Les voitures restreignent le droit des enfants de profiter de la ville. Voici des projets qui font la différence

Source: The Conversation – in French – By Patricia Collins, Associate Professor, Queen’s University, Ontario

En fermant les rues à proximité des écoles pour qu’on puisse y déposer et y reprendre les enfants, une initiative innovante appelée « rue-école » permet aux enfants de se réapproprier la ville. (Unsplash), CC BY

De nombreux Canadiens de plus de 40 ans ont sans doute passé leur enfance à jouer dans la rue et à circuler seuls ou avec des amis dans leur quartier. Et, selon le onzième objectif de développement durable des Nations unies, les villes devraient être des lieux où tous les habitants, y compris les enfants, peuvent bien évoluer. Ils ont autant le droit d’occuper et d’utiliser les rues urbaines que les automobilistes.

Cependant, les enfants d’aujourd’hui sont moins actifs, moins autonomes dans leurs déplacements et participent moins à des jeux libres à l’extérieur.

Au Canada, l’une des principales causes de cette tendance est que nous avons privé les enfants de leur droit à la ville, notamment de la liberté de jouer et de circuler en toute sécurité dans les rues près de leur domicile et de leur école sans avoir besoin de la surveillance d’un adulte.

Des actions innovantes telles que « rue-école » sont nécessaires. Il s’agit d’instaurer des zones interdites aux voitures devant les écoles aux heures de pointe afin qu’on puisse y déposer et y reprendre les enfants en toute sécurité et de manière à encourager la marche et le vélo.

Toutefois, nos recherches montrent qu’elles se heurtent souvent à une forte résistance. En fermant les rues adjacentes aux écoles à la circulation automobile, on confronte les conducteurs à un espace public repensé et restructuré qu’ils ne sont pas toujours prêts à accepter.

Penser les villes pour les enfants plutôt que pour les voitures

En Amérique du Nord, la privation des enfants de leurs droits à la ville remonte à des décennies.

Avant la production industrielle des automobiles, il était courant de voir des jeunes jouer dans les rues. Mais à mesure que l’usage de la voiture augmentait, les accidents impliquant des enfants se multipliaient.

Au lieu de restreindre les zones où les voitures peuvent circuler, les urbanistes et les responsables de la santé publique ont préconisé la création d’autres lieux où les enfants peuvent jouer en toute sécurité, comme des parcs de quartier.

Cette approche de l’urbanisme axée sur l’automobile a entraîné un changement dans les mentalités quant aux espaces où les jeunes peuvent jouer et se déplacer. Nous considérons désormais comme normal de ne pas voir ni entendre d’enfants dans les rues des villes.

En limitant la mobilité des enfants en milieu urbain, notre société a fait croire que ces derniers n’étaient pas suffisamment responsables ou compétents pour circuler dans leur collectivité.

La mobilité des enfants dans des villes dominées par la voiture

Paradoxalement, plus la crainte de laisser les enfants se déplacer librement augmentait, plus on les conduisait en voiture. Désormais, les enfants circulent en ville principalement à bord d’un véhicule.

Nous voilà aujourd’hui confrontés à un immense défi sociétal : faire en sorte que les enfants puissent se déplacer de manière autonome dans leur quartier, notamment dans les espaces qui leur sont communément réservés, comme les abords des écoles primaires.

En ce qui concerne le trajet vers l’école, des études ont montré que les comportements dangereux des parents au volant le matin – laisser descendre leurs enfants dans des zones à risques, obstruer la visibilité, faire demi-tour et rouler à vive allure, etc. – sont monnaie courante.

Ces comportements augmentent le risque que des enfants soient renversés par des automobilistes. Les conditions dangereuses aux abords des écoles, associées à l’idée largement répandue que les enfants n’ont pas leur place dans la rue et qu’ils sont incapables d’aller à l’école par eux-mêmes, contribuent au faible taux de déplacements à pied ou à vélo pour se rendre à l’école au Canada.

Des villes innovantes pour les enfants

Les rues-écoles visent à répondre à ces deux problèmes en réduisant les dangers réels posés par les automobiles dans les espaces occupés par les enfants et en aidant tous les citoyens à redéfinir l’utilisation des rues.

Généralement mises en place par les municipalités ou des organismes à but non lucratif, les rues-écoles permettent aux enfants de se rendre à l’école et d’en revenir en toute sécurité. Bien qu’elles soient courantes dans de nombreuses villes européennes, leur adoption a été plus lente au Canada.

De 2020 à 2024, nous avons mené une étude intitulée Changer les règles du jeu, dans laquelle nous avons évalué de manière systématique les « rues-écoles » implantées à Kingston, en Ontario, et à Montréal. Les conclusions de cette étude ont contribué au lancement de l’Initiative nationale des rues-écoles actives.

Financé par l’Agence de la santé publique du Canada, ce programme aide les villes canadiennes à se familiariser avec les rues-écoles et à les mettre en œuvre. Ainsi, des rues-écoles ont été ouvertes en septembre 2025 pour une durée d’un an à Kingston et à Mississauga, en Ontario, ainsi qu’à Vancouver, en Colombie-Britannique.

En septembre 2026, d’autres rues-écoles devraient voir le jour pour une durée d’un an à Kingston, à Mississauga, à Vancouver et à Montréal, tandis que des projets pilotes de quatre semaines sont prévus en Ontario à Ottawa, à Peterborough, à Markham et à Toronto, ainsi qu’à Winnipeg, au Manitoba, et à Edmonton et Calgary, en Alberta.

Réactions aux projets d’innovation urbaine pour les enfants

La mise en place et le maintien de ces rues-écoles nécessitent le soutien d’un large éventail de personnes, notamment le personnel et les conseillers municipaux, les administrations scolaires, les enseignants, les parents, les résidents et les services de police.

Dans le cadre de notre travail à Kingston et à Montréal, nous avons rencontré de nombreux défenseurs des rues-écoles, dont le soutien a été déterminant pour lancer et perpétuer ces projets. Cependant, nous avons également été confrontés à divers degrés de résistance. Dans certains cas, la résistance est apparue après le lancement des initiatives, mais dans d’autres, elle a suffi à empêcher leur mise en place.

Plutôt que de reconnaître les avantages des rues-écoles, les personnes qui s’opposaient à ces projets étaient souvent motivées par les risques encourus par les enfants, soit précisément le problème que les rues-écoles visent à résoudre.

Certaines affirmaient que les rues-écoles réduiraient la vigilance des enfants, les exposeraient au risque d’être renversés par des automobilistes imprudents et qu’elles étaient par nature dangereuses, car les enfants n’ont pas leur place dans les rues. Nous soupçonnons qu’en réalité, il s’agissait moins des risques que d’une réticence à partager l’espace, le pouvoir et les opportunités avec les enfants en milieu urbain.

Nous avons également reçu toute une série d’arguments fondés sur ce qu’on appelle la « motonormativité », une forme de préjugé inconscient dans les sociétés centrées sur l’automobile qui considère l’utilisation de la voiture comme une norme universelle et oriente les solutions vers les besoins des automobilistes.

Ainsi, nous avons entendu dire que les rues-écoles excluaient les enfants dont les parents devaient les conduire à l’école, que les résidents et les visiteurs subiraient des retards inacceptables en raison de la fermeture des rues, que le personnel scolaire serait privé de places de stationnement à proximité, que les enfants marchant dans la rue seraient trop bruyants et causeraient des dommages aux véhicules stationnés, et que la congestion automobile serait déplacée vers d’autres rues.

L’argument le plus troublant avancé contre les rues-écoles était que des enfants d’autres quartiers en avaient davantage besoin, ce qui traduisait une attitude « pas dans ma cour » à peine voilée.

Les rues-écoles visent à permettre aux enfants de retrouver leur droit à la ville. Cependant, de nombreuses personnes ne sont pas prêtes à accorder ces droits aux enfants, car ils entrent en conflit avec des perceptions profondément ancrées quant aux lieux que les enfants sont censés occuper.

La Conversation Canada

Patricia Collins a reçu un financement des Instituts de recherche en santé du Canada (subvention de projet n° PJT-175153) pour l’étude Levelling the Playing Fields. Pour l’initiative nationale Active School Streets, elle reçoit un financement de l’Agence de la santé publique du Canada. Patricia Collins était auparavant affiliée à la Kingston Coalition for Active Transportation, un groupe à but non lucratif chargé de superviser la mise en œuvre du programme School Streets à Kingston. Elle n’est plus membre de ce groupe.

Katherine L. Frohlich a reçu un financement des Instituts de recherche en santé du Canada (numéro de subvention PJT175153) Pour le projet Levelling the Playing Fields. Pour le projet NASSI, elle reçoit un financement de l’Agence de la santé publique du Canada.

ref. Les voitures restreignent le droit des enfants de profiter de la ville. Voici des projets qui font la différence – https://theconversation.com/les-voitures-restreignent-le-droit-des-enfants-de-profiter-de-la-ville-voici-des-projets-qui-font-la-difference-266103