Paracétamol et autisme : notre étude portant sur 2,5 millions d’enfants n’a révélé aucun lien

Source: The Conversation – France in French (3) – By Renee Gardner, Principal Researcher, Department of Public Health Sciences, Karolinska Institutet

Selon Donald Trump, président des États-Unis, la prise de paracétamol pendant la grossesse serait liée à un risque accru d’autisme. La plus grande analyse statistique jamais menée sur le sujet, qui a porté sur les données de plus de 2,5 millions d’enfants, n’a pourtant trouvé aucune preuve d’un tel lien.


Le président des États-Unis, Donald Trump, a récemment affirmé que l’usage, pendant la grossesse, de paracétamol (un analgésique également appelé acétaminophène et commercialisé sous le nom de Tylenol aux États-Unis) expliquerait la hausse du nombre de diagnostics d’autisme. Il a suggéré que les femmes enceintes devraient « supporter sans traitement » la fièvre ou la douleur plutôt que d’utiliser ce médicament aux effets antalgique (contre la douleur) et antipyrétique (contre la fièvre).

Cette déclaration a suscité inquiétude et confusion dans le monde entier, mais il n’existe à l’heure actuelle aucune preuve scientifique solide pour étayer l’affirmation de Donald Trump. C’est notamment ce que révélaient nos propres travaux. Publiés en 2024, ils ont porté sur près de 2,5 millions de naissances en Suède. Pourtant, ils n’ont pas permis de mettre en évidence que l’emploi de paracétamol pendant la grossesse augmente le risque d’autisme chez l’enfant. Il s’agit de la plus vaste étude menée à ce jour sur le sujet.

Plus de 25 ans de données

Pour déterminer si cette molécule représente réellement un risque pendant la grossesse, nous avons utilisé les données contenues dans les registres nationaux de santé suédois, qui comptent parmi les plus complets au monde. Notre étude a suivi près de 2,5 millions d’enfants nés entre 1995 et 2019, sur une durée allant pour certains d’entre eux jusqu’a 26 ans.

En combinant les données de délivrance de prescriptions et les entretiens menés par les sages-femmes lors des visites prénatales, nous avons pu identifier les mères ayant déclaré utiliser du paracétamol (environ 7,5 % des femmes enceintes) et celles qui ont affirmé ne pas y avoir eu recours pendant leur grossesse.

Nous avons également veillé à prendre en compte les variables susceptibles d’influer sur les résultats de notre analyse statistique. Nous avons notamment considéré des facteurs tels que la fièvre ou la douleur, qui auraient pu inciter une mère à avoir eu recours au paracétamol lorsqu’elle était enceinte. L’objectif était de nous assurer que la comparaison entre les deux groupes s’avère réellement équitable.

Nous nous sommes ensuite intéressés aux problèmes neurodéveloppementaux des enfants – en particulier aux diagnostics d’autisme, de trouble de l’attention avec hyperactivité (TDAH) ou de déficience intellectuelle.

La force de notre étude vient de la possibilité, grâce à ces données, de comparer des fratries. Nous avons ainsi pu confronter les trajectoires d’enfants nés de la même mère, dans des cas où le paracétamol avait été utilisé pendant l’une des grossesses, mais pas au cours de l’autre. Nous avons ainsi étudié plus de 45 000 paires de frères et sœurs dont au moins l’un avait reçu un diagnostic d’autisme.

Ce dispositif fondé sur une comparaison intrafamiliale est puissant, car les frères et sœurs partagent une grande partie de leur patrimoine génétique et de leur environnement familial. En cas de troubles neurodéveloppementaux, il permet de distinguer si c’est bien le médicament lui-même qui est responsable des problèmes, ou s’il est plus probable que les anomalies soient plutôt dues à des caractéristiques familiales sous-jacentes ou à des affections dont souffrirait la mère.

Usage du paracétamol et autisme

Dans un premier temps, en nous plaçant à l’échelle de l’ensemble de la population, nous avons fait le même constat que celui posé par des études antérieures : les enfants dont les mères avaient déclaré utiliser du paracétamol pendant leur grossesse étaient légèrement plus susceptibles de se voir poser un diagnostic d’autisme, de TDAH ou de déficience intellectuelle.

Cependant, une fois effectuées les comparaisons entre frères et sœurs, cette association disparaissait totalement. Autrement dit, lorsque nous comparions des fratries où l’un des enfants avait été exposé in utero au paracétamol et l’autre non, la différence de probabilité d’obtenir ultérieurement un diagnostic d’autisme, de TDAH ou de déficience intellectuelle disparaissait.

A pregnant woman holds a glass of water in one hands and a pill in the other hand.
Notre étude n’a mis en évidence aucune association entre l’utilisation de paracétamol pendant la grossesse et le risque, pour l’enfant, de se voir poser un diagnostic d’autisme.
Dragana Gordic/Shutterstock

Notre étude n’est pas la seule à avoir cherché à répondre à cette question. Des chercheurs au Japon ont récemment publié les conclusions de travaux basés sur un dispositif de comparaison intrafamiliale similaire, et leurs résultats concordent étroitement avec les nôtres.

Fait important à souligner, les scientifiques japonais ont reproduit ces conclusions dans une population au bagage génétique différent et où les usages de paracétamol pendant la grossesse divergent sensiblement. En effet, au Japon, près de 40 % des mères ont déclaré avoir utilisé ce médicament pendant leur grossesse. À titre de comparaison, moins de 10 % des mères suédoises l’avaient employé.

En dépit de ces différences, la conclusion est identique. Lorsqu’on compare des frères et sœurs, rien n’indique que l’utilisation de paracétamol pendant la grossesse accroisse le risque d’autisme ou de TDAH.

Ces résultats marquent une évolution importante par rapport aux travaux antérieurs, qui reposaient sur des données plus limitées, des cohortes plus restreintes et ne tenaient pas compte des différences génétiques. Ils ne documentaient pas non plus les raisons pour lesquelles certaines mères recouraient aux antalgiques pendant leur grossesse, alors que d’autres s’en abstenaient.

Pourtant, ce point peut avoir son importance. En effet, les mères qui prennent du paracétamol sont plus susceptibles de souffrir de migraines, de douleurs chroniques, de fièvre ou d’infections sévères. Or, on sait que ces affections sont elles-mêmes liées génétiquement à l’autisme ou au TDAH, ainsi qu’à la probabilité, pour leurs enfants, de se voir ultérieurement diagnostiquer l’une de ces affections.

En science statistique, ce type de « facteurs confondants » (ou « facteur de confusion ») peut engendrer des associations convaincantes en apparence, sans pour autant refléter une véritable relation de cause à effet.

Reste la question que beaucoup se posent : comment interpréter ces informations, si l’on est enceinte et que l’on souffre de douleur ou de fièvre ?

Il est important de savoir que laisser se développer une maladie sans la traiter durant la grossesse peut s’avérer dangereux. Chez une femme enceinte, la survenue d’une forte fièvre peut par exemple accroître le risque de complications pour la mère comme pour le bébé. « Serrer les dents », comme l’a suggéré le président Trump, n’est donc pas une option dépourvue de risque.

C’est la raison pour laquelle des organisations professionnelles telles que l’American College of Obstetricians and Gynecologists et l’Agence britannique de réglementation des médicaments et des produits de santé continuent de recommander le paracétamol comme antipyrétique et antalgique de référence pendant la grossesse, à la dose efficace la plus faible et uniquement en cas de nécessité.

(en France, c’est également la position de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, qui précise sur son site Internet qu’« il n’existe actuellement aucune nouvelle donnée justifiant une modification des recommandations d’utilisation du paracétamol pendant la grossesse. Le paracétamol (Doliprane, Dafalgan, Efferalgan, etc.) reste le médicament le plus sûr pour soulager les douleurs d’intensité légère à modérée et faire chuter la fièvre pendant la grossesse », ndlr)

Il s’agit ni plus ni moins de la recommandation en vigueur depuis des décennies. Bien entendu, si pour une raison ou une autre une femme enceinte se trouve dans l’obligation de prendre du paracétamol régulièrement, durant une période prolongée, elle doit en référer à son médecin ou sa sage-femme. Mais quoi qu’il en soit, l’idée selon laquelle l’usage de paracétamol pendant la grossesse serait une cause d’autisme n’est tout simplement pas étayée par données scientifiques les plus solides actuellement disponibles.

Le réel danger est qu’un tel discours alarmiste dissuade les femmes enceintes de traiter leurs douleurs ou leur fièvre, et qu’elles mettent ainsi en péril leur santé et celle de leur enfant.

The Conversation

Renee Gardner bénéficie d’un financement du Conseil suédois de la recherche, du Conseil suédois de la recherche pour la santé, la vie professionnelle et le bien-être, et des NIH américains.

Brian Lee a reçu des financements des NIH, du département des Services sociaux de Pennsylvanie, du département de la Défense et du département de la Santé de Pennsylvanie CURE SAP, ainsi que des honoraires personnels du cabinet d’avocats Beasley Allen, Patterson Belknap Webb & Tyler LLP et AlphaSights.

Viktor H. Ahlqvist reçoit un financement de la Société suédoise pour la recherche médicale.

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