Les internats scolaires, déclin ou renouveau ?

Source: The Conversation – France (in French) – By Bruno Poucet, Professeur émérite des universités en histoire de l’éducation, CAREF, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)

Ils ne rassemblent plus aujourd’hui que 3 % des élèves dans l’enseignement secondaire. Pourtant, les internats ont longtemps été la norme de scolarisation des lycéens. Retour sur leur histoire et leur place dans les politiques éducatives actuelles.


Au centre du système scolaire depuis la création des lycées jusque dans les années 1960, les internats ont ensuite connu un déclin régulier de leurs effectifs. Mais au tournant des années 2000 s’est amorcée une politique de revalorisation de ces établissements, suivie de la création dans les années 2010 et 2020 de dispositifs consacrés à la lutte contre le décrochage, entre internats d’excellence et internats tremplins.

Quels sont les résultats de ces politiques ? Combien d’élèves suivent-ils désormais des études en pension complète ? Quels projets éducatifs les internats ont-ils véhiculés au fil du temps ?

Internat et enseignement secondaire

Si on se limite à la création des lycées de garçons en 1802 et des établissements privés en 1850 (loi Falloux), on peut dire qu’un établissement secondaire comporte toujours un internat au XIXe siècle. Un lycéen est alors d’abord un interne. Ce n’est pas le cas dans les lycées publics de jeunes filles, créés à partir de 1880 : les élèves ne sont pas hébergées sur place mais dans des pensions. Dans les établissements gérés par des congrégations, en revanche, elles sont internes, comme leurs homologues masculins. Aucun de ces établissements n’est mixte et tous disposent d’un personnel correspondant au sexe des élèves.

La vie dans ces établissements est assez rude : le chauffage, lorsqu’il existe, est rudimentaire, l’eau pour les ablutions est souvent froide et l’hygiène relative, la nourriture peu appétissante, la discipline quasi militaire. Dans des dortoirs immenses, la promiscuité et l’absence d’intimité sont totales. Le régime est spartiate : on est là pour étudier, peu de distractions existent hormis la cour de récréation ou la promenade du jeudi après après-midi. Ajoutons que dans la plupart des établissements, on ne retourne dans les familles que pendant les vacances, avec parfois une sortie possible le dimanche.

Ce régime perdure jusque dans les années 1960 : réservés à une minorité aristocratique ou bourgeoise, les internats des établissements secondaires restent des institutions fréquentées, faute des moyens de transport et parce que ces parents croient au bienfait de l’encadrement éducatif étroit. Mais aussi, tout simplement parce qu’ils ont l’habitude de confier l’éducation de leurs enfants à des tiers. Or, les choses évoluent rapidement dans les années 1960.

L’internat en déclin

La massification et la démocratisation du système éducatif à partir des années 1960 (scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans à partir de 1967, accès massif aux différents lycées à partir des années 1990), la création d’établissements secondaires proches du domicile, l’urbanisation croissante, engendrent une réduction rapide du nombre d’élèves internes dans les établissements publics, puis dans les établissements privés sous contrat.

Le nombre de collèges a en effet doublé entre 1960 et 2016, le nombre de lycées a augmenté, de son côté, de 20 %. Les transports scolaires se sont multipliés, facilitant ainsi l’accès aux établissements. La volonté des parents d’éduquer eux-mêmes leurs enfants et de moins déléguer, le coût, enfin, pour les familles, contribuent à délaisser progressivement les internats.

En 1960, selon les chiffres du ministère, 22 %, des élèves du second degré étaient internes dans le public, en 2024, ils sont 3,3 % (soit 183 900 élèves). En revanche, le nombre de demi-pensionnaires a augmenté considérablement (+13,2 % depuis 1994). Il y a des disparités selon les établissements et les lieux de leur implantation. L’internat est-il voué à la disparition ?

Vers un renouveau de l’internat ?

Actuellement, le taux d’occupation des internats est loin de remplir les capacités disponibles, mais ne décline plus. Tous établissements publics confondus, 51 000 places étaient vacantes en 2022-2023.

Il y a une trentaine d’années, le ministère s’est interrogé sur les objectifs à mener afin de revaloriser l’internat ou du moins d’arrêter son déclin. En 1999, la nouvelle politique est impulsée par le ministre Jack Lang puis par Jean-Louis Borloo, en 2005. Les internats sont rénovés, les grands dortoirs supprimés, des chambres individuelles ou à quelques élèves sont créés, la nourriture est améliorée, la mixité fait son entrée.

La vie scolaire, avec un personnel spécialisé et formé, prend désormais en charge les élèves et les encadre de façon souple, en étant attentive aux problèmes que certains rencontrent et en les aidant dans leurs apprentissages. Les élèves quittent, sauf exception, le lycée chaque semaine, des sorties individuelles sont autorisées et des activités culturelles ou sportives, parfois spirituelles dans certains établissements privés, sont organisées.

Par ailleurs, un nouveau type d’élèves est visé dans les établissements publics. Il s’agit de mieux encadrer les jeunes défavorisés, et d’aider à leur promotion, à leur réussite. Ainsi, la circulaire interministérielle du 28 mai 2009 créée des internats d’excellence destinés aux élèves de milieux défavorisés volontaires, mais faisant preuve de réelles capacités intellectuelles. Le premier ouvre à Sourdun (Seine-et-Marne), dans l’académie de Créteil. L’encadrement est renforcé, des activités sportives et culturelles sont organisées. Avec la loi sur la refondation de l’école de la République, en 2013, un accent différent est mis, ils deviennent des internats de la réussite pour tous et visent ainsi à réduire les inégalités sociales et territoriales.

Rentrée dans un internat d’excellence (académie d’Amiens, 2024).

Par ailleurs, par une circulaire du 29 juin 2010, des internats très spécifiques sont créés : ils visent à la réinsertion scolaire d’élèves polyexclus (au moins de deux collèges), voire délinquants : ce sont les établissements de réinsertion scolaire (ERS) : 2 000 élèves seraient potentiellement concernés. Un partenariat avec la Protection judiciaire de la jeunesse est organisé.

En 2019, un plan Internats du XXIe siècle, dans le cadre de l’école de la Confiance est décidé : il est prévu de créer en 2023, 240 internats à projets et d’accueillir 13 000 jeunes dans trois types de structure : les internats d’excellence déjà existants, les résidences à thèmes, dans les zones rurales et de montagnes, les internats des campus des métiers et des qualifications, pour les élèves de la voie professionnelle.

Enfin, en 2021 sont créés huit internats tremplins afin de prendre en charge une centaine de collégiens en situation de décrochage scolaire.

Force est donc de constater que l’on a désormais une diversité de formes possibles d’internats qui deviennent un instrument en matière de politique éducative, afin de faire face aux difficultés de l’école, même s’il n’y a pas de solution miracle en la matière.

Quel bilan ?

Une évaluation récente de la direction de l’évaluation du ministère (DEPP) conclut que

« l’internat propose, en moyenne sur l’ensemble des lycéens, des conditions d’hébergement globalement satisfaisantes (..). Les élèves internes réussissent aussi bien que les autres élèves, voire un peu mieux en lycée professionnel et dans les établissements régionaux d’éducation adaptée (EREA) dans la mesure où la continuité scolaire est mieux assurée ».

En revanche, les internats de réinsertion scolaire n’ont guère donné de résultats probants dans la mesure où ils peuvent, au contraire de ce qui est recherché, devenir une quasi-école de délinquance. Par ailleurs, un autre défi est à prendre en compte : celui de la baisse démographique. Ainsi, l’internat, en dépit des politiques éducatives menées, est certes peu développé, mais il s’est maintenu en changeant en grande partie de fonction.

The Conversation

Bruno Poucet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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