Paracétamol pendant la grossesse : que sait-on d’un éventuel lien avec l’autisme ?

Source: The Conversation – France in French (3) – By Séverine Mazaud-Guittot, Chargée de recherches Inserm, Biologie du développement, Toxicologie, Université de Rennes 1 – Université de Rennes

Donald Trump, président des États-Unis, a déclaré que l’utilisation de paracétamol par les femmes enceintes faisait courir un risque d’autisme aux enfants à naître. Il leur a vivement déconseillé d’en prendre. Sur quelle base s’appuie cette recommandation ? Que disent réellement les études scientifiques ? Pourquoi est-il si difficile d’établir un tel lien ?


C’est une annonce qui a fait couler beaucoup d’encre. Le 22 septembre 2025, le président des États-Unis Donald Trump a déconseillé la prise de paracétamol
aux femmes enceintes
, assurant que l’absorption de ce médicament pendant la grossesse était associée à une augmentation du risque d’autisme chez les nouveau-nés.

Formulée en présence de Robert F. Kennedy Jr., secrétaire à la santé et aux services sociaux, et Marty Makary, commissaire aux aliments et aux drogues à la Food and Drug Administration, cette assertion repose notamment sur les conclusions d’une méta-analyse récemment publiée. Pourtant, ces travaux, comme d’autres avant eux, n’ont pas permis d’établir de consensus scientifique clair.

Pourquoi est-il si difficile de vérifier l’existence d’une association entre la prise de paracétamol pendant la grossesse et la survenue de troubles du neurodéveloppement chez l’enfant ? Et qu’en pense, à l’heure actuelle, la communauté scientifique ?

Des interrogations légitimes ?

On sait aujourd’hui que certaines des molécules chimiques produites par l’industrie peuvent se retrouver dans l’environnement et exercer une influence sur notre santé. L’exposition à ces composés chimiques est particulièrement préoccupante pendant la grossesse, car elle peut avoir des conséquences pour la santé du futur nouveau-né.

Depuis cette prise de conscience, les scientifiques ont redoublé d’efforts pour analyser les effets de milliers de composés chimiques auxquels nous pouvons être exposés involontairement. Au début des années 2010, cette mobilisation a permis de mettre en évidence que l’usage de certains médicaments, qui s’est accru au fil des dernières décennies, constitue lui aussi une source d’exposition à divers composés chimiques potentiellement toxiques pour les femmes enceintes.

Or, l’un des médicaments les plus prescrits et consommés est le paracétamol, présent dans presque toutes les armoires à pharmacie et autres sacs à main. Ce constat a conduit les chercheurs à s’interroger : le paracétamol peut-il engendrer des effets à long terme sur les individus exposés in utero ? Si tel est le cas, doit-il être considéré comme un perturbateur endocrinien ? Parmi les conséquences suspectées, un lien avec la survenue de troubles du développement neuronal a été évoqué.

Pas de consensus clair

Depuis une dizaine d’années, de nombreuses études épidémiologiques ont été menées pour évaluer si une exposition au paracétamol pendant la vie intra-utérine pouvait avoir un effet sur la santé de l’enfant.

Ces études, dites « de population », portent sur des cohortes, autrement dit des groupes de personnes. Dans le cas présent, elles impliquent d’une part de caractériser l’exposition des femmes au paracétamol (par exemple via des questionnaires qu’elles remplissent, ou par l’interrogation des bases de données des prescriptions de l’assurance maladie) et, d’autre part, d’évaluer les effets sur l’enfant (grâce à des examens cliniques spécifiques ou l’analyse des registres de malformations).




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Pour tenter de mettre en évidence de potentiels effets du paracétamol sur le développement, les chercheurs qui ont mené ces différents travaux se sont focalisés sur trois niveaux : le système nerveux (en analysant par exemple les troubles du comportement et de l’attention), le système respiratoire (en évaluant l’existence d’asthme ou de sifflement respiratoire) ou le système reproducteur (en effectuant le suivi d’éventuelles malformations congénitales).

Globalement, quel que soit le critère considéré, aucun consensus n’a émergé sur une éventuelle association entre l’exposition au paracétamol et un effet donné. Les études mises en place ont parfois même abouti à des conclusions apparemment contradictoires. Certains experts ont par ailleurs exprimé des réticences vis-à-vis des études de populations en elles-mêmes. Plusieurs paramètres compliquent en effet l’interprétation des résultats de telles études.

Les limites des études de population

Au nombre des critiques formulées vis-à-vis des études épidémiologiques mises en place figure le recueil des données d’exposition. En effet, si ces dernières permettent de connaître le pourcentage de femmes ayant pris au moins une fois du paracétamol durant leur grossesse, la plupart du temps la durée des prises, la dose administrée ou le trimestre durant lequel le médicament a été consommé ne sont pas indiqués.

De ce fait, il n’est pas possible de distinguer les expositions ponctuelles (par exemple dans le cas du traitement d’une migraine) d’expositions plus longues, d’une à deux semaines ou davantage. Ce qui peut bien évidemment affecter l’évaluation des risques.

Par ailleurs, les méthodes utilisées (questionnaires, critères cliniques d’évaluation…) peuvent différer d’une étude à l’autre, ce qui ne facilite pas leur comparaison dans les méta-analyses (des approches statistiques visant à synthétiser les résultats d’études indépendantes menées sur un sujet de recherche donné). En conséquence, lesdites méta-analyses n’ont pas toujours permis d’aboutir à une conclusion tranchée.

Qu’en est-il de la méta-analyse sur laquelle s’appuie l’administration Trump ? Ses auteurs se sont penchés sur 46 études précédemment réalisées dans le but de mettre en évidence d’éventuels liens entre prise de paracétamol pendant la grossesse et troubles neurodéveloppementaux.

Selon Andrea Bacarelli, doyen de l’école de santé publique de Harvard et coauteur de cette méta-analyse, les résultats montrent des « preuves d’association » entre l’exposition prénatale au paracétamol et le risque de troubles neurodéveloppementaux. Cette association serait « plus forte lorsque le paracétamol est pris pendant quatre semaines ou plus ».

Cependant, comme le soulignent les auteurs eux-mêmes, cette association n’est pas une preuve de causalité, en raison notamment des limites mentionnées précédemment, qui concernent bien entendu également les études observationnelles analysées ici.

Un diagnostic de l’autisme qui a évolué

Le fait de s’intéresser à l’autisme complique lui aussi les analyses. En effet, le diagnostic de ce trouble, qui ne repose pas sur des analyses biologiques ou anatomiques quantifiables, a beaucoup évolué au cours des dernières décennies.

Aujourd’hui, le spectre des formes d’autisme couvert par les diagnostics est plus large que par le passé. En outre, les professionnels sont davantage sensibilisés à cette question. Par conséquent, les études de populations les plus anciennes ont certainement sous-estimé le nombre de personnes considérées aujourd’hui comme atteintes d’autisme. Ce biais pourrait avoir faussé leurs conclusions.

Davantage de recherches sont donc nécessaires pour éclaircir la question des liens entre troubles neurodéveloppementaux (en particulier l’autisme) et la prise de paracétamol par les femmes enceintes. Il faudra notamment mettre en place des études plus fines et détaillées, faisant appel à des questionnaires ciblés plutôt que généraux. Elles devront prendre en considération à la fois la prescription et l’automédication, les doses, la durée et la période d’exposition.

À ce sujet, soulignons un point important. Afin que les analyses statistiques mises en œuvre pour exploiter les données recueillies au cours des études épidémiologiques soient solides, il est nécessaire de collecter de grandes quantités d’informations provenant de nombreuses femmes et enfants. Il faut donc disposer de cohortes de grande taille.

Une récente étude suédoise s’est justement penchée sur l’analyse des données issues d’une très grande cohorte, comptant près de 2,5 millions d’enfants. Si l’étude a révélé une faible association positive entre l’exposition au paracétamol durant la grossesse et l’incidence de l’autisme ou du trouble de l’hyperactivité avec déficit de l’attention (TDAH), ce lien a disparu après une analyse complémentaire comparant les membres de fratries nés de la même mère. Selon les auteurs, la véritable cause de cette association pourrait être la génétique maternelle, et non le paracétamol.




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Ces travaux répondent à l’une des critiques formulées à l’encontre des études de population. Pour que leurs résultats soient fiables, il faut veiller à ce que d’autres paramètres que les seuls facteurs environnementaux soient pris en compte. C’est par exemple le cas du bagage génétique, en particulier dans le cas de l’autisme (ce trouble peut en effet dans une large mesure résulter de causes génétiques). Or, les études réalisées jusqu’ici n’utilisaient pas systématiquement ce paramètre comme facteur de correction.

Dernier point qui complique les interprétations : le fait que les répercussions directes d’une exposition au paracétamol in utero sont difficiles à évaluer sur le long terme. En effet, le fœtus, puis l’enfant sont exposés à bien d’autres produits chimiques durant leur existence. En outre, l’autisme peut n’être détecté que tardivement, ce qui allonge le délai entre l’exposition et le diagnostic, démultipliant les expositions à d’autres molécules.

Pour circonvenir aux limites des études épidémiologiques, les chercheurs peuvent se tourner vers des études complémentaires, réalisées grâce à des modèles expérimentaux. Que nous apprennent-ils sur ce cas précis ?

Que disent les modèles expérimentaux ?

Ce type d’étude vise à évaluer non seulement les effets directs du paracétamol, son mode d’action, mais aussi ses effets à long terme. Les scientifiques recourent pour cela à divers modèles, tels que des cultures de cellules ou des animaux de laboratoire. Il n’est en effet pas envisageable, d’un point de vue éthique, d’obtenir des informations directes sur les expositions chez l’être humain. On ne peut pas prendre le risque de rendre sciemment malades des participants à une étude !

Le problème de cette approche est que, là encore, les pièces du puzzle ne s’assemblent pas vraiment pour le moment. En effet, il n’existe pas de modèle de laboratoire unique et parfait, notamment pour le cerveau. En outre, les lignées de cellules dont les scientifiques auraient besoin n’existent pas forcément (notamment dans le cas des cellules fœtales).

Résultat : les nombreuses études existantes, parfois anciennes, menées sur de nombreux modèles différents, n’ont pas forcément permis de dégager des données cohérentes et reproductibles.

Pour cette raison, des laboratoires développent de nouvelles méthodologies in vitro efficaces et pertinentes pour l’être humain, afin de dépister et d’évaluer le potentiel neurotoxique des produits chimiques. À ce jour, les tests utilisant ces nouveaux outils ont échoué à démontrer une toxicité du paracétamol. Il faut cependant souligner que si de tels outils permettent d’étudier la toxicité aiguë du paracétamol, ils ne permettent pas d’évaluer ses effets sur le fonctionnement à long terme d’un réseau de neurones.

Les modèles animaux – des rongeurs – permettent quant à eux des études sur les effets à long terme. Cependant, l’extrapolation des données de l’animal à l’humain reste délicate. C’est particulièrement le cas en ce qui concerne le paracétamol, puisque la capacité de détoxification de ce médicament par l’organisme varie beaucoup d’une espèce à l’autre.

Par ailleurs, dans la plupart des études faites chez le rat, les doses utilisées pour montrer une neurotoxicité sont celles mimant une intoxication aiguë au paracétamol. Autrement dit, des doses massives, très éloignées des doses thérapeutiques.

Enfin, d’une manière générale, si des tests chez la souris peuvent révéler une altération du comportement après une exposition (postnatale), ces tests ne permettent pas d’évaluer de manière fiable leur similitude avec un trouble du spectre autistique, même s’il existe des exceptions.

Une analyse globale des données portant sur les rongeurs a conclu qu’il n’existait aucune preuve cohérente d’effets indésirables sur le système nerveux après une exposition au paracétamol à des doses thérapeutiques et/ou non toxiques.

Il reste encore de nombreuses parts d’ombre concernant les mécanismes moléculaires d’action du paracétamol sur les différents types de cellules qui composent l’organisme. En effet, il n’existe pas pour l’instant de modèle expérimental parfait, capable de faire le lien entre les effets moléculaires immédiats, cellulaires, du paracétamol, et ses effets à long terme sur des organes ou fonctions humains.

En attendant, débanaliser sans alarmer

Les présomptions actuelles concernant les conséquences de l’exposition au paracétamol durant la grossesse reposent sur un faisceau d’indices issus d’approches scientifiques complémentaires qui doivent encore être consolidées.

À ce titre, invoquer le principe de précaution n’est pas dénué de fondement. Il est important d’informer et de sensibiliser les populations à risque. Il faut débanaliser la consommation de paracétamol (agences réglementaires et ONG s’y emploient), notamment par les femmes enceintes.

Cependant, l’existence de recherches toujours en cours ne doit pas faire naître un sentiment d’incertitude anxiogène, ou une culpabilité injustifiée chez les femmes enceintes. Les risques pourraient être qu’elles se tournent vers des alternatives thérapeutiques moins sûres, telles que les anti-inflammatoires non stéroïdiens. Dès le 6e mois de grossesse, ces médicaments peuvent en effet entraîner des problèmes graves chez le bébé (insuffisance cardiaque, rénale, et dans les cas extrêmes, la mort in utero).

Les experts ne disent pas autre chose, y compris ceux qui ont produit la méta-analyse sur laquelle se base l’administration Trump. Dans le communiqué diffusé par leur université à propos de leurs travaux, ils précisent que selon eux :

« même s’il convient de prendre des mesures pour limiter l’utilisation du paracétamol, ce médicament est important pour traiter la douleur et la fièvre pendant la grossesse, lesquels peuvent également nuire au développement du fœtus. Une forte fièvre peut augmenter le risque de malformations du tube neural et de naissance prématurée. »

Remettre en question la balance-bénéfice/risque d’un antalgique et antipyrétique aussi courant que le paracétamol s’avère être un exercice d’équilibriste compliqué, les autorités étant suspendues entre alarmisme et pragmatisme.

Finalement, la règle d’or doit rester l’adage : « la dose efficace la plus faible, pendant la durée la plus courte nécessaire au soulagement des symptômes ». Et en cas de questions, médecins et pharmaciens restent les personnes de référence.

The Conversation

Séverine Mazaud-Guittot a reçu des financements de l’ANR et l’ANSM pour réaliser ses travaux de recherche.

ref. Paracétamol pendant la grossesse : que sait-on d’un éventuel lien avec l’autisme ? – https://theconversation.com/paracetamol-pendant-la-grossesse-que-sait-on-dun-eventuel-lien-avec-lautisme-266122