Trafic d’animaux sauvages en Corée du Nord : quand le gouvernement ferme les yeux

Source: The Conversation – in French – By Joshua Elves-Powell, Associate Lecturer in Biodiversity Conservation and Ecology, UCL

Des rapports suggèrent que les peaux de goral à longue queue sont vendues illégalement à des acheteurs en Chine. Vachovec1 , CC BY-SA

Des chercheurs se sont appuyés sur des témoignages de réfugiés nord-coréens, confirmés par des rapports provenant de Chine, de Corée du Sud et des images satellites, pour dresser un panorama du commerce illégal d’animaux sauvages dans le pays. Ces données suggèrent l’implication de l’État.


La Corée du Nord est connue pour le commerce illicite d’armes et de stupéfiants. Mais une nouvelle étude que j’ai menée avec des collègues britanniques et norvégiens révèle un nouveau sujet de préoccupation : le commerce illégal d’espèces sauvages prospère dans le pays, y compris celles qui sont censées être protégées par la législation nord-coréenne.

D’après des entretiens menés auprès de réfugiés nord-coréens (également appelés « transfuges » ou « fugitifs »), qui peuvent être d’anciens chasseurs voire des intermédiaires dans le commerce d’animaux sauvages, notre étude, menée sur quatre ans, montre que presque toutes les espèces de mammifères en Corée du Nord plus grandes qu’un hérisson sont capturées de manière opportuniste, à des fins de consommation ou de commerce. Même les espèces hautement protégées font l’objet de commerce, parfois au-delà de la frontière chinoise.

Le plus frappant reste que ce phénomène ne se limite pas au marché noir. L’État nord-coréen lui-même semble tirer profit de l’exploitation illégale et non durable de la faune sauvage.

Le poids de l’économie informelle

Après l’effondrement de l’économie nord-coréenne dans les années 1990, le pays a connu une grave famine qui a fait entre 600 000 et 1 million de morts. Ne pouvant plus compter sur l’État pour subvenir à leurs besoins alimentaires, médicaux et autres besoins fondamentaux, de nombreux citoyens se sont alors mis à acheter et à vendre des marchandises – parfois volées dans des usines publiques ou introduites en contrebande depuis la Chine – dans le cadre d’une économie informelle en pleine expansion.

Cette économie informelle intègre aussi les animaux et les plantes sauvages, une précieuse ressource alimentaire. La faune sauvage est également appréciée pour son utilisation dans la médecine traditionnelle coréenne, ou pour la fabrication de produits tels que les vêtements d’hiver.

Il est important de noter que la vente de produits issus de la faune sauvage permet de générer des revenus importants. C’est pourquoi, outre le marché intérieur de la viande sauvage et des parties animales, un commerce international s’est développé, dans lequel des contrebandiers tentaient de vendre des produits issus de la faune sauvage nord-coréenne de l’autre côté de la frontière, en Chine.

Vue aérienne de la zone démitarilisée à la frontière entre les deux Corées
La zone démilitarisée de 4 km de large entre la Corée du Nord et la Corée du Sud est devenue un refuge pour la faune sauvage.
Eleteurtre/Shutterstock

Ce commerce n’est officiellement reconnu par aucun des deux gouvernements. La Corée du Nord est l’un des rares pays à ne pas être signataire de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES) – le traité qui réglemente le commerce international des espèces menacées d’extinction. Il existe donc peu de données officielles. Bon nombre des techniques habituellement utilisées par les chercheurs, telles que les études de marché ou l’analyse des données relatives aux saisies ou au commerce, sont tout simplement impossibles à mettre en œuvre dans le cas de la Corée du Nord.

C’est pourquoi nous nous sommes tournés vers les témoignages de réfugiés nord-coréens. Parmi eux figuraient d’anciens chasseurs, des intermédiaires, des acheteurs et même des soldats qui avaient été affectés à des réserves de chasse réservées à la famille dirigeante de la Corée du Nord. Afin de protéger leur sécurité, tous les entretiens ont été menés de façon anonyme.

Pour vérifier les données issues de ces entretiens, nous les avons comparées à des rapports provenant de Chine et de Corée du Sud. Les changements signalés dans certaines ressources forestières ont également pu être vérifiés à l’aide de la télédétection par satellite.

Leurs récits donnent une idée impressionnante des interactions entre humains, animaux et plantes sauvages en Corée du Nord, ainsi que de leur utilisation commerciale.

L’implication de l’État nord-coréen dans le commerce d’espèces sauvages

Cependant, le plus inquiétant est que ces témoignages suggèrent que l’État nord-coréen lui-même puisse être directement impliqué dans le commerce d’espèces sauvages. Bien qu’il soit ressorti clairement des entretiens que les participants ignoraient le plus souvent le statut juridique du commerce d’espèces sauvages pour différentes espèces, notre analyse montre qu’une partie de ce commerce semble être illégale.

Les participants ont décrit des fermes d’élevage d’animaux sauvages gérées par l’État qui produisent des loutres, des faisans, des cerfs et des ours, ainsi que des parties de leur corps, à des fins commerciales. En effet, la Corée du Nord a été le premier pays à élever des ours pour leur bile, avant que cette pratique ne se répande en Chine et en Corée du Sud.

L’État aurait également collecté des peaux d’animaux via un système de quotas, les habitants remettant les peaux à une agence gouvernementale, tandis que les chasseurs agréés par l’État et les communautés locales offraient parfois des produits issus de la faune sauvage à l’État ou à ses dirigeants en guise de tribut.

ours noir
La Corée du Nord possède des fermes d’élevage d’ours. L’un des produits fabriqués est la bile d’ours, utilisée en médecine traditionnelle (photo prise en Corée du Sud).
Joshua Elves Powell

L’une des espèces identifiées par nos interlocuteurs était le goral à longue queue (sur l’image en tête de cet article). Longtemps chassé pour sa peau, cet animal est désormais strictement protégé par la CITES. Nos données suggèrent que les gorals étaient destinés à être vendus à des acheteurs chinois. La Chine est pourtant partie à la convention (c’est-à-dire, elle l’a ratifié), ce commerce constituerait donc une violation des engagements pris par la Chine dans le cadre de la CITES.

Les impacts au-delà des frontières coréennes

La péninsule coréenne est un site d’importance mondiale pour de nombreuses espèces de mammifères. Ses régions septentrionales sont reliées, par voie terrestre, à des zones de Chine où ces espèces sont actuellement en voie de rétablissement. Cependant, la chasse non durable et la déforestation menacent leur potentiel de rétablissement en Corée du Nord.

Ceci a des conséquences plus larges. Par exemple, on espérait que le léopard de l’Amour, l’un des félins les plus rares au monde, puisse un jour recoloniser naturellement la Corée du Sud. Mais cela semble désormais très improbable, car ces animaux seraient confrontés à de graves menaces rien qu’en traversant la Corée du Nord.

Par ailleurs, les objectifs de conservation de la Chine, tels que la restauration du tigre de Sibérie dans ses provinces du Nord-est, pourraient être compromis si les espèces menacées qui traversent sa frontière avec la Corée du Nord sont tuées à des fins commerciales.

En outre, le commerce transfrontalier illégal d’espèces sauvages en provenance de Corée du Nord constituerait une violation des engagements pris par la Chine dans le cadre de la CITES, un problème grave susceptible d’avoir de graves répercussions sur le commerce légal d’animaux et de plantes. Pour faire face à ce risque, Pékin doit redoubler d’efforts pour lutter contre la demande intérieure d’espèces sauvages illégales.

Le commerce d’espèces sauvages nord-coréennes est actuellement un angle mort pour la conservation mondiale. Nos conclusions contribuent à mettre en lumière le problème que représente le commerce illégal et non durable d’espèces sauvages, mais la lutte contre cette menace, qui pèse sur les ressources naturelles de la Corée du Nord, dépendra en fin de compte des décisions prises par Pyongyang. Le respect de la législation nationale sur les espèces protégées devrait être une priorité immédiate.

The Conversation

Joshua Elves-Powell a reçu des financements du London NERC DTP et ses travaux sont soutenus par Research England.

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