Source: The Conversation – in French – By George Kyris, Associate Professor in International Politics, University of Birmingham
Le Royaume-Uni, la France, le Canada et l’Australie font partie d’un groupe de nations qui reconnaissent officiellement l’État de Palestine, comme l’ont fait la plupart des autres États au cours des dernières décennies. Cette décision constitue un changement diplomatique majeur et un tournant dans l’un des conflits les plus insolubles au monde. Voici ce que cela signifie.
Reconnaître la Palestine, qu’est-ce que cela veut dire ?
Reconnaître la Palestine, c’est reconnaître l’existence d’un État qui représente le peuple palestinien. Cela signifie également que le pays qui reconnaît la Palestine peut établir des relations diplomatiques complètes avec les représentants de cet État, ce qui inclut l’échange d’ambassades ou la négociation d’accords au niveau gouvernemental.
Pourquoi ces pays ont-ils agi ensemble, et pourquoi maintenant ?
La reconnaissance diplomatique, lorsqu’elle est concertée, a plus de poids que des gestes isolés, et les gouvernements le savent. Il y a environ un an, l’Espagne a tenté de convaincre les membres de l’Union européenne de reconnaître ensemble la Palestine et, lorsque cela s’est avéré impossible, a choisi de coordonner sa reconnaissance avec la Norvège et l’Irlande uniquement. Par ailleurs, un groupe de pays des Caraïbes (la Barbade, la Jamaïque, Trinité-et-Tobago, les Bahamas) a également reconnu la Palestine à peu près à la même époque.
En agissant ensemble, les pays amplifient le message selon lequel la création d’un État palestinien n’est pas une idée marginale, mais une aspiration légitime soutenue par un consensus international croissant. Cette reconnaissance collective sert également à protéger les gouvernements individuels contre les accusations d’unilatéralisme ou d’opportunisme politique.
Cette vague de reconnaissance survient aujourd’hui en raison de la crainte que l’État palestinien soit menacé, peut-être plus que jamais auparavant. Dans leurs déclarations de reconnaissance, le Royaume-Uni et le Canada ont invoqué les colonies israéliennes en Cisjordanie pour justifier leur décision.
Le gouvernement israélien a également révélé des plans qui reviennent à annexer Gaza, l’autre zone qui devrait appartenir aux Palestiniens. Cela fait suite à des mois d’attaques contre les Palestiniens, que la commission d’enquête de l’ONU sur les territoires palestiniens occupés et Israël a qualifiées de génocide. L’opinion publique a aussi évolué de manière radicale en faveur de la Palestine, ce qui accentue la pression sur les gouvernements.
Pourquoi certains affirment-ils que la reconnaissance n’est pas légale ?
Israël et certains de ses alliés affirment que la reconnaissance est illégale, car la Palestine ne possède pas les attributs d’un État fonctionnel, tels que le contrôle total de son territoire ou un gouvernement centralisé. Les avis juridiques divergent quant à savoir si la Palestine répond aux critères d’un État. Mais, quoi qu’il en soit, ces critères ne sont pas systématiquement utilisés pour reconnaître les États.
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Quel droit international dans le conflit israélo-palestinien ?
En fait, de nombreux États ont été reconnus bien avant d’avoir le contrôle total de leurs frontières ou de leurs institutions. Ironiquement, les États-Unis ont reconnu Israël en 1948, réfutant les critiques qui estimaient que cette reconnaissance était prématurée en raison de l’absence de frontières claires. La reconnaissance a donc toujours été politique.
Mais même si l’on adopte une perspective plus juridique, la communauté internationale, à travers de nombreux textes de l’ONU et autres, reconnaît depuis longtemps le droit des Palestiniens à avoir leur propre État.
La reconnaissance « récompense-t-elle le Hamas », comme le prétend Israël ?
Reconnaître un État ne signifie pas reconnaître ceux qui le gouvernent. À l’heure actuelle, par exemple, de nombreux États ne reconnaissent pas le régime taliban, mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils ont cessé de reconnaître l’existence de l’Afghanistan en tant qu’État.
De même, le fait que Nétanyahou fasse l’objet d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité n’a pas conduit les États à retirer leur reconnaissance de l’État d’Israël et de son peuple. Reconnaître un État n’est pas la même chose que soutenir un gouvernement spécifique.
De plus, tous les États qui ont récemment reconnu la Palestine ont explicitement déclaré que le Hamas ne devait jouer aucun rôle dans un futur gouvernement. La France a déclaré que, bien qu’elle reconnaisse l’État palestinien, elle n’ouvrirait pas d’ambassade tant que le Hamas n’aura pas libéré les otages.
La reconnaissance fera-t-elle une différence ?
Ces dernières années ont mis en évidence les limites de la diplomatie pour mettre fin à l’horrible catastrophe humaine qui se déroule à Gaza. Cela ne laisse pas beaucoup de place à l’optimisme. Et, d’une certaine manière, les États qui prennent des mesures diplomatiques courageuses révèlent en même temps leur réticence à prendre des mesures plus concrètes, telles que des sanctions, pour faire pression sur le gouvernement israélien afin qu’il mette fin à la guerre.
Néanmoins, cette reconnaissance pourrait avoir un effet boule de neige qui renforcerait la position internationale des Palestiniens. Ils pourront ainsi travailler de manière plus substantielle avec les gouvernements qui reconnaissent désormais leur État. D’autres États pourraient également reconnaître la Palestine, motivés par le fait que d’autres l’ont fait avant eux.
Et une reconnaissance accrue signifie un meilleur accès aux forums internationaux, à l’aide et aux instruments juridiques. Par exemple, la reconnaissance par l’ONU de la Palestine en tant qu’État observateur en 2011 a permis à la Cour internationale de justice d’entendre l’affaire de l’Afrique du Sud accusant Israël de génocide et à la Cour pénale internationale de délivrer un mandat d’arrêt contre Nétanyahou.
Les implications pour le gouvernement israélien et certains de ses alliés pourraient également être importantes. Les États-Unis se retrouveront désormais isolés en tant que seul membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU à ne pas reconnaître la Palestine. Les États qui ne reconnaissent pas la Palestine se retrouveront dans une minorité dissidente et seront davantage exposés aux critiques dans les forums internationaux et dans l’opinion publique.
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Devrait-on envisager une administration transitoire pour Gaza ?
Cet isolement croissant ne devrait pas entraîner de changements immédiats et ne devrait pas déranger l’administration américaine actuelle, qui ne suit souvent pas la logique de la diplomatie traditionnelle. Néanmoins, avec le temps, la pression exercée sur Israël et ses alliés pour qu’ils s’engagent dans un processus de paix pourrait s’intensifier.
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En fin de compte, la reconnaissance de certains des plus grands acteurs mondiaux marque une rupture avec leur alignement de longue date avec les gouvernements israéliens successifs. Cela montre à quel point leur opinion publique et leurs gouvernements sont sensibles à la menace que représente Israël pour l’État palestinien par son annexion et son occupation. Pour les Palestiniens, cette reconnaissance renforce leur position politique et morale. Pour le gouvernement israélien, c’est l’inverse.
Mais la reconnaissance seule ne suffit pas. Elle doit s’accompagner d’efforts soutenus pour mettre fin à la guerre à Gaza, traduire en justice les auteurs de violences et relancer les efforts de paix visant à mettre fin à l’occupation et à permettre aux Palestiniens d’exercer leur souveraineté légitime aux côtés d’Israël.
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George Kyris ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
– ref. Le Canada, le Royaume-Uni, la France et l’Australie reconnaissent la Palestine – qu’est-ce que cela signifie ? Entretien avec un expert – https://theconversation.com/le-canada-le-royaume-uni-la-france-et-laustralie-reconnaissent-la-palestine-quest-ce-que-cela-signifie-entretien-avec-un-expert-265950
