Quand Hérodote dénonçait les régimes autoritaires, cinq siècles avant notre ère

Source: The Conversation – in French – By Debbie Felton, Professor of Classics, UMass Amherst

Darius I, roi de Perse (au centre), et sa cour, sur un vase peint entre 340 et 320 avant notre ère, exposé au Musée archéologique national de Naples (Italie). Carlo Raso/ Flickr, CC BY-SA

L’historien grec Hérodote (484 avant notre ère-425 avant notre ère) a cherché à comprendre la défaite de l’Empire perse face à la Grèce, moins puissante mais démocratique. Ses réflexions nous éclairent sur les dangers et les faiblesses des régimes autoritaires.


A marble bust of a bearded man with name Herodotus inscribed in Greek at the base
Une sculpture de l’histoirien et écrivain grec Hérodote.
Metropolitan Museum of Art de New York/Wikimedia

En tant que professeur de lettres classiques, je sais que les inquiétudes face à l’autoritarisme remontent à des millénaires. Une première discussion apparaît dans l’œuvre d’Hérodote, écrivain grec du Vᵉ siècle avant Jésus-Christ, dont l’Histoire – parfois appelée Histoires – est considérée comme le premier grand récit en prose de la littérature occidentale.

Hérodote y analysa l’invasion de la Grèce par les Perses – l’événement décisif de son temps. Pour comprendre comment la Grèce, une puissance bien plus petite, réussit à obtenir une victoire majeure sur la Perse, il étudia la nature d’un leadership efficace, qu’il considérait comme un facteur déterminant dans l’issue du conflit.

Un bouleversement inattendu

La Perse était déjà un vaste empire lorsqu’elle envahit la Grèce, un petit pays composé de cités-États indépendantes. Les Perses s’attendaient à une victoire rapide et facile.

Au lieu de cela, les guerres médiques durèrent plus d’une décennie, de 490 à 479 avant notre ère. Elles s’achevèrent par la défaite des Perses – un événement inattendu. La Perse abandonna alors son expansion vers l’ouest, tandis que diverses cités grecques formèrent une alliance fragile, qui dura près de cinquante ans.

Pour expliquer ce résultat surprenant, Hérodote décrivit l’évolution des sociétés perses et grecques avant ce conflit décisif. Selon lui, le fait que de nombreuses cités grecques disposaient de gouvernements représentatifs leur permit d’accéder à la victoire.

Ces systèmes permettaient aux individus de participer aux discussions stratégiques et amenèrent les Grecs à s’unir pour combattre pour leur liberté. Par exemple, lorsque la flotte perse se dirigeait vers la Grèce continentale, le général athénien Miltiade déclara :

« Jamais nous n’avons été en si grand danger. Si nous cédons aux Perses, nous souffrirons terriblement sous le tyran Hippias. »

Hérodote avait tendance à placer ses réflexions politiques dans la bouche de personnages historiques, tels que Miltiade. Il rassembla sa pensée sur le gouvernement dans ce que les historiens appellent le « Débat constitutionnel », une conversation fictive entre trois personnages bien réels : des nobles perses nommés Otanès, Mégabyze et Darius.

A scrap of dark brown fabric covered with Greek writing
Un fragment de l’Histoire, d’Hérodote, Livre VIII, sur papyrus, datant du début du IIᵉ siècle de notre ère.
Sackler Library, Oxford/Wikimedia

L’ascension de la Perse

Pendant des siècles avant d’envahir la Grèce, la Perse n’était qu’une petite région habitée par divers peuples iraniens anciens et dominée par le royaume voisin des Mèdes. Puis, en 550 av. n. è., le roi Cyrus II de Perse renversa les Mèdes et étendit le territoire perse pour fonder ce qui devint l’Empire achéménide.

Grâce à son gouvernement efficace et à sa tolérance envers les cultures qu’il avait conquises, les historiens l’appellent « Cyrus le Grand ».

Son fils et successeur, Cambyse II, eut moins de succès. Il ajouta l’Égypte à l’Empire perse, mais, selon Hérodote, Cambyse agit de manière erratique et cruelle. Il profana la tombe du pharaon, se moqua des dieux égyptiens et tua Apis, leur taureau sacré. Il exigea également que les juges perses modifient les lois afin qu’il puisse épouser ses propres sœurs.

Après la mort de Cambyse II, sans héritier, diverses factions se disputèrent le trône de Perse. C’est dans cette période d’instabilité qu’Hérodote situa sa réflexion sur les systèmes politiques alternatifs.

Les arguments en faveur de la démocratie

Otanès, le premier orateur du Débat constitutionnel, déclare :

« Le temps est révolu où un seul homme parmi nous peut détenir un pouvoir absolu. »

Il recommande que le peuple perse prenne lui-même en main les affaires de l’État.

« Comment la monarchie peut-elle rester notre norme, alors qu’un monarque peut faire tout ce qu’il veut, sans aucun compte à rendre ? », demande Otane.

Plus grave encore, un monarque « bouleverse les lois », comme l’a fait Cambyse II.

Otanès préconise le gouvernement du plus grand nombre, qu’il appelle « isonomie », c’est-à-dire « égalité devant la loi ». Dans ce système, explique-t-il, les responsables politiques sont élus, doivent rendre des comptes pour leur comportement et prendre leurs décisions en toute transparence.

Oligarchie et monarchie, une chute inévitable ?

Le noble compagnon d’Otanès, Mégabyze, est d’accord pour que les Perses abolissent la monarchie, mais il exprime des inquiétudes concernant le gouvernement par le peuple. « La masse est inutile – rien n’est plus insensé et violent qu’une foule », affirme Mégabaze. Selon lui, les « gens du commun » ne comprennent pas les subtilités de l’art de gouverner.

À la place, Mégabyze propose l’oligarchie, ou le « gouvernement par quelques-uns ». Choisir les meilleurs hommes de Perse et les laisser gouverner les autres, insiste-t-il, car ils « trouveront naturellement les meilleures idées ».

Mais Mégabyze n’explique pas qui pourrait être considéré comme faisant partie des « meilleurs hommes », ou qui serait chargé de les sélectionner.

Le troisième orateur, Darius, considère la démocratie et l’oligarchie comme également imparfaites. Il souligne que même des oligarques bien intentionnés se disputent entre eux parce que « chacun veut que son opinion l’emporte ». Cela conduit à la haine et à pire encore.

Darius affirme au contraire qu’« en faisant preuve de bon jugement, un monarque sera un gardien irréprochable du peuple ». Il soutient que, puisque la Perse a été libérée par un seul homme, le roi Cyrus II, les Perses doivent maintenir leur monarchie traditionnelle.

Darius n’explique pas comment garantir le bon jugement d’un monarque. Mais son argument l’emporte. Il devait en être ainsi, puisque, dans les faits, Darius devint le roi de Perse. Les rois, ou « shahs » régnèrent sur la Perse – qui prit le nom d’Iran en 1935 – jusqu’à ce que la révolution iranienne de 1979 abolisse la monarchie et établisse la République islamique d’Iran.

Les leçons à retenir d’Hérodote

Hérodote lui-même était largement favorable à la démocratie, mais son débat constitutionnel ne prône pas un seul type de gouvernement. Il valorise plutôt des principes de bon gouvernement. Parmi eux : la responsabilité, la modération et le respect du « nomos », un terme grec qui englobe à la fois la coutume et la loi.

Hérodote souligne : « Autrefois, de grandes cités sont devenues petites, tandis que de petites cités sont devenues grandes. » La fortune humaine change constamment, et l’échec de la Perse à conquérir la Grèce n’en est qu’un exemple.

L’histoire a vu l’ascension et la chute de nombreuses puissances mondiales. Les États-Unis chuteront-ils à leur tour ? Le président actuel, Donald Trump, n’est pas techniquement un monarque, mais certains estiment qu’il agit comme tel. Son administration et lui ont ignoré des décisions de justice, empiété sur les pouvoirs du Congrès et cherché à réduire ses critiques au silence en s’attaquant à la liberté d’expression, pourtant protégée par la Constitution américaine. Hérodote considérait que la monarchie perse, dont les rois estimaient leur propre autorité suprême, constituait la faiblesse qui mena à leur foudroyante défaite en 479 avant notre ère.

The Conversation

Debbie Felton est affiliée au parti démocrate (enregistrée sur les listes électorales).

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