S’indigner des dépassements de coûts des projets publics ? Certainement, mais pas toujours !

Source: The Conversation – in French – By Pierre-André Hudon, Professeur agrégé | Associate Professor, Université Laval

Le gouvernement a récemment annoncé que le coût du nouveau complexe hospitalier de Québec augmentera de 418 M$, pour atteindre près de 2,66 G$, soit une augmentation de plus de 18%. Gabriel Picard, CC BY-SA

Les dépassements de coûts des projets publics font régulièrement la une… et aboutissent parfois en commission d’enquête, comme c’est le cas actuellement avec la commission Galant sur le scandale SAAQClic.

Difficile de s’en étonner : voir s’ajouter des millions de dollars aux frais des contribuables a de quoi indigner. Mais l’expression « dépassements de coûts » cache une réalité plus complexe. On doit notamment se demander par rapport à quoi, exactement, les dépassements sont mesurés.

Le sens du mot peut varier énormément.

Compare-t-on les coûts réels des projets aux toutes premières estimations, souvent imprécises et réalisées avant même que les détails ne soient connus ? À des estimations solides, mais rapidement rendues obsolètes par l’inflation et l’évolution des conditions de marché, surtout si le lancement du projet a tardé ? À un design initial qui, fût-il pertinent, ne correspond plus au projet final puisque celui-ci a évolué en raison de changements légitimes ou de nouvelles contraintes techniques découvertes en cours de route ? Ou même à des coûts volontairement sous-estimés pour faciliter l’acceptation des projets ?

Même lorsque des surcoûts surviennent alors que les estimations initiales sont bonnes, cela ne veut pas nécessairement dire que l’on s’est « fait avoir » et que la gestion des équipes de projet et des sous-traitants n’était pas assez diligente.

Des conditions structurelles, comme des contrats inflexibles, des exigences de réponses aux appels d’offres trop contraignantes, ou des mécanismes de planification budgétaire mésadaptés pourraient expliquer des coûts systématiquement plus élevés dans les projets publics. Dans d’autres occasions, les gestionnaires peuvent, au contraire, avoir réagi avec diligence en réalisant les changements nécessaires, quitte à payer un peu plus cher.

La négligence, l’incompétence, voire la corruption peuvent peut-être expliquer certains dépassements, mais d’autres raisons le peuvent également. Il importe à cet égard de ne pas systématiquement interpréter les dépassements de coûts comme relevant de la première catégorie. Bien souvent, seule une analyse détaillée peut discriminer entre dépassements de coûts justifiés et injustifiés.

En tant que professeur de gestion de projets à l’Université Laval, je m’intéresse depuis longtemps aux questions de gouvernance des projets publics et d’octroi des contrats publics, deux activités qui sont au cœur de la mission de l’État.

Une analyse minutieuse pour bien comprendre

Plutôt que de dépassements de coûts, il serait donc plus exact de parler d’écarts entre les coûts estimés et réels. Et pour évaluer ces coûts, autant estimés que réels, et les écarts qui en découlent, il faut bien comprendre les variables de base.

  1. La portée du projet, qui détermine ce qui est inclus ou non dans l’évaluation.

  2. Le moment où la portée et les coûts sont évalués.

  3. Les quantités et l’effort, soit les volumes de biens et services et le nombre d’heures de travail nécessaires à la réalisation du projet.

  4. Les coûts unitaires, qu’il s’agisse des taux horaires pour la main-d’œuvre ou de prix pour les biens et services.




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L’analyse des écarts exige donc un portrait complet, ventilé par catégories détaillées, tant des estimations que des coûts réels. Ce n’est que dans ces conditions, grâce à un exercice de comparaison systématique, que l’on peut identifier précisément la nature des anomalies : taux horaires excessifs imposés par des sous-traitants, comme dans le scandale SAAQClic ; coûts moyens par pied carré hors normes, comme avec cette école secondaire à un demi-milliard de dollars ; volumes d’heures exagérés pour des tâches simples ; prix excessifs pour certains équipements ou matériaux, comme ceux pour remplacer les feux de circulation à Longueuil, dénoncés par la mairesse Catherine Fournier ; « extras » douteux, comme ceux maintes fois dénoncés durant les audiences de la commission Charbonneau, notamment dans le domaine du génie civil, etc.

Sans ce travail minutieux, toute discussion sur ce qu’on qualifie de dépassements reste largement spéculative.

Transparence et changement

La tâche se complique toutefois dans la pratique, car une grande part des travaux est souvent confiée à des sous-traitants rémunérés à forfait, souvent peu enclins à dévoiler le détail de leurs heures et de leurs taux horaires.

Il faut aussi rappeler que les coûts unitaires peuvent fluctuer considérablement dans le temps et selon l’état du marché, par exemple en période de forte demande, en fonction du niveau de risque perçu du projet, ou lorsqu’un fournisseur est en situation de monopole.

Quant aux variations dans les quantités et l’effort requis, elles traduisent le plus souvent une définition initiale insuffisante des besoins et de la portée, une gestion trop permissive, ou encore des changements introduits en cours de route, qu’ils soient légitimes ou non.

Des données, de la transparence et de l’expertise pour alimenter l’analyse

Tout ce travail d’analyse requiert l’accès à des données fiables, permettant de suivre l’évolution des prix sur de longues périodes, ainsi que des estimations détaillées précisant la portée et le niveau d’effort prévus des projets.


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Le développement d’une véritable infrastructure de données et d’intelligence d’affaires apparaît indispensable. Au Québec, les données ouvertes sur les marchés publics sont un bon début, mais les informations disponibles demeurent trop partielles pour permettre une analyse rigoureuse.

À cela s’ajoute la nécessité de disposer d’une expertise publique solide, capable de produire des estimés indépendants, plutôt que de dépendre des mêmes firmes privées qui décrochent ensuite trop souvent les contrats.

Des pratiques d’approvisionnement qui doivent évoluer

Sur le plan des pratiques, la tendance à privilégier les contrats à prix fixe, censés limiter les « extras », a parfois un effet paradoxal : elle incite les sous-traitants à gonfler leurs prix lorsqu’ils perçoivent un projet comme risqué.

Des approches permettant un meilleur partage des risques pourraient atténuer ce phénomène, d’autant plus que la Loi sur les contrats des organismes publics a récemment été réformée pour permettre les approches collaboratives et faciliter les évaluations des soumissions basées sur la qualité – plutôt que sur le prix le plus bas –, lesquelles reflètent souvent une réflexion en profondeur sur les besoins et une planification plus soignée.

Aussi, des équipes d’approvisionnement dédiées, capables de suivre de près l’état du marché, de comprendre et de traduire les besoins techniques des professionnels variés en devis clairs et flexibles semblent nécessaires.

Au Québec, des équipes spécialisées comme celles du Centre d’acquisitions gouvernementales, de la Société québécoise des infrastructures ou de la division des approvisionnements stratégiques d’Hydro-Québec offrent déjà un début de solution, mais les ressources manquent dans bien d’autres secteurs.

Une autre solution consisterait à chercher à accélérer l’autorisation des projets publics. Éviter que de longues périodes ne s’écoulent entre la planification et l’exécution permettrait au minimum de limiter l’effet de l’inflation et des changements de conditions de marché qui contribuent souvent à gonfler les coûts.

La Conversation Canada

Pierre-André Hudon possède le titre de professionnel en gestion de projet (PMP). Il reçoit actuellement du financement de recherche du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) et collabore à des projets de recherche commandités par l’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ) et de l’Autorité des marchés publics du Québec (AMP).

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