Impôt sécheresse : Pourquoi ce qui était possible en 1976… ne l’est plus en 2025 ?

Source: The Conversation – France (in French) – By Jean-Marc Daniel, Emeritus associate Professor, Law Economics & Humanities, ESCP Business School

En 1976, une canicule s’abat sur la France, mettant en péril les récoltes agricoles. Le gouvernement décide une aide conséquente, qui sera partiellement financée par un impôt « ad hoc ». Retour sur le contexte de l’époque et sur ce qui a changé depuis.


Il y a presque cinquante ans, durant l’été 1976, la France a connu une vague de chaleur mémorable dont le souvenir s’incarne dans la référence à « l’impôt sécheresse ». Cet « impôt » a été décidé pour financer des aides au monde agricole, alors victime de la canicule. Dans son bilan de l’année 1976, l’Insee écrit :

« Pour la troisième année consécutive, le volume de la production agricole totale marque une baisse : 0,8 % en 1974 ; 4,5 % en 1975 ; 1,8 % en 1976. »

Le gouvernement de l’époque, dirigé par Jacques Chirac et placé sous l’autorité du président Valéry Giscard d’Estaing, décide de réagir avec un double objectif :

  • maintenir le pouvoir d’achat d’un monde agricole qui représente encore une part importante de la population (en 1976, on compte un peu moins de 1,4 million de chefs d’exploitation alors qu’en 2024, ce nombre est descendu en dessous de 420 000) ;

  • éviter que pour maintenir leur niveau de vie les agriculteurs n’augmentent fortement leurs prix dans un contexte de forte inflation (11 % en 1976).

Une aide de 5,5 milliards de francs

Étrangement, le 25 août, l’annonce d’une aide de 2,2 milliards de francs, soit 1,6 milliard d’euros d’aujourd’hui, pour les agriculteurs est suivie immédiatement de celle de la démission du premier ministre. Le 27 août, son successeur Raymond Barre présente son équipe dans laquelle Christian Bonnet garde le portefeuille de l’agriculture. Néanmoins se pose la question de la pérennisation d’une action en faveur de l’agriculture qui, précédemment, était largement marquée par la personnalité de Jacques Chirac. Mais Raymond Barre confirme le principe d’une aide qui sera finalement de 5,5 milliards de francs (soit 0,3 % du PIB). Il précise que cette somme ne saurait être financée par un emprunt placé auprès des banques ou des épargnants.

La France de 1976 sort du plan de relance de 1975 et le souci de Raymond Barre est de revenir à une gestion budgétaire reposant sur l’équilibre. En 1975, la France connaît sa première récession depuis 1945. Son PIB se contracte de 1 %, ce qui conduit à l’adoption en septembre d’un plan de relance. Alors que le déficit budgétaire voté fin 1974 pour 1975 était de 4 milliards de francs, il est porté à 38,2 milliards de francs, soit 2,6 % du PIB. Le contenu de ce plan est partagé entre 15 milliards de francs de grands travaux dont le TGV sera le plus emblématique, 5 milliards de francs d’augmentation des allocations sociales et 18 milliards de francs de baisse d’impôts.

Une relance aux résultats mitigés

Une des originalités du financement de l’accroissement du déficit est de faire appel à la Banque de France, alors que la loi de janvier 1973 qui définit son rôle et son statut prévoit dans son article 25 qu’elle ne doit pas prêter directement à l’État – cet article stipule que « le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l’escompte de la Banque de France ».

Pour contourner cette règle, il a été demandé à la Banque de France de verser par anticipation les dividendes des exercices suivants. Le résultat de la relance est mitigé. Bien qu’en 1976, le taux de croissance soit revenu à son niveau de 1974 (4,3 %), le doute s’installe.




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D’abord, le prix à payer a été un creusement sévère du déficit extérieur. Ensuite, malgré ce retour de la croissance, la situation des finances publiques ne s’améliore que lentement. En 1976, le déficit budgétaire atteint 23 milliards de francs, soit 1,3 % du PIB. Enfin et surtout, l’impact sur le chômage est faible. En novembre 1975, Lionel Stoleru, conseiller économique de Valéry Giscard d’Estaing, est interrogé à la télévision sur l’évolution de l’emploi alors que le nombre de chômeurs vient de dépasser le million. Il parle de la nécessité de réformer le marché du travail et ne cache pas qu’il est illusoire de croire que le retour au plein emploi puisse se faire simplement grâce à une augmentation de la demande publique.

Une aide, mais pas d’emprunt

Il se trouve que l’OCDE est sur la même ligne. En 1977, elle publie les conclusions d’un groupe de travail présidé par l’économiste américain Paul MacCracken. Ce rapport affirme qu’une reprise de la croissance de long terme exige une évolution des salaires conforme à celle de la productivité et une gestion budgétaire écartant tout déficit autre que lié au cycle. Or, jusqu’à sa nomination comme ministre du Commerce extérieur en janvier  1976, le représentant de la France au sein de ce groupe est Raymond Barre !

Pour financer les quelque 5 milliards de francs mobilisés pour l’agriculture, Raymond Barre refuse d’emprunter sur les marchés et de faire appel à la Banque de France. Il décide d’augmenter les prélèvements fiscaux. Pour les ménages, cette augmentation se fait selon un dispositif à troisétages. Ceux dont le revenu est inférieur à 70 000 francs (soit 57 000 € d’aujourd’hui) sont exonérés de contribution. Au-delà, l’impôt sur le revenu est majoré dans une première tranche de 4 %, puis dans une tranche supérieure de 8 %.

L’originalité du dispositif est que la première tranche n’est pas, en fait, un impôt mais un emprunt obligatoire, porteur d’un intérêt de 8,8 % qui sera remboursé en décembre 1981.

Tout – ou presque – a changé

Près de cinquante ans plus tard, l’opération de 1976 est souvent évoquée comme un exemple à suivre d’appel exceptionnel, face à des circonstances exceptionnelles, à un effort des Français. Pourtant, bien des choses ont changé.

Le premier constat est que le poids de la dette a considérablement augmenté, passant de 16 % du PIB en 1976 à 114 % aujourd’hui. Dès lors, la situation réclame une action de redressement de longue durée plutôt qu’une mesure ponctuelle. L’opération menée par Raymond Barre et Valéry Giscard d’Estaing s’inscrivait dans un contexte de taux d’intérêt élevés (ceux-ci ont atteint 13 % en 1976). Résultat, la charge de la dette représentait un poids du PIB du même niveau qu’aujourd’hui (2 %). Dès lors, les dirigeants de 1976 s’inquiétaient d’un présent très pénalisant alors que les dirigeants d’aujourd’hui, bercés par l’illusion d’un maintien des taux d’intérêt à de bas niveaux, minimisent, voire ignorent la menace que fait peser l’évolution possible voire probable de ces taux.

TF1 1976 (INA Actu).

Le deuxième est que la permanence d’un déficit public a conduit à revoir les techniques de financement de l’État. Après que la technique de l’emprunt obligatoire a été de nouveau utilisée en 1983 dans le cadre de la mise en place de la « politique de rigueur », les gouvernements qui ont suivi ont développé un système d’appel aux marchés financiers organisé autour de l’Agence France Trésor. Celle-ci a émis, en 2024, 340 milliards d’euros d’emprunts, loin des 10 milliards d’euros que rapporterait l’équivalent de « l’impôt sécheresse » de 1976.

Quoi qu’il en coûte… mais avec des limites

Le troisième constat est que si les acrobaties autour de la Banque de France pour le financement du plan de relance de 1975 ont pu trouver un répondant dans le « Whatever it takes » de la BCE de Mario Draghi, aujourd’hui nos partenaires de la zone euro se montrent de plus en plus irrités par nos arguties dépensières. Ce n’est pas un effort sur une année porté par des considérations climatiques comme la sécheresse, sanitaires comme la Covid ou géopolitiques comme la guerre en Ukraine qui les convaincront que nous n’avons pas à nous discipliner comme l’ont fait, par exemple, les Portugais qui ont dégagé en 2024 un excédent budgétaire de 0,7 % du PIB.

Maintenant que les étés dans les vallées du Rhône ou de la Garonne sont de plus en plus chauds, les canicules ne permettent pas de masquer la nécessité d’un redressement budgétaire durable alors que la hausse des taux d’intérêt se fait de plus en plus menaçante.

The Conversation

Jean-Marc Daniel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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