Source: The Conversation – in French – By Mohamed Ouiakoub, Maître de conférences en Sciences de gesiton à l’Université de Lorraine, Université de Lorraine

Les Family Offices, ces structures qui gèrent le patrimoine d’une famille fortunée, investissent de plus en plus dans les marchés privés (non cotés), perçus comme plus rémunérateurs à long terme que les marchés cotés comme le CAC 40. Pourquoi ? Avec quelles limites ?
En Europe, les grandes fortunes familiales s’appuient sur un « Family Office ». Leur patrimoine dépasse généralement les 100 millions d’euros, et atteint en moyenne 1,3 milliard selon l’étude mondiale UBS.
Ces familles se tournent massivement vers le capital-investissement ou private equity, qui consiste à prendre des participations au capital de sociétés non cotées, comme le distributeur Leclerc, le producteur laitier Lactalis ou Galeries Lafayette.
Comme nous l’analysons dans notre article à paraître dans la revue Vie et sciences de l’entreprise, « l’investissement à impact dans les Family Offices : entre héritage et quête de sens », les Family Offices cherchent à accroître leur présence dans le capital-investissement, mais leurs moyens humains et organisationnels restent limités.
Notre étude menée montre que certaines familles affectent plus de 20 % de leur patrimoine à ce type d’investissement. Pourtant, près de 70 % de ces structures comptent moins de dix collaborateurs et moins de la moitié disposent d’un comité d’investissement structuré.
Alors, comment ces grandes fortunes familiales structurent-elles cette nouvelle stratégie ?
Les différentes formes de Family Offices
Un Family Office est une structure privée consacrée à la gestion globale du patrimoine d’une famille fortunée. Il peut assurer des fonctions financières – investissements, fiscalité, transmission, etc. –, mais aussi juridiques, philanthropiques ou éducatives. Ces structures sont nées pour accompagner la pérennité du capital familial sur plusieurs générations, en intégrant des objectifs à la fois financiers, humains et émotionnels.
Ces enjeux sont au cœur de la littérature récente sur la création de valeur durable dans les entreprises familiales, en particulier lorsque les Family Offices participent activement aux décisions stratégiques du groupe familial. Il en existe plusieurs formes.
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Les single family offices, entièrement consacrés à une seule famille.
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Les multi-family offices, qui gèrent les patrimoines de plusieurs familles, parfois sans lien entre elles. D’autres structures, dites professionnalisées, sont intégrées à des institutions financières.
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Les Family offices « intégrés » dans l’entreprise familiale.
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Les Virtual Family Offices, lorsque la structure externalise la majorité de ses services.
Moins de dix personnes en moyenne
Les Family Offices renforcent progressivement leur exposition au capital-investissement, ou private equity, c’est-à-dire l’achat de parts dans des entreprises non cotées. Plus de 40 % des Family Offices interrogés y consacrent plus de 20 % de leur portefeuille, un niveau élevé pour des structures non institutionnelles. Ce choix traduit une confiance croissante dans les marchés privés, perçus comme plus rémunérateurs à long terme que les marchés boursiers traditionnels.
Cette ambition d’allocation se heurte toutefois à des moyens internes limités. La plupart des Family Offices emploient moins de dix personnes et moins de la moitié disposent d’un comité d’investissement structuré. Autrement dit, ils gèrent des portefeuilles complexes avec peu de personnel, souvent sans processus formalisé, ce qui fragilise leur capacité d’analyse, de sélection et de suivi des investissements.
Le principal frein cité par les répondants reste, d’ailleurs, le manque de ressources internes.
Relations humaines
Les investissements réalisés par les Family Offices passent avant tout par leur réseau direct. La majorité des opportunités provient de contacts personnels, loin devant les intermédiaires ou les événements professionnels. Cette approche repose sur la confiance et l’intuition. Mais en se limitant à leur cercle relationnel, ces familles risquent de passer à côté de projets plus innovants ou d’entreprises en dehors de leur environnement habituel.
Dans la répartition de leurs investissements, les familles privilégient les entreprises à fort potentiel de croissance, où elles peuvent mettre à profit leur expérience entrepreneuriale. Lorsqu’il s’agit d’opérations plus techniques, comme les rachats d’entreprises financés par l’endettement bancaire (appelés « Leveraged Buy-Out », ou LBO), elles préfèrent déléguer à des fonds spécialisés. Ces fonds disposent d’équipes nombreuses et aguerries capables de structurer des montages financiers complexes, ce que les petites équipes des Family Offices ne peuvent pas toujours assurer.
Cette complémentarité entre investissement direct et indirect traduit une certaine prudence stratégique. Les familles recherchent avant tout un fort alignement avec les porteurs de projet. Elles tiennent aussi à pouvoir jouer un rôle actif auprès des entreprises dans lesquelles elles investissent, en partageant leur réseau, leur expertise sectorielle ou leur expérience d’entrepreneurs, et pas seulement en apportant du capital.
Valeur durable des entreprises familiales
L’intégration de critères ESG dans les analyses reste minoritaire. Moins de 40 % des Family Offices déclarent prendre en compte les enjeux environnementaux, sociaux ou de gouvernance dans leurs décisions d’investissement selon les résultats de l’étude menée. Ce chiffre montre que la finance durable progresse lentement dans ce segment, malgré une forte montée en puissance dans les pays nordiques ou en Allemagne. Ces questions sont au cœur des réflexions actuelles sur la valeur durable en entreprise familiale.
La qualité des informations disponibles et le manque de marge de négociation avec les fonds constituent des sources de frustration. Concrètement, les Family Offices se plaignent d’un accès limité à des données fiables sur les performances passées des fonds ou sur la solidité des entreprises ciblées. Ils déplorent une faible transparence sur les frais facturés : commissions de gestion annuelles, frais de performance (ou carried interest) ou encore frais annexes liés aux transactions.
Fortes attentes
Malgré ces contraintes, les Family Offices restent confiants dans la trajectoire du capital risque ou private equity. Près de deux tiers se disent optimistes pour les douze mois à venir. Une majorité vise un rendement interne supérieur à 15 % d’après les résultats de l’étude réalisée.
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Cette confiance repose en grande partie sur la qualité perçue des projets technologiques, notamment dans la santé et le deep tech. Ces secteurs sont les plus plébiscités, loin devant l’agritech, l’éducation ou la défense.
Les investisseurs familiaux cherchent à soutenir des innovations porteuses de sens, en lien avec leurs valeurs et leurs expériences entrepreneuriales.
Structurer sans dénaturer
La professionnalisation des Family Office ne doit pas faire perdre ce qui fait leur force : proximité avec les entrepreneurs, liberté stratégique et vision de long terme. Ce sont des atouts précieux dans un écosystème financier souvent standardisé.
Leur gouvernance, leurs choix d’organisation et leur rapport à la durabilité sont au cœur d’une réflexion croissante sur l’investissement à impact dans les grandes fortunes familiales. En naviguant entre héritage, contrôle familial et quête de sens dans la gestion de leurs actifs, les Family Offices sont aujourd’hui à un tournant.
Cet article a été co-écrit avec Rajaa Mekouar, fondatrice et managing partner de Calista Direct Investors.
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Mohamed Ouiakoub ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
– ref. Les Family Offices en avant vers les marchés non cotés – https://theconversation.com/les-family-offices-en-avant-vers-les-marches-non-cotes-261408
