Le lave-linge, mode d’emploi

Source: The Conversation – in French – By François Lévêque, Professeur d’économie, Mines Paris – PSL

Qui suis-je ? Pesant 60 kilos, mon œil est un hublot et j’avale beaucoup d’eau. Deux indices supplémentaires : j’affiche des programmes et je bats du tambour. Découvrez tout ce que vous ne vous êtes jamais demandé sur votre machine à laver. Et bien plus.


À propos du lave-linge, certains ont affirmé qu’il était une invention plus importante qu’Internet et la meilleure illustration qui soit de l’effet pernicieux des tarifs douaniers de Trump. D’autres ont recommandé de l’utiliser moins fréquemment. En portant par exemple sept fois un pyjama ou un soutien-gorge avant de les laver. Devenu la vedette des équipements domestiques auprès d’analystes autant qu’aux yeux des ménages, la machine à laver est un objet du quotidien, dans les pays les plus riches du moins, qui en dit long sur nos modes de vie et sur l’économie contemporaine.

Avant d’appuyer sur « marche »

Il convient de se rappeler que je n’ai pas toujours existé.

Et de ne surtout pas idéaliser le lavage du linge à la main à l’image des femmes au lavoir ou au bord d’un ruisseau de la peinture romantique. Porter de l’eau, la faire chauffer, frotter le linge, puis le rincer à l’eau claire, enfin le tordre pour l’essorer, toutes ces étapes n’étaient qu’une longue et épuisante corvée.

L’invention et la diffusion de la machine à laver ont été une bénédiction. Hans Rosling, médecin et statisticien suédois, se souvient de sa grand-mère qui, ayant toute sa vie fait la lessive pour ses sept enfants, assiste à la fois médusée et émerveillée au premier lavage en machine. « C’était pour elle un miracle » se rappelle Hans Rosling. Les boomers se souviennent aussi sans doute de la Mère Denis, une lavandière bretonne enrôlée pour faire la publicité à la télé d’une machine à laver.

Le Klingon.

Le monde sans lave-linge est toujours cependant celui de milliards de femmes. De la majorité d’entre elles puisque seule la population qui vit avec plus de 40 dollars par jour peut s’offrir cet équipement. Presque tous les ménages français disposent d’une machine à laver mais moins de 10 % de la population indienne.

En appuyant sur « départ »

J’ai transformé la vie quotidienne, mais j’ai aussi changé la société et son économie.

Plus qu’Internet, même aux yeux d’Ha-Joon Chang, un économiste anglais original. En soulageant les femmes d’une grande partie de leur temps consacré à la lessive, le lave-linge a permis leur entrée en force sur le marché du travail. D’un point de vue économique, plus de salariés signifie davantage de production et donc plus de croissance mesurée par le PIB. D’un point de vue social aussi, le salariat féminin s’est également révélé un facteur majeur de transformation, notamment en rendant les femmes financièrement moins dépendantes et en poussant l’éducation des filles. Sans parler pour les femmes restant au foyer de bénéficier de plus de temps pour s’adonner à autre chose qu’à la corvée de lessive. Lire des livres à leurs enfants ou pour elles-mêmes comme le mentionne Hans Rosling.

Naturellement, tous ces effets ne peuvent être attribués au seul lave-linge. Le temps libre qu’il a libéré n’excède pas une journée par semaine et un lave-linge sans eau courante ni électricité est inutile. Par ailleurs, Ha-Joon Chang comparait les conséquences de l’invention de la machine à laver à celles d’Internet il y a plus de quinze ans de cela. L’usage de cette infrastructure de réseaux permettant de relier les ordinateurs s’est depuis considérablement amplifié et diversifié. Pas sûr que le lave-linge dépasse par ses conséquences économiques et sociales la box. Plus de neuf ménages sur 10 disposent de ces équipements.




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Choisir le programme éco

Je consomme moins d’eau et d’électricité tout en préservant les couleurs et en conservant l’éclat du blanc.

Peu gourmand en électricité, environ 5 % de la consommation électrique du foyer, le lave-linge est un grand buveur, puisque près de 12 % de l’eau du logement y passe. Pour réaliser des économies n’hésitez pas à laver à 30 degrés et à sélectionner le programme éco, même si son cycle est beaucoup plus long. Les fabricants sont tenus d’en proposer un en Europe depuis quelques années déjà.

Le programme éco sert d’ailleurs de référence pour l’affichage des performances sur l’étiquette. Lisez-les attentivement avant de choisir votre lave-linge. Si vous achetez le moins cher chez Miele (plus de mille euros tout de même) vous apprendrez que pour une charge de 8 kg, il consomme par cycle 48 litres et 0,4 kWh, chauffe à 35 °C maximum et tourne 3 heures 39. Sauf arthrose des genoux, optez pour un chargement frontal. Contrairement aux modèles qui se chargent par le haut, ils fonctionnent sans que la cuve soit pleine. Ils utilisent donc moins d’eau du robinet, qu’il faut ensuite à chauffer.

Aux États-Unis comme en Europe, les obligations réglementaires imposées aux constructeurs ont rendu le lave-linge considérablement plus performant. En trente ans, la consommation d’eau et d’électricité a été divisée par trois. Le linge sorti du tambour n’est pas pour autant plus sale !

Et le consommateur n’en sort pas perdant en payant plus cher. Aux dépenses d’usage qui baissent s’ajoute la diminution de la facture pour l’achat du lave-linge qui représente environ le tiers du coût total. La réglementation se traduit en effet par une baisse de son prix moyen. L’adoption annoncée à l’avance d’un nouveau standard, plus exigeant, aboutit à l’apparition de nouveaux modèles sur le marché mais elle entraîne aussi une baisse du prix des modèles anciens. Les fabricants veulent encore en vendre, à tout le moins écouler leurs stocks. En outre, la réglementation tend à réduire les possibilités de différenciation entre les modèles concurrents. Produits plus homogènes égale moins de marge et donc prix plus bas.

Une touche sobriété controversée

Je fais uniquement ce que l’on me commande de faire.

Pour réduire votre empreinte écologique, vous pouvez aussi laver moins fréquemment votre linge. Cette affirmation banale est devenue le sujet d’une violente polémique. Au début de 2025, l’ADEME publie le guide pratique « Comment faire le ménage de façon plus écologique ». Ce alors même que montent de virulentes critiques contre les politiques d’environnement et les agences publiques, jugées toutes deux inutiles et coûteuses principalement par la droite et son extrême.

La fréquence de lavage va devenir en quelques jours une actualité médiatique et politique sur la base d’une infographie publiée dans Le Parisien et reprise partout. Elle liste des recommandations de l’ADEME très pointues : porter 7 fois un soutien-gorge et un pyjama avant de le laver, on l’a déjà dit ; mais aussi 15 à 30 fois pour un jean ou encore 1 à 3 fois pour un vêtement de sport. Cette infographie n’est pourtant pas dans le guide de l’ADEME ! Celui-ci se contente d’établir trois catégories en citant des exemples de vêtements qui doivent être lavés après avoir été portés une seule fois, plusieurs fois et plusieurs semaines. D’où vient alors l’infographie du « Parisien » avec la légende « source Ademe » ? Mystère. Peut-être d’une autre réalisée en 2023 « en partenariat avec l’Ademe » par un media numérique de France Télévisions. Cette liste comporte toutefois trois différences. Petit jeu : à vous de les trouver.

Pour éteindre le feu, le président de l’Ademe, Sylvain Waserman, déclarera

« Je vous rassure, chacun fait ce qu’il veut »

Ouf ! Ne pas confondre en effet un certain paternalisme de l’intervention publique et des lois restrictives de liberté.

Un autre programme éco

J’ai l’honneur d’avoir un article rien que sur moi dans la plus prestigieuse revue d’économie au monde.

L’obsession de Donald Trump pour fixer des tarifs douaniers hors norme ne date pas du Liberation Day d’avril dernier. Rappelez-vous, il brandissait un tableau présentant les nouvelles taxes à l’import en provenance d’une vingtaine de pays, soi-disant en réponse à leurs barrières aux produits américains. Lors de son premier mandat, il avait déjà annoncé la couleur par une taxe de 20 % sur les lave-linge. Sur d’autres produits également mais c’est la machine à laver qui a retenu l’attention d’un trio d’économistes américains pour étudier sous toutes les coutures les effets de sa taxation. Leurs résultats, parus en juillet 2020 dans l’American Economic Review, servent aujourd’hui de référence pour illustrer les effets des restrictions aux importations sur la relocalisation de la production et sur les prix.

C’est pas sorcier – 2017.

Une des prouesses des auteurs est d’avoir su tracer finement les mouvements du lave-linge de leur pays de production jusqu’aux consommateurs américains. Les flux d’importation proviennent initialement du Mexique et de la Corée. Puis ils se tarissent, remplacés par des importations venues de Chine, elles-mêmes chassées ensuite par des importations en provenance du Vietnam et de Thaïlande. Cette partie de saute-mouton résulte d’une série de restrictions des États-Unis qui ont dans cet ordre affecté les importations de lave-linge. À mesure que certains pays étaient bannis, d’autres prenaient le relais. On retrouve toutefois les mêmes entreprises à la manœuvre : Samsung et LG Electronics. Les deux firmes coréennes ont su réallouer leur capacité de production pour s’adapter aux diktats américains.

Première leçon : les restrictions ciblées sur un pays échouent à stopper significativement les importations. Les multinationales, implantées ailleurs, s’en jouent aisément.

Cette leçon apprise, les États-Unis ont imposé une taxe de 20 % sur toutes les importations de lave-linge début 2018 à l’arrivée au pouvoir de Donald Trump. Tous les pays sont désormais logés à la même enseigne. La question de recherche porte alors sur les effets-prix. Leur élucidation est un travail compliqué car les variations de prix peuvent s’expliquer par d’autres facteurs, par exemple une évolution du coût de l’acier ou du transport maritime.

Notre trio de chercheurs réussit à établir que la taxe a causé une hausse du prix d’achat du lave-linge aux États-Unis de 12 %. Les producteurs ont donc su répercuter 60 % du montant de la taxe sur le dos des consommateurs. En réalité, ils ont fait mieux que cela car ils en ont profité pour augmenter d’environ 12 % aussi le prix des sèche-linge qui pourtant n’étaient pas taxés ! Lave-linge et sèche-linge sont des produits très complémentaires, souvent achetés ensemble, fabriqués par les mêmes entreprises, avec des modèles qui vont souvent par paire. Bref, la baisse d’une marge ici peut être rattrapée et même plus que compensée par une hausse à côté. Bien joué !

Seconde leçon : les consommateurs sont les grands perdants.

Les auteurs ont également observé que la production sur le sol américain pourtant non taxée avait suivi la hausse des prix. La concentration du marché rendant la concurrence imparfaite, les fabricants locaux ont pu relever leur marge. Une opportunité dont Samsung et LG Electronics se sont eux-mêmes saisis. En effet, dès qu’elles ont vu venir sous l’administration Obama la première salve de mesures protectionnistes contre leurs lave-linge, elles ont construit une usine, l’une en Caroline du Sud, l’autre dans le Tennessee. Troisième leçon, les producteurs du territoire protégé sont les grands gagnants.

Quatrième leçon l’emploi local créé par les tarifs revient très cher. 1800 personnes ont été embauchées dans les usines. En rapportant ce chiffre au surcoût des consommateurs qui ont dû acheter leur lave-linge et sèche-linge plus cher, la facture s’élève à près d’un million de dollars par an par emploi créé.

Cycle rapide pour finir

Évitez d’y recourir, il m’abîme et me fatigue.

Le programme rapide n’est pas conseillé, car il est le plus énergivore et lave moins bien. Mais très rapidement, quelques dernières observations pour vos achats et utilisations : un lave-linge bon marché va vous coûter plus cher à l’usage en frais de fonctionnement (eau et électricité) et réparation.

A contrario, demandez-vous si vous avez vraiment besoin d’un lave-linge connecté, avec de l’IA et qui parle. Vérifiez que le modèle de votre choix est bien équipé d’un filtre pour les microplastiques (700 000 microfibres rejetées par cycle de lavage) mais n’en profitez pas pour autant à acheter plus de vêtements synthétiques. Sachez que la lessive en poudre est meilleure pour l’éclat du blanc et la lessive liquide pour préserver les couleurs. Ne surdosez pas la lessive et évitez la demi-charge. Enfin, pour plus de conseils reportez-vous au guide d’achat de lave-linge de « Que Choisir » et faites éventuellement appel à un « coach en écologie d’intérieur » .

The Conversation

François Lévêque ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Le lave-linge, mode d’emploi – https://theconversation.com/le-lave-linge-mode-demploi-266019