Source: The Conversation – France (in French) – By Isabelle Barth, Secrétaire général, The Conversation France, Université de Strasbourg
Devenir manager n’est pas aisé, notamment vis-à-vis de ses anciens collègues. Comment faire pour devenir le chef de ceux qui étaient hier encore de bons copains, voire des amis ? S’il est difficile de couper tous les liens du jour au lendemain, la prise de poste doit être aussi une prise de distance. À chacun de trouver la bonne.
Quand on accepte un poste de manager, une des exigences les plus difficiles à gérer, c’est de renoncer à être aimé par ses collaborateurs. Cette épreuve, difficile à surmonter, est rarement évoquée ou étudiée.
La situation est encore plus complexe quand on devient le manager de ses anciens collègues. On s’appréciait, on riait ensemble, on faisait des « afterwork sympas, on se rendait des petits services, on échangeait des commérages… il arrivait même qu’on se moquait du patron ! Et là, STOP ! Si le tout nouveau manager pense ou espère que ce sera toujours possible, il comprend vite qu’il n’en est rien.
Comme un lundi
Le matin où il prend ses nouvelles fonctions, il devient instantanément – ou presque – le « chef », le « patron », le « boss », et le regard comme l’attitude des ex-collègues change radicalement. Car ils ne s’y trompent pas. C’est de lui maintenant que leur vie professionnelle dépend au quotidien. Missions, moyens, avantages divers, dates des congés payés, accord sur les RTT… sont du ressort de ce nouveau manager.
Les relations amicales, si elles persistent, risquent vite de dériver vers de la manipulation plus ou moins voulue et consciente, mettant en péril la cohésion de l’équipe et sa performance. Les exemples sont nombreux. En voici quelques-uns :
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Créer le syndrome du chouchou avec tous les conflits et les jalousies que cela peut provoquer, et leurs impacts délétères sur le climat de l’équipe,
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Générer des pertes de temps en bavardages, ou pauses allongées
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Prendre des décisions avec des biais dus à l’amitié, par exemple : ne pas vouloir décevoir ou avoir un a priori positif pour le projet d’un collaborateur/ami,
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Laisser fuiter des informations confidentielles car « un ami ne trahit pas un secret » !
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Avoir des réactions affectives à des remarques ou des remises en cause…
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Mon meilleur ami
Le nouveau manager peut alors renoncer à son poste car l’amitié est pour lui un facteur majeur de qualité de vie au travail. C’est ce que nous disent les salariés canadiens qui sont 68 % à attribuer une note de 8, 9 ou 10 (sur 10) à leur satisfaction à l’égard des amitiés au travail. Les salariés français ne sont pas en reste quand 82 % d’entre eux estiment que les relations entre collègues permettent d’oublier la pénibilité du travail
On a une illustration très forte de cette option dans la série télévisée « 37 secondes » qui traite du naufrage mystérieux du Bugaled Breizh, occasionnant la mort de 5 marins-pêcheurs. L’ensemble du combat des familles pour faire valoir la vérité sur la cause de l’accident est vu par les yeux de Marie, une jeune femme, employée dans une poissonnerie industrielle. Elles sont 6 ou 7 femmes à préparer les poissons qui viennent d’être pêchés en mer pour la vente, écaillant, éviscérant, toute la journée dans un atelier où règne une température très basse. Leur amitié est ce qui les fait tenir.
Or, Marie nourrit le projet de devenir cheffe d’atelier, pour échapper à ce travail si dur et pour des raisons financières. Elle saute de joie quand elle apprend qu’elle a le poste, mais, très vite, elle va perdre ses amies/ex-collègues, qui s’éloignent d’elle, l’excluant de tous les moments off et des discussions au travail, et la soupçonnant même d’être « vendu » à la Direction. Marie va faire le job quelques semaines, et, très vite, elle va demander à reprendre sa place d’ouvrière.
Ni trop près ni trop loin
Si le manager veut garder son poste et devenir un vrai bon manager, il doit renoncer à être un vrai bon pote avec ses équipes. Il doit très vite apprendre à trouver la bonne distance avec ses ex-collègues. Car si trop de proximité peut causer des difficultés, il n’est pas question de s’éloigner de ses anciens camarades. Un minimum de dialogue reste nécessaire quand on est manager.
Le mieux est donc de bien expliciter la nouvelle situation assez rapidement après la prise de poste, lors d’une réunion, où seront présentées plus globalement les nouvelles dispositions managériales : options stratégiques, organisations, répartition des tâches, objectifs… La meilleure formule est de reconnaître que ce n’est pas forcément une transition simple à gérer, mais qu’elle doit avoir lieu.
À chacun sa manière
Certains nouveaux managers ont besoin de créer la rupture très vite, d’autres vont modifier leurs habitudes très progressivement : ne plus être au café du matin, ne plus déjeuner ensemble à la cantine (du moins pas tous les jours !), moins se voir en dehors du travail…
Comme toujours, tout est à moduler en fonction des personnes, du moment, du contexte. Je me souviens avoir rencontré un manager qui m’avait expliqué avoir choisi de vouvoyer ses ex-collègues (qu’il tutoyait jusque là) pour marquer cette distance. Visiblement, cela lui avait permis de franchir le pas.
Arriver comme manager d’une équipe qu’on ne connaissait pas est plus simple. Mais on peut avoir la tentation de se faire « aimer » en jouant le bon pote : offrir des verres, rendre des services…
Le rôle de la convivialité
Si on se fait apprécier très vite, c’est un très mauvais calcul à long terme ! Le manager se met en position difficile pour toutes sortes de situations qu’il devra gérer : dire non à une demande congés, arbitrer entre deux collaborateurs pour une formation, recadrer des comportements inappropriés. Mais attention, si l’amitié, au sens affectif, n’a pas sa place entre un manager et ses équipes, la convivialité et le respect sont essentiels. Il ne s’agit pas de virer au chefaillon ni de tomber dans l’autoritarisme ! Le rejet serait immédiat !
Un manager doit gagner le respect de ses équipes, par ses compétences, par sa capacité à prendre les bonnes décisions, à gérer les conflits, à traiter les personnes qu’il dirige en toute équité, sa capacité à faire confiance, à être à l’écoute. Toutes ces compétences permettent à chacun de travailler en toute sérénité et en toute sécurité psychologique. Elles ne peuvent s’exercer pleinement si l’affectif s’en mêle. Définitivement, un bon manager ne peut être un bon pote. Pas plus qu’être un bon pote ne soit une garantie pour devenir un bon manager !
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Isabelle Barth ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
– ref. Un bon manager ne peut pas être un bon pote – https://theconversation.com/un-bon-manager-ne-peut-pas-etre-un-bon-pote-263851
