Source: The Conversation – in French – By Temitayo Isaac Odeyemi, Research fellow, International Development Department, University of Birmingham
Partout en Afrique, la démocratie est mise à l’épreuve par la montée de l’autoritarisme et des coups d’État militaires, ainsi que par un fossé grandissant entre les citoyens et les institutions censées les représenter.
Le dernier rapport phare d’Afrobarometer, un réseau de recherche panafricain, lance un avertissement solennel. Publié en juillet 2025, le rapport intitulé « Citizen Engagement, Citizen Power » (Engagement citoyen, pouvoir citoyen) révèle que plus de 60 % des Africains sont insatisfaits du fonctionnement de la démocratie dans leur pays. Le soutien à la démocratie reste élevé, mais la confiance en son efficacité s’estompe, en particulier lorsque les citoyens se sentent exclus d’une participation significative aux décisions qui les concernent.
En termes simples, la crise de la participation résulte de l’absence des citoyens dans la salle où sont prises les décisions qui les concernent. Cet article présente des moyens pratiques permettant aux parlements d’impliquer les citoyens.
Je suis politologue et mes travaux en politique comparée portent sur les institutions politiques et l’engagement démocratique en Afrique. Mes recherches plus générales s’appuient sur ma thèse de doctorat sur le développement institutionnel et l’engagement public législatif au Nigeria.
Ces recherches ont montré que la lassitude démocratique a de nombreuses causes, notamment l’insécurité et les besoins socio-économiques non satisfaits. Mais le problème plus profond est une crise de la participation, où les décisions qui affectent les citoyens sont prises sans consultation. Trop souvent, les Africains ont le sentiment que les décisions sont prises pour eux, et non avec eux. Le pouvoir reste concentré dans les cercles élitistes, tandis que l’engagement public est réduit à des gestes symboliques.
Dans cette optique, la démocratie est quelque chose qui se pratique dans les capitales plutôt que dans les communautés.
Pour que cela change, les parlements doivent prendre l’initiative. En tant qu’institutions les plus visibles liées à la représentation, ils peuvent reconnecter les citoyens au processus démocratique. Lorsque les parlements incitent les citoyens à participer, ils contribuent à restaurer la confiance du public. Lorsqu’ils n’y parviennent pas, c’est tout le projet démocratique qui s’en trouve affaibli.
Il est encourageant de constater que de nombreuses constitutions africaines, notamment celles du Kenya, de l’Afrique du Sud, Zambie et Zimbabwe exigent désormais la participation du public à l’élaboration des lois.
Les parlements font de plus en plus référence à l’engagement citoyen dans leurs plans stratégiques, et des modèles remarquables tels que la participation publique offrent des cadres pratiques.
Les efforts de l’Afrique du Sud ont contribué à une augmentation de 27 % à une meilleure compréhension par le public des mandats du parlement. Les données provenant de la société civile et de recherches indépendantes corroborent cette affirmation.
Mais dans de nombreux pays, la mise en œuvre reste inégale et la plupart des parlements ne parviennent pas à impliquer suffisamment les citoyens.
Selon les données, la confiance dans les parlements a baissé de 19 points depuis 2011. Seuls 37 % des Africains disent avoir confiance dans ces organes politiques et représentatifs super importants.
On a l’impression que la participation publique est souvent juste pour la forme et que les parlements ne s’engagent avec les citoyens que quand ça les arrange politiquement.
Deux exemples récents illustrent le coût de ce désengagement. Au Kenya, des manifestations de masse contre le projet de loi de finances 2024 ont éclaté après que le parlement a adopté des mesures fiscales controversées sans consultation publique adéquate. Les réactions violentes, notamment l’assaut du parlement, ont reflété la colère généralisée non seulement à l’égard du contenu du projet de loi, mais aussi à l’égard du manque de participation des citoyens à son élaboration.
Au Nigeria, les législateurs ont rétabli en une seule journée l’hymne national de l’époque coloniale, sans consulter la population.
L’une des raisons pour lesquelles la confiance dans les parlements est en baisse est qu’il existe des lacunes dans la manière dont cette institution écoute et agit.
Comme le montrent les données d’Afrobarometer, les citoyens ont toujours considéré que les parlements jouaient un rôle clé dans l’élaboration des lois et la responsabilisation des dirigeants. Le défi ne réside donc pas dans ce que fait ou devrait faire cette institution, mais dans la manière dont elle le fait. Ainsi, mener des actions visibles est un moyen pour le parlement de restaurer la confiance du public.
Ce que nous apprend Afrobarometer sur la participation
Le message de Citizen Engagement, Citizen Power est clair : les citoyens veulent plus que le simple droit de vote. Ils veulent influencer les décisions, demander des comptes aux dirigeants et co-créer des solutions aux défis auxquels ils sont confrontés. La participation n’est pas un luxe, elle est essentielle à la légitimité et à l’efficacité des institutions démocratiques.
Pour les parlements, cela commence par la communication. De nombreux citoyens ignorent tout simplement ce que fait leur parlement ou comment l’influencer. Les sites web des parlements sont souvent obsolètes, les réseaux sociaux sous-utilisés et les documents législatifs remplis de jargon inaccessible.
Les parlements doivent utiliser des résumés en langage clair, des infographies et des documents axés sur les citoyens pour expliquer les questions clés. Cela est urgent à une époque marquée par la désinformation et les deepfakes.
La radio reste l’un des outils les plus puissants et les plus accessibles pour sensibiliser la population à la démocratie. Les assemblées législatives qui utilisent déjà des émissions de radio pour expliquer les projets de loi et recueillir des commentaires devraient étendre ces initiatives, en particulier dans les langues locales. Les podcasts, les dialogues publics et les événements communautaires peuvent également susciter l’engagement.
Mais l’engagement ne concerne pas seulement l’information, il concerne aussi la présence. De nombreux parlements restent physiquement et culturellement éloignés des personnes qu’ils servent. Les membres du parlement sont de plus en plus issus des élites riches et orientées vers les affaires, ce qui renforce l’impression que le parlement sert ses propres intérêts.
Autrefois, les enseignants, les fonctionnaires et les dirigeants communautaires étaient plus nombreux dans les assemblées législatives.
Pour combler ce fossé, les parlements doivent investir dans un engagement décentralisé. Cela implique notamment d’organiser des audiences en dehors des capitales, de mener des actions de sensibilisation dans les zones rurales et de nouer des partenariats avec les écoles, les universités et les institutions confessionnelles.
Il est essentiel que la consultation soit authentique. Trop souvent, la participation se limite aux ONG d’élite des centres urbains. Celles-ci jouent un rôle important, mais ne peuvent se substituer à un engagement à grande échelle. Le Bureau de la démocratie parlementaire d’Afrique du Sud offre un modèle : une unité de sensibilisation dédiée qui s’efforce d’inclure les voix rurales et de traduire les contributions du public en politiques. Des efforts similaires à travers le continent devraient garantir que la participation devienne une pratique courante et que les citoyens puissent suivre l’impact de leurs contributions sur les résultats.
Les structures communautaires existantes peuvent accueillir des assemblées et des forums citoyens. La technologie peut également aider, mais elle doit être utilisée de manière inclusive. Avec près de la moitié de la population vivant dans des zones rurales et un tiers n’ayant pas reçu d’éducation formelle (https://databrowser.uis.unesco.org/ « »), l’engagement numérique risque d’exclure les groupes qui ont le plus besoin de faire entendre leur voix.
La participation, bouée de sauvetage de la démocratie
Le rapport Afrobarometer montre que les citoyens ne se détournent pas de la démocratie en soi. Ils se détournent des institutions démocratiques qui ne les incluent pas. La participation peut reconnecter les citoyens à la démocratie et restaurer la confiance dans la gouvernance. Mais seulement si elle est significative, durable et inclusive.
Les événements au Kenya et au Nigeria démontrent les risques de l’exclusion. Si les parlements légifèrent sans le peuple, les citoyens chercheront à se faire entendre ailleurs, par le biais de manifestations, de mouvements populistes ou d’alternatives autoritaires.
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Temitayo Isaac Odeyemi does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.
– ref. 60 % des Africains ne croient pas que la démocratie serve leurs intérêts : comment les parlements peuvent remédier à cela – https://theconversation.com/60-des-africains-ne-croient-pas-que-la-democratie-serve-leurs-interets-comment-les-parlements-peuvent-remedier-a-cela-264555
