Pourquoi apprendre à cuisiner dès l’enfance est un outil de santé publique

Source: The Conversation – in French – By Nina Klioueva, Université de Montréal

Dans un monde dominé par les aliments ultra-transformés et le manque de temps, grandir sans savoir cuisiner n’est plus rare. Mais cette perte de savoir-faire n’est pas neutre : elle fragilise la santé, l’autonomie et même notre rapport collectif à l’alimentation.

Et si réapprendre à cuisiner devenait un choix de société ?

Depuis quelques décennies, les repas faits maison ont été peu à peu remplacés par des plats prêts-à-manger et des produits très transformés. Au Canada, plus de la moitié de ce que mangent les enfants et les adolescents vient de ces aliments ultra-transformés. Cette tendance a des effets directs sur la santé : plus de maladies chroniques comme le diabète de type 2, et une perte d’autonomie alimentaire, puisque cuisiner est parfois vu comme une option, et non comme une compétence de base.

Dans ce contexte, apprendre à cuisiner dès l’enfance n’est pas seulement un plaisir ou une tradition familiale. C’est un véritable outil de santé publique. Cuisiner aide à mieux comprendre comment faire des choix alimentaires pour soi et pour la planète, à prévenir certaines maladies et à développer une relation positive et durable avec la nourriture. En tant que nutritionnistes et chercheuses en nutrition, nous nous intéressons à la littératie alimentaire chez les adolescents et considérons ce sujet d’autant plus d’actualité face aux défis alimentaires contemporains.

La littératie alimentaire : plus que savoir cuisiner

Apprendre à cuisiner tôt ne se limite pas à acquérir une habileté pratique. C’est une porte d’entrée vers la littératie alimentaire, un ensemble de connaissances, de compétences et d’attitudes qui permettent de bien se repérer dans un monde alimentaire de plus en plus complexe. Elle développe aussi l’autonomie, la confiance et la motivation pour faire des choix qui favorisent la santé et le bien-être.

La littératie alimentaire, ce n’est pas seulement être capable de préparer un repas nutritif. C’est aussi célébrer et transmettre nos traditions culinaires, soutenir des systèmes alimentaires plus justes et durables, et développer une relation positive avec la nourriture.

Il est important de rappeler que savoir cuisiner ne suffit pas tout seul. La cuisine est un élément central, mais la littératie alimentaire est beaucoup plus large. Comme le soulignent les chercheuses Helen Anna Vidgen et Danielle Gallegos, de la Queensland University of Technology, en Australie, elle regroupe un ensemble de compétences liées entre elles : planifier ses repas, gérer un budget et réduire le gaspillage, choisir des aliments nutritifs et sécuritaires malgré le marketing, préparer des repas de base et adopter une alimentation équilibrée et culturellement signifiante.

Ainsi, cuisiner devient une porte d’entrée concrète vers plusieurs de ces dimensions. Quand un enfant met la main à la pâte, il n’apprend pas seulement des gestes techniques. Il apprend aussi à planifier, à s’organiser, à résoudre des problèmes réels et à réfléchir de façon critique à ce qu’il mange. Ces compétences, acquises petit à petit et adaptées à son âge, deviennent la base d’une autonomie alimentaire durable.

Des bénéfices observés dès le plus jeune âge

Les recherches montrent que les enfants qui participent à la préparation des repas mangent une portion supplémentaire de fruits et légumes, et consomment généralement une alimentation de meilleure qualité que ceux qui ne cuisinent pas.

Les habitudes alimentaires acquises tôt ont tendance à rester à l’âge adulte. Initier les enfants à la cuisine, c’est donc poser les bases de comportements qui protègent leur santé à long terme. Par exemple, le simple fait de cuisiner à la maison est lié à une alimentation moins riche en sucres ajoutés et en gras saturés, deux éléments directement associés aux maladies cardiovasculaires et au diabète de type 2.

Des enjeux d’équité en santé

Il faut aussi reconnaître que tout le monde n’a pas le même accès à la cuisine ou aux compétences culinaires. Certaines familles manquent de temps, d’espace ou de moyens financiers pour cuisiner. Dans ce contexte, l’éducation culinaire à l’école ou dans la communauté devient essentielle.

Des programmes comme Apprenti en Action ou Chefs en Action, des initiatives canadiennes via les milieux scolaires, ont montré qu’apprendre à cuisiner dans un cadre éducatif peut augmenter la confiance des jeunes, améliorer leurs connaissances en nutrition et les amener à adopter de meilleures habitudes alimentaires. Ces initiatives représentent une façon d’outiller les jeunes, surtout ceux qui viennent de milieux plus vulnérables, et de réduire les inégalités de santé.

Malheureusement, les programmes de cuisine et d’éducation alimentaire en milieu scolaire restent marginaux et tributaires de financements limités et instables, ce qui contribue à creuser encore les écarts sociaux et de santé. Parallèlement, le système alimentaire est dominé par des régimes industrialisés et des produits ultra-transformés, promus par de puissantes entreprises transnationales, alors que peu de politiques publiques canadiennes visent à améliorer les systèmes alimentaires et, par ricochet, les habitudes alimentaires.

Cette double dynamique accentue les inégalités : les jeunes issus de milieux moins favorisés disposent de moins d’occasions d’apprendre à cuisiner et de développer leur autonomie alimentaire, tout en étant plus exposés aux produits ultra-transformés.


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Une compétence citoyenne

Enfin, il ne faut pas oublier la dimension sociale et culturelle de la cuisine. Apprendre à cuisiner, c’est aussi apprendre à partager, à transmettre des traditions, à découvrir d’autres cultures et à créer une relation positive avec l’alimentation. Pour un enfant, préparer un repas avec ses proches peut être une expérience valorisante, qui renforce les liens familiaux et la confiance en soi.

Au-delà des chiffres, cette transformation de nos habitudes alimentaires touche aussi notre culture et nos liens sociaux. Les recettes transmises de génération en génération disparaissent parfois, et avec elles, une partie de notre patrimoine culinaire. Par exemple, en Ontario, des écoles primaires qui ont introduit des ateliers de cuisine ont vu leurs élèves essayer de nouveaux légumes et en parler fièrement à leurs familles, montrant qu’un simple geste peut déclencher un réel changement.

La cuisine devient ainsi une compétence citoyenne, à la croisée de la santé, de l’éducation, de la culture et de l’environnement. Initier les enfants à ce savoir-faire, à la fois pratique et symbolique, c’est leur donner les outils pour se débrouiller dans un monde alimentaire complexe et, en même temps, contribuer à une société plus en santé et plus durable.

La Conversation Canada

Nina Klioueva a reçu des financements sous forme de bourse de maîtrise en recherche pour titulaires d’un diplôme professionnel – volet régulier du FRQ, ainsi qu’une Bourse d’études supérieures du Canada – maîtrise (BESC M) des IRSC.

Maude Perreault ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Pourquoi apprendre à cuisiner dès l’enfance est un outil de santé publique – https://theconversation.com/pourquoi-apprendre-a-cuisiner-des-lenfance-est-un-outil-de-sante-publique-265942