois semaines après les premiers symptômes. La maladie peut guérir spontanément, mais peut également entraîner une cécité définitive.
• Ménigo-encéphalite (inflammation cérébro-méningée, 2 à 4% des cas symptomatiques), apparaissant une à quatre semaines après les premiers symptômes. Le taux de mortalité est faible, mais les séquelles neurologiques sont courantes.
• Fièvre hémorragique (moins d’1% des cas symptomatiques), survenant deux à quatre jours après l’apparition de symptômes. Le taux de mortalité est de 50 % environ. Le décès intervient généralement trois à six jours après l’apparition des symptômes.
Il n’y a pas de traitement spécifique pour les cas graves de Fièvre la vallée du Rift chez les humains.
Surveillance, prévention et contrôle
Une surveillance vétérinaire permettant une notification immédiate en cas de détection de la maladie et le suivi de l’infection dans les populations animales sont des éléments essentiels au contrôle de la maladie. En cas d’épizootie, l’abattage sanitaire et le contrôle des déplacements des animaux d’élevage est le moyen le plus efficace pour ralentir la propagation du virus.
Comme pour toutes les arboviroses (maladies virales transmises par des arthropodes), la lutte contre la population vectorielle (moustiques pour FVR) est une mesure de prévention efficace mais difficile à mettre en œuvre, notamment en zone rurale.
Pour prévenir l’émergence de foyers épizootiques, il est possible de vacciner préventivement les animaux dans les zones d’endémicité. Il existe un vaccin à virus vivant modifié qui ne requiert qu’une seule dose et qui confère une immunité à long terme, mais il n’est pas recommandé pour des femelles gestantes en raison des risques d’avortement qu’il comporte. Il existe également un vaccin à virus inactivé ne présentent pas ces effets indésirables, mais qui nécessite plusieurs doses pour obtenir une protection immunitaire.
Menace, vulnérabilités et risques sanitaires
Chez les humains, les éleveurs, les agriculteurs, les employés des abattoirs, les vétérinaires sont les groupes professionnels les plus exposés au risque d’infection. Un vaccin inactivé à usage humain a été mis au point, mais ce vaccin n’est pas homologué et n’a été utilisé qu’à titre expérimental.
La sensibilisation aux facteurs de risque lorsque le virus réémerge est le seul moyen de diminuer le risque d’infection chez les humains. Les facteurs de risques de transmission de l’animal à l’humain sont principalement :
• Les pratiques d’élevage et d’abattage, notamment lors de la manipulation d’animaux malades ou de leurs tissus, ainsi que durant l’abattage;
• La consommation de sang frais, de lait cru ou de viandes;
• Les piqûres de moustique.
Un respect de quelques règles sanitaires est donc nécessaire lors d’une émergence de la fièvre de la vallée du Rift : hygiène des mains, protections adaptées lors de la manipulation d’animaux et de l’abattage, cuisson de tous les produits d’origine animale (sang, viande et lait), utilisation systématique de moustiquaires ou de produits répulsifs.
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Marc Souris receives funding from government research agencies.
– ref. La fièvre de la vallée du Rift sévit au Sénégal : ce qu’il faut savoir sur cette maladie – https://theconversation.com/la-fievre-de-la-vallee-du-rift-sevit-au-senegal-ce-quil-faut-savoir-sur-cette-maladie-266724
