Source: The Conversation – in French – By Manu Lekunze, Lecturer, University of Aberdeen
Les Camerounais éliront le 12 octobre 2025. Le président sortant, Paul Biya, au pouvoir depuis près de 43 ans, sera candidat.
En 2025, comme lors de la dernière élection de 2018 et de toutes les élections présidentielles depuis 1992, il est raisonnable de s’attendre à ce que le parti au pouvoir l’emporte. Et les partis d’opposition contesteront certainement les résultats.
Si Biya remporte l’élection, à la fin de son nouveau mandat en 2032, il aura été au pouvoir pendant un demi-siècle. Ce sera un exploit qu’aucun autre chef d’État n’aura réalisé à l’ère moderne.
De plus, en 1968, Biya occupait simultanément les fonctions de directeur du cabinet civil du président et de secrétaire général de la présidence (le poste le plus important du gouvernement après celui de président). En 1979, il est devenu Premier ministre et, en novembre 1982, il a succédé à Ahmadou Ahidjo à la présidence.
Par conséquent, compte tenu du niveau d’éducation limité d’Ahidjo et de ses problèmes de santé à la fin de son mandat, on peut dire que Biya tient les rennes du pouvoir depuis 1968.
En tant que spécialiste de la sécurité internationale, j’ai mené des recherches sur la sécurité au Cameroun depuis plus de 10 ans, notamment sur l’insurrection séparatiste dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, Boko Haram dans la région de l’Extrême-Nord, et les implications sécuritaires du maintien au pouvoir de Biya.
À mon avis, malgré les nombreuses critiques adressées au régime de Biya, il a su contribuer à réguler la vie publique et préserver une certaine stabilité. Au cours des 42 dernières années, les investisseurs étrangers et les partenaires de sécurité externes n’ont pas eu à s’inquiéter de changements politiques radicaux au Cameroun.
Cette élection, qu’elle débouche sur un nouveau mandat ou sur une transition, risque de compromettre la stabilité à laquelle les partenaires externes du Cameroun se sont habitués. Elle pourrait accroître les tensions ethniques ou régionales résultant d’une marginalisation prolongée. Elle pourrait également amorcer un processus de transition qui pourrait prendre du temps à se consolider, laissant place à l’instabilité, y compris à davantage de conflits armés.
Menaces d’insurrection
Parmi les griefs les plus souvent cités par les séparatistes figurent l’abolition du système fédéral et le changement du nom officiel du Cameroun en 1984, qui est passé de République unie du Cameroun à République du Cameroun (nom adopté par l’ancienne colonie française du Cameroun en 1960).
Les séparatistes font valoir que le mot « unie » indiquait clairement que le Cameroun actuel était composé de deux parties égales. La suppression de ce mot signifie que l’une a absorbé l’autre.
Ils sont également mécontents de la sous-représentation des anglophones aux postes gouvernementaux de haut niveau.
En tant que secrétaire général de la présidence, Biya n’était pas un simple spectateur lors du référendum de 1972 qui a mis fin au système fédéral de gouvernement du pays. Il est également chargé de nommer les hauts fonctionnaires depuis 1982.
Certains séparatistes pensent que si son gouvernement avait répondu aux protestations de 2016, celles-ci n’auraient pas dégénéré en insurrection.
Les manifestations organisées en 2016 par des avocats et des enseignants anglophones contre la domination perçue des francophones ont déclenché une répression violente de la part des forces de sécurité. Cela a conduit à la formation de groupes séparatistes armés qui ont déclaré un État indépendant appelé « Ambazonie » et ont déclenché un conflit armé avec le gouvernement.
De même, on pourrait dire que l’approche de Biya en matière de politique étrangère a contribué à la croissance et à la puissance de Boko Haram, un groupe terroriste régional, au Cameroun. Le groupe a exploité les failles de l’architecture sécuritaire du Cameroun et la stratégie de Biya consistant à faire profil bas sur la scène politique internationale.
L’International Crisis Group et plusieurs analystes estiment que si le gouvernement camerounais avait réprimé les activités de Boko Haram, l’insurrection aurait eu du mal à prendre l’ampleur qu’elle a connue en 2014 et 2015.
À mon avis, la réticence de Biya à attirer l’attention internationale sur le Cameroun l’a rendu hésitant à agir contre Boko Haram.
En résumé : il est peu probable que le statu quo permette de faire face à la menace d’une insurrection persistante.
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Les élections peuvent aggraver les divisions
Maurice Kamto était le principal candidat de l’opposition lors de la dernière élection présidentielle. Sa contestation des résultats a provoqué une certaine crise post-électorale. Sa candidature à l’élection de 2025 a été rejetée.
Kamto appartient à l’ethnie Bamiléké, originaire de la région Ouest, où règne déjà un sentiment d’exclusion politique.
Issa Tchiroma, figure de l’opposition qui a occupé des fonctions ministérielles pendant de longues périodes depuis 1992, a démissionné en 2025 pour se porter candidat aux élections d’octobre. Tchiroma est originaire du nord (régions de l’Adamaoua, du Nord et de l’Extrême-Nord). Il existe une certaine attente quant à la rotation de la présidence entre le nord et le sud. C’est au tour du nord, car Biya, le deuxième président, est originaire du sud, tandis que le premier président, Ahidjo, était originaire du nord.
Tchiroma risque de dénoncer un traitement injuste s’il ne remporte pas les élections. Il a déjà protesté publiquement contre le fait qu’on l’empêche de quitter le pays.
Les violences dans la région natale de Kamto, le Bamiléké, ou dans le nord de Tchiroma pourraient étendre les zones du territoire camerounais touchées par l’insurrection. Certaines parties du nord-ouest (où opèrent les séparatistes) et de l’ouest sont reliées à l’Adamaoua, puis aux régions du nord et de l’extrême nord (où opère Boko Haram). Une coalition entre les Bamiléké et le nord contre le sud (base électorale de Biya) pourrait sérieusement compromettre la sécurité du Cameroun. Cette division pourrait entraîner plus qu’une insurrection périphérique.
Si le Cameroun est déstabilisé en raison du maintien au pouvoir de Biya ou d’une transition bâclée, cela menacera la sécurité dans la région de l’Afrique centrale.
La voie à suivre
Mes recherches sur l’insurrection séparatiste montrent clairement que les responsables camerounais et leurs soutiens internationaux doivent s’attaquer au sentiment de marginalisation ou d’exclusion politique.
L’âge et la longévité de Biya au pouvoir, ainsi que la perspective d’un nouveau mandat de sept ans, soulèvent des questions quant à la transition éventuelle et à l’origine ethnique du prochain président.
Il serait nécessaire de parvenir à un consensus prudent afin de garantir qu’un groupe politiquement important comme les Peuls, les Bamilékés ou les anglophones ne se sente pas sérieusement marginalisé ou exclu de la vie politique.
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Manu Lekunze reçoit un financement des conseils de recherche britanniques
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