Source: The Conversation – in French – By Marion Bost, Directrice technique Géotechnique, PhD, HDR, experte internationale en mécanique des roches, Cerema

En montagne, les éboulements sont fréquents. Leurs conséquences peuvent être dramatiques au dessus des routes et des installations humaines, de plus en plus présentes en montagne. Comment nous protéger ?
Le 20 août dernier, un éboulement rocheux dans la descente des Egratz vers Chamonix (Haute-Savoie) sur la RN 205 a causé un accident mortel. Début février 2025, à une semaine des vacances d’hiver, la route nationale 90 était bouchée à l’entrée de la vallée de la Tarentaise (Savoie). Le trafic ferroviaire entre Paris et Milan a été interrompu pendant plus d’un an et demi… à cause d’un éboulement rocheux fin août 2023. Ces évènements nous rappellent que ces phénomènes naturels constituent encore aujourd’hui une forte menace dans les territoires de montagne.
Entre 1900 et 2021, sur le territoire national, on recense 18 éboulements rocheux qui ont fait des victimes. Mais une route coupée peut aussi conduire à des effets que l’on imagine moins spontanément : une rupture dans l’accès aux soins, dans le transport transfrontalier de personnes et de marchandises et aussi, bien sûr, l’accès aux stations de ski – secteur qui représente plus de 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel en France.
Comment se protéger des éboulements rocheux ?
Pour protéger les personnes et les biens, des structures de protection « passives » peuvent être mises en œuvre, soit en interceptant les blocs rocheux lors de leur propagation dans la pente, soit en les déviant. Les merlons comme les filets métalliques peuvent servir aux deux actions selon leur conception.
Fourni par l’auteur
Ainsi les écrans souples de filets sont constitués de nappes de filets déformables maintenues par des poteaux et par des câbles, qui sont fixés au sol par des ancrages. Des systèmes de dissipation d’énergie (appelés « freins ») sont disposés sur les câbles ou au niveau des ancrages pour limiter les efforts dans la structure et dissiper l’énergie cinétique d’impact du bloc.
Les écrans de filets peuvent arrêter des blocs avec une énergie d’impact jusqu’à 12 000 kilojoules, ce qui correspond à des blocs de 15 mètres cubes, soit l’énergie d’un bloc du volume d’un SUV circulant à la vitesse de 90 kilomètres par heure.
Les merlons sont des structures massives en élévation par rapport au terrain naturel, constituées de matériaux de remblai, comme le sol en place, renforcés ou non par différentes technologies (géosynthétique, armature métallique, pneu…).
Selon leur conception, la capacité d’arrêt des merlons peut être supérieure à celle des écrans de filets métalliques, et atteindre plusieurs dizaines de milliers de kilojoules, soit plus de trois à quatre blocs de quinze mètres cubes à 90 kilomètres par heure.

Marie-Aurélie Chanut, Fourni par l’auteur
La solution des écrans souples de filets est cependant souvent privilégiée en zone de montagne, car elle nécessite peu d’emprise au sol et peut être installée en forte pente grâce à des hélicoptères.
Comment conçoit-on ces ouvrages de protection ?
Comme tout ouvrage du génie civil, un écran de filets doit être dimensionné. Pour cela, il faut recenser sur le terrain les blocs potentiellement instables et évaluer s’ils sont susceptibles de s’ébouler. Dans un second temps, nous réalisons des simulations numériques pour estimer l’énergie et la hauteur de passage de chaque bloc, afin de définir l’endroit dans la pente où positionner l’ouvrage de protection et avec quelles caractéristiques. Ensuite, un produit existant sur le marché permettant de remplir ces conditions est choisi.
Marie-Aurélie Chanut, Fourni par l’auteur
Notons que la capacité d’arrêt de certains produits marqués CE a été testée par des essais d’impact réalisés en grandeur réelle. De plus, après l’installation des structures sur le terrain, des inspections détaillées et un entretien des ouvrages permettent d’assurer le niveau de service attendu pendant la durée de vie de chaque ouvrage, soit au minimum vingt-cinq ans en atmosphère peu corrosive.
La conception d’un écran de filets de protection contre les chutes de blocs est cependant complexe. Elle doit tenir compte d’un comportement dynamique et non linéaire de l’ouvrage sous l’impact d’un bloc. Ce type d’ouvrage favorise de grands déplacements au sein de la nappe de filets, qui limitent la concentration des efforts. Certains composants, essentiellement les freins, se déforment alors de façon irréversible.
Jibril Coulibaly et collaborateurs, C2ROP, Fourni par l’auteur
Ainsi depuis les années 1970, la communauté scientifique et technique se mobilise pour améliorer la compréhension du comportement de ces ouvrages sous sollicitation dynamique.
Quand les filets ne remplissent pas leur mission
Malgré ces efforts pour améliorer la fiabilité des écrans de filets, ces ouvrages peuvent encore être mis en défaut aujourd’hui.
Par exemple, un éboulement exceptionnel peut dépasser la sollicitation prise en compte lors du dimensionnement. Ce fut le cas lors de l’éboulement déjà cité sur la RN90, pendant lequel trois blocs de plus de 10 mètres cubes ont percuté à grande vitesse, estimée à 28 mètres par seconde, et presque simultanément, un écran de filets neuf de capacité d’arrêt maximale égale à 8 000 kilojoules (c’est-à-dire pouvant arrêter un seul bloc de 8 mètres cubes chutant à plus de 100 kilomètres par heure).
L’impact d’un bloc rocheux de forme tranchante présentant une vitesse de rotation significative ou encore un impact au niveau des câbles de haubanage ou des extrémités de l’ouvrage peuvent être également plus sévères que l’impact dans les conditions des essais en vraie grandeur de certification du produit.

Laurent Dubois, Fourni par l’auteur
Enfin, des erreurs de montage ou encore le vieillissement de certaines pièces métalliques par corrosion peuvent avoir une incidence sur la capacité d’arrêt de l’ouvrage tout au long de sa durée de vie.
Des enjeux qui évoluent
Les enjeux (bâtiments, infrastructures de transports…) situés dans les fonds de vallée des régions montagneuses sont de plus en plus vulnérables. En effet, les dernières décennies ont vu l’augmentation du trafic et de la pression foncière, en lien notamment avec l’essor du tourisme de montagne. En conséquence, les besoins en ouvrages de protection performants et fiables ne font qu’augmenter.
Des stratégies territoriales de protection doivent donc être mises en place. Mais les coûts élevés de mise en œuvre et d’entretien obligent à définir et à prioriser les actions de sécurisation vis-à-vis du risque rocheux.
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Marion Bost a reçu des financements de la Direction Générale de la Prévention des Risques du Ministère de la Transition écologique, de la Biodiversité, de la Forêt, de la Mer et de la Pêche.
Laurent Dubois travaille avec des entreprises de travaux construisant des merlons ou des écrans de filets sur les chantiers et dans le cadre de groupes de travail méthodologiques ou de normalisation.
Marie-Aurélie Chanut a reçu des financements de IREX.
– ref. Pourquoi y a-t-il encore des éboulements rocheux alors que des solutions de protection existent ? – https://theconversation.com/pourquoi-y-a-t-il-encore-des-eboulements-rocheux-alors-que-des-solutions-de-protection-existent-261712
