Les microagressions, un poids quotidien pour les femmes noires en situation de handicap

Source: The Conversation – in French – By Sibonokuhle Ndlovu, Lecturer, University of Johannesburg

« Tu parles bien anglais pour une personne noire. »

« Pourquoi les assiettes ne sont-elles pas lavées alors qu’il y a une femme dans cette maison ? »

« Je peux toucher tes cheveux ? »

Voici quelques microagressions courantes que vous avez peut-être déjà entendues, surtout si vous êtes une femme noire.

Les microagressions peuvent être projetées sur les personnes noires parce qu’on attend d’elles qu’elles parlent un anglais parfait alors que ce n’est même pas leur langue. Ou parce que leurs cheveux naturels semblent exotiques à quelqu’un d’une autre culture. Ou encore à cause de stéréotypes sexistes, comme l’idée que les femmes africaines ont forcément leur place dans la cuisine.

Que sont les microagressions ?

Les microagressions sont des commentaires ou des actions qui révèlent des préjugés à l’égard de personnes marginalisées ou d’un groupe de personnes opprimées. Elles peuvent être micro (mineures ou quotidiennes) et se manifester inconsciemment ou sans intention malveillante. Mais même ainsi, les microagressions sont blessantes et dévalorisantes pour les personnes qui en sont victimes.

Qu’est-ce que le validisme ou capacitisme ?

Alors, que sont les microagressions validistes ? Le validisme est une vision du monde dans laquelle la capacité et le fait d’être valide sont privilégiés par rapport au handicap.

Dire à une personne en fauteuil roulant : « Ah, tu pars en balade ? ». Ou lui parler lentement comme si elle ne pouvait pas comprendre ce que vous dites. Ou posséder un bureau non accessible en fauteuil roulant. Tout cela peut être considéré comme des microagressions capacitistes. Utiliser des termes liés au handicap hors contexte est capacitiste : « Vous devez être aveugle ». « Tu dois être aveugle », même si c’est adressé à une personne voyante. C’est un manque de sensibilité envers les personnes qui pourraient réellement avoir une déficience visuelle.

Les microagressions discriminatoires sont le fait de personnes valides qui ne comprennent pas la réalité de la vie avec un handicap. Parfois, elles ne veulent pas faire de mal ou pensent aider, par exemple en faisant pour les personnes en situation de handicap des choses que celles-ci peuvent en réalité faire elles-mêmes.

Mais ces gestes, même involontaires, créent un rapport de pouvoir inégal. Ils font sentir aux personnes en situation de handicap qu’elles sont inférieures, incapables ou moins intelligentes.

Les femmes noires handicapées

En tant que chercheuse spécialisée dans l’éducation inclusive et le handicap dans l’enseignement supérieur, mes recherches portent souvent sur le handicap et le genre. J’ai récemment publié un article qui passe en revue les études sur les microagressions capacitistes projetées sur les femmes noires handicapées en Afrique australe.

Cet article analyse l’impact de ces microagressions sur les femmes au Zimbabwe, en Afrique du Sud et en Eswatini. Ces trois pays partagent des valeurs culturelles, une identité et des croyances similaires en matière de genre, de race et de handicap. Et c’est dans l’intersection de ces trois dimensions que se situent les enjeux.

Dans ces cultures, les femmes sont en général respectées. Elles sont parfois appelées izimbokodo (« pierres à moudre »). On considère volontiers qu’« un foyer ne peut pas exister sans femme ». En Afrique du Sud, les droits humains ont aussi progressé au fil du temps. Pourtant, les microagressions validistes restent fréquentes. Elles touchent les femmes, et encore davantage les femmes noires en situation de handicap.

Cela a un effet négatif sur elles, en particulier lorsqu’il s’agit de faire des choix de vie individuels, de se marier et d’avoir des enfants, tout comme c’est le cas pour les femmes non handicapées.

Par exemple, dans certaines régions d’Afrique du Sud, lorsque des femmes handicapées apparaissent enceintes en public, beaucoup de gens supposent qu’elles ont été violées. Ils ne supposent pas qu’une femme handicapée ait pu avoir une vie sexuelle et elle est humiliée et traitée comme une personne inhabituelle. Il lui est alors encore plus difficile de bénéficier d’une égalité en matière de soins de santé et de statut social.

Pour les femmes africaines noires handicapées, l’impact des microagressions capacitistes est pire, car elles sont confrontées à une lutte intersectionnelle : elles subissent plusieurs formes de discrimination. Elles sont confrontées au racisme, au sexisme et au capacitisme, souvent simultanément.

Pourquoi l’ubuntu est-il important ?

La question que je pose dans mon étude est de savoir ce qui pourrait aider les femmes noires handicapées à se donner les moyens de déconstruire les microagressions capacitistes. La réponse se trouve dans le passé. Je soutiens que l’ubuntu est une arme précieuse contre cette forme de discrimination.

L’ubuntu est une philosophie africaine commune à la région, qui est comprise de différentes manières par différentes personnes. Mais elle peut être expliquée au mieux par le dicton isiZulu « umuntu ngumuntu ngabantu » (Nous sommes grâce à eux). Cela signifie qu’une personne n’existe que par les autres.

Dans une vision du monde fondée sur l’entraide et la coopération, chaque être humain au sein d’une communauté a de la valeur, indépendamment de son sexe, de sa race ou de ses capacités. L’ubuntu aide les gens à comprendre qu’ils dépendent les uns des autres. Ils ont besoin les uns des autres malgré leurs différences.

Dans de nombreuses sociétés africaines précoloniales, le handicap était considéré de manière positive. Un autre proverbe isiZulu dit : « Akusilima sindlebende kwaso ». Cela signifie que les personnes en situation de handicap sont acceptées et aimées dans leurs foyers.

Cependant, le colonialisme a changé tout cela. Les Africains ont été réduits à l’état de travailleurs pour les maîtres européens. Le colonialisme a normalisé les travailleurs valides et considéré les personnes handicapées comme inférieures. Cette idée a été renforcée par la morale coloniale, qui a façonné la pensée sociale dans la région.

Cette vision perdure encore aujourd’hui dans de nombreuses sociétés africaines modernes, comme l’ont montré les recherches. Les femmes noires en situation de handicap y sont souvent vues comme impuissantes. Cela fait d’elles des cibles faciles pour les microagressions validistes.

Un système de pensée comme l’ubuntu offrirait à ces femmes la possibilité de retrouver dignité et autonomie. Il leur donnerait les moyens de résister aux effets destructeurs des microagressions qu’elles subissent au quotidien.

The Conversation

Sibonokuhle Ndlovu bénéficie d’un financement du Conseil de recherche universitaire de l’Université de Johannesburg.

ref. Les microagressions, un poids quotidien pour les femmes noires en situation de handicap – https://theconversation.com/les-microagressions-un-poids-quotidien-pour-les-femmes-noires-en-situation-de-handicap-265237