États-Unis : les coupes envisagées dans la recherche médicale auraient des répercussions pendant des décennies

Source: The Conversation – in French – By Mohammad S. Jalali, Associate Professor, Systems Science and Policy, Harvard University

Aux États-Unis, les NIH sont l’un des nœuds du système interconnecté, qui produit des avancées dans les domaines de la santé et de la médecine. Anchalee Phanmaha/Moment/Getty Images

Aux États-Unis, les National Institutes of Health sont sous la menace d’une coupe drastique de leur budget. Les conséquences de ces économies de court terme voulues par l’administration Trump pourraient s’étendre bien au-delà du secteur public et, au final, coûter cher à l’ensemble du système de santé.


En mai 2025, la Maison Blanche a proposé de réduire d’environ 40 % le budget des National Institutes of Health (NIH) (les institutions gouvernementales chargées de la recherche médicale et biomédicale, ndlr). Concrètement, leur financement passerait de 48 milliards de dollars à environ 27 milliards, ce qui le ramènerait approximativement au niveau de l’année 2007.

L’étude des archives du budget des NIH nous apprend qu’une telle coupe à deux chiffres n’a été mise en œuvre qu’à une seule autre reprise depuis le début des enregistrements, en 1938. Une diminution de 12 % avait en effet été prononcée en 1952.

Le Congrès des États-Unis – composé de deux chambres, le Sénat et la Chambre des représentants – doit désormais finaliser le nouveau budget avant l’entrée en vigueur du prochain exercice fiscal, le 1er octobre. En juillet, le Sénat avait déjà rejeté les coupes budgétaires proposées par la Maison Blanche, proposant au contraire une modeste augmentation. Début septembre, la Chambre des représentants a également soutenu un budget prévoyant le maintien des financements actuels de l’agence.

L’idée de réduire les ressources des NIH n’est pas nouvelle, et de telles propositions refont régulièrement surface. Le débat actuel suscite cependant des incertitudes quant à la stabilité du secteur de la recherche dans son ensemble, et au sein des milieux scientifiques, les inquiétudes vont bon train.

Chercheurs nous-mêmes, nous étudions les complexes systèmes de politiques de santé mis en place. Nous nous intéressons plus précisément à la politique du financement de la recherche scientifique. À ce titre, nous considérons que les NIH sont l’un des maillons d’un système interconnecté destiné à favoriser la découverte de nouvelles connaissances, à former le personnel biomédical et à accomplir des avancées en matière de médecine et de santé publique, à l’échelle nationale.

Nos travaux démontrent que si la réduction des financements des NIH peut sembler générer des économies à court terme, elle déclenche une cascade d’effets qui, à long terme, augmentent les coûts des soins de santé et ralentissent le développement de nouveaux traitements et la mise en place de solutions aux problèmes de santé publique.

Privilégier la vision d’ensemble

Le financement des NIH ne permet pas seulement de soutenir les travaux de chercheurs ou de laboratoires. Il constitue aussi le socle sur lequel reposent le secteur de la recherche médicale et biomédicale des États-Unis, ainsi que le système de santé. En effet, c’est grâce à ce budget que sont formés les scientifiques, qu’est financée la recherche en prévention et que sont produites les connaissances qui seront ensuite utilisées par les entreprises pour mettre au point de nouveaux produits de santé.

Afin de comprendre comment de telles coupes budgétaires peuvent affecter ces différents domaines, nous avons entrepris de passer en revue les données existantes. Nous avons analysé les études (et les ensembles de données) qui ont porté sur les liens entre le financement des NIH (ou de la recherche biomédicale en général) et l’innovation, la main-d’œuvre et l’état de la santé publique.

Dans une étude publiée en juillet 2025, nous avons élaboré un cadre d’analyse simple, destiné à illustrer comment des changements effectués dans une partie du système – ici, les subventions à la recherche – peuvent produire des effets à d’autres niveaux, en grevant par exemple les opportunités de formation ou en ralentissant le développement de nouvelles thérapies.

Une fragilisation de la recherche fondamentale

Les NIH financent une recherche en amont qui n’a pas de valeur commerciale immédiate, mais qui fournit les éléments constitutifs des innovations futures. Cela inclut des projets destinés à cartographier les mécanismes à l’origine des maladies, à mettre au point de nouvelles techniques de laboratoire ou à constituer d’immenses bases de données, qui pourront être exploitées durant des décennies.

Ce sont par exemple les recherches financées par les NIH dans les années 1950 qui ont mené à l’identification du cholestérol et à établir son rôle dans les maladies cardiovasculaires, ce qui a ouvert la voie à la découverte ultérieure des statines. Ces molécules sont aujourd’hui prescrites à des millions de personnes dans le monde pour contrôler leur taux de cholestérol.

Dans les années 1960, les recherches en biologie du cancer ont conduit à la découverte du cisplatine. Utilisée en chimiothérapie, cette molécule est à l’heure actuelle administrée à 10 à 20 % des patients atteints de cancer.

Les recherches fondamentales menées dans les années 1980 pour comprendre le rôle joué par les reins dans le métabolisme du sucre ont de leur côté ouvert la voie à la découverte d’une nouvelle classe de médicaments contre le diabète de type 2. Certains d’entre eux sont également utilisés pour mieux prendre en charge les problèmes de poids. Le diabète touche près de 38 millions de personnes aux États-Unis, où plus de 40 % des adultes sont obèses.

Un patient atteint de cancer reçoit une chimiothérapie dans une clinique
Le cisplatine, largement utilisé en chimiothérapie, a été mis au point grâce aux recherches fondamentales menées pour comprendre la biologie du cancer, lesquelles ont été financées par les NIH.
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Sans ce type d’investissement public financé par les contribuables, nombre de projets fondateurs ne verraient jamais le jour, les entreprises privées hésitant à s’engager dans des travaux aux horizons lointains ou aux profits incertains. Notre étude n’a pas chiffré ces effets, mais les données montrent que lorsque la recherche publique ralentit, l’innovation en aval et les bénéfices économiques sont également retardés. Cela peut se traduire par une diminution du nombre de nouveaux traitements, un déploiement plus lent de technologies permettant de réduire les coûts et une croissance moindre des industries qui dépendent des avancées scientifiques.

Une réduction de la main-d’œuvre scientifique

En octroyant des subventions pour financer les étudiants, les chercheurs postdoctoraux et les jeunes scientifiques, ainsi que les laboratoires et infrastructures où ils sont formés, les NIH jouent également un rôle central dans la préparation de la « relève » scientifique.

Lorsque les budgets diminuent, le nombre de postes disponibles se réduit et certains laboratoires sont contraints de fermer. Cette situation peut décourager les jeunes chercheurs d’entrer dans un domaine ou d’y rester. Ces conséquences dépassent le seul cadre académique. En effet, certains scientifiques formés par les NIH poursuivent ensuite leur carrière dans le secteur des biotechnologies, de l’industrie des dispositifs médicaux ou de la science des données. Un système de formation affaibli aujourd’hui signifie donc moins de professionnels hautement qualifiés dans l’ensemble de l’économie demain.

Les programmes des NIH ont, par exemple, permis de former non seulement des chercheurs universitaires, mais aussi des ingénieurs et analystes qui travaillent désormais sur les thérapies immunitaires, les interfaces cerveau-ordinateur, les outils de diagnostic ou encore les dispositifs pilotés par l’intelligence artificielle, ainsi que sur d’autres technologies utilisées tant par des start-up que par des entreprises biotechnologiques et pharmaceutiques établies.

Si ces opportunités de formation se raréfient, les industriels des biotechnologies et du médicament risquent de voir le vivier de talents dans lequel ils puisent se réduire. Un affaiblissement de la main-d’œuvre scientifique financée par les NIH pourrait également compromettre la compétitivité mondiale des États-Unis, y compris dans le secteur privé.

L’innovation se déplace vers des marchés plus limités

Les investissements publics et privés remplissent des fonctions différentes. Le financement des NIH réduit souvent le risque scientifique en menant les projets à un stade où les entreprises peuvent investir avec davantage de confiance. Des exemples passés incluent le soutien à la physique de l’imagerie ayant conduit à l’imagerie par résonance magnétique (IRM) et à la tomographie par émission de positons (TEP), ainsi que des recherches en science des matériaux qui ont permis la mise au point des prothèses modernes.

Nos recherches mettent en évidence le fait que lorsque l’investissement public recule, les entreprises tendent à se concentrer sur des produits présentant des retours financiers plus immédiats. L’innovation s’oriente alors vers des médicaments ou des technologies aux prix de lancement très élevés, délaissant des améliorations qui pouvant répondre à des besoins plus larges (optimisation de thérapies existantes ou développement de diagnostics largement accessibles). Or, lorsque le financement public se réduit et que les entreprises privilégient des produits onéreux plutôt que des améliorations accessibles à moindre coût, la dépense globale de santé peut croître.

Un chirurgien examine une IRM cérébrale
Les technologies d’imagerie, telles que l’IRM, ont été développées grâce au financement public de la recherche fondamentale par les NIH.
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Certains médicaments anticancéreux, par exemple, reposent fortement sur des découvertes fondamentales issues de la biologie cellulaire et de la méthodologie des essais cliniques, découlant de recherches financées par les NIH. Des études indépendantes révèlent que sans ce socle initial de recherche publique, les délais de développement s’allongent et les coûts augmentent – des effets qui se traduisent par des prix plus élevés pour les patients et les systèmes de santé.

Ce qui apparaît comme une économie budgétaire à court terme peut donc produire l’effet inverse, les programmes publics tels que Medicare (système d’assurance-santé destiné aux plus de 65 ans et aux personnes répondant à certains critères, ndlr) et Medicaid, qui procure une assurance maladie aux personnes à faibles ressources, devant finalement absorber des coûts supérieurs.

La prévention et la santé publique reléguées au second plan

Les NIH financent également une part importante de la recherche consacrée à la promotion de la santé et à la prévention des maladies. On peut par exemple citer les études sur la nutrition, les maladies chroniques, la santé maternelle ou encore les expositions environnementales telles que la pollution au plomb ou la pollution atmosphérique.

Ces projets contribuent souvent à améliorer la santé des individus avant que la maladie ne s’aggrave. Ils attirent cependant rarement des investissements privés, car leurs bénéfices, qui apparaissent progressivement, ne se traduisent pas en profits directs.

Repousser à plus tard ou annuler la recherche en prévention peut conduire à des coûts ultérieurs plus élevés, en raison de l’augmentation du nombre de patients dont l’état se sera dégradé et nécessitera des traitements lourds afin de soigner des affections qui auraient pu être évitées ou mieux prises en charge en amont.

Des décennies d’observation dans le cadre de la Framingham Heart Study (une étude épidémiologique au long cours, dont l’objet initial était l’étude des maladies cardiovasculaires, et qui se poursuit encore aujourd’hui) ont façonné les recommandations thérapeutiques sur des facteurs de risque tels que l’hypertension artérielle et les troubles du rythme cardiaque.

Aujourd’hui, les connaissances s’appuyant sur ce pilier de la prévention permettent de réduire les risques d’infarctus et les accidents vasculaires cérébraux (AVC), graves et coûteux à traiter lorsqu’ils surviennent.

Une réorientation plus large

Au-delà de ces domaines précis, la véritable question est de savoir comment les États-Unis choisiront à l’avenir de soutenir la recherche scientifique et médicale. Pendant des décennies, l’investissement public a permis aux chercheurs de s’attaquer à des problématiques difficiles et de mener des études s’étalant sur plusieurs décennies.

Ce soutien financier a contribué à produire des avancées allant des thérapies psychosociales pour lutter contre la dépression aux méthodes chirurgicales de transplantation hépatique. Autant de progrès qui ne s’intègrent pas aisément dans les logiques de marché, contrairement aux médicaments ou aux dispositifs médicaux.

Si le soutien du gouvernement s’affaiblit, la recherche médicale et la recherche en santé publique pourraient devenir plus dépendantes des marchés et de la philanthropie. Cette situation risquerait de réduire l’éventail des problématiques étudiées et de limiter la capacité de réaction face à des urgences telles que l’émergence de nouvelles infections ou la gestion des risques sanitaires liés au climat.

Les pays qui auront choisi de maintenir un investissement public soutenu dans la recherche pourraient aussi acquérir un avantage sur les États-Unis, en s’avérant capables d’attirer les meilleurs chercheurs, et en se trouvant en position d’établir les standards mondiaux sur lesquels se baseront les nouvelles technologies. Le corollaire étant qu’une fois que les opportunités auront été perdues et que les talents se seront dispersés, la reconstruction du système exigera bien plus de temps et de ressources que s’il avait été préservé.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

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