Source: The Conversation – France in French (3) – By Aniello Iannone, Indonesianists | Research Fellow at the research centre Geopolitica.info | Lecturer, Universitas Diponegoro
La mort d’Affan Kurniawan, jeune chauffeur de moto-taxi écrasé le 28 août par un véhicule de police, lors d’une manifestation à Jakarta, a enflammé la contestation déjà virulente en Indonésie. Dans la rue comme sur les réseaux sociaux, la colère vise une institution policière, accusée de corruption et de violence, qui apparaît comme un outil destiné à protéger les élites plutôt que les simples citoyens. Pendant ce temps, un projet de loi visant à accroître les prérogatives de la police est en cours d’examen.
Le hashtag #PolisiMusuhBersama (« La police est l’ennemi commun ») est devenu viral parmi les utilisateurs indonésiens des réseaux sociaux, à la suite d’une nouvelle bavure policière. Cela reflète une perception largement répandue selon laquelle, en Indonésie, la police, loin d’être exclusivement la garante de la sécurité publique, est avant tout un appareil destiné à protéger les privilégiés et le pouvoir.
La vague d’indignation contre la police a été déclenchée par la mort d’Affan Kurniawan, 21 ans, un conducteur de moto-taxi écrasé par un véhicule de la brigade mobile alors qu’il livrait de la nourriture. Quelques jours plus tôt, des manifestations avaient déjà éclaté à Jakarta pour protester contre l’arrogance des députés, qui reçoivent des indemnités mensuelles d’un montant équivalent à plus de 6 000 dollars US chaque mois – tandis que le revenu moyen des travailleurs indonésiens est d’environ 200 dollars par mois avant impôts.
Mais au-delà de la contestation des émoluments excessifs des députés, ce mouvement constitue également une dénonciation plus vaste du fossé, jugé insupportable, qui existe entre les élites et les simples travailleurs. Et dans cette confrontation, la police n’apparaît pas comme un arbitre neutre, mais comme le bouclier qui protège les privilèges oligarchiques, en interprétant la protestation sociale comme un trouble à l’ordre public et la critique du système comme une menace.
Comme cela s’était déjà produit lors de manifestations passées, la police indonésienne a eu recours à la force de façon excessive pour disperser et arrêter des manifestants pacifiques. En outre, elle est accusée par bon nombre d’observateurs de divers abus de pouvoir, à commencer par des arrestations arbitraires de citoyens critiquant la police et sa corruption généralisée.
Les récentes brutalités policières, loin d’être des incidents isolés, sont le reflet du fait que la violence de la police est désormais une partie intégrante de la vie quotidienne des Indonésiens. Et lorsque la brutalité devient ordinaire, ce n’est pas seulement la confiance du public dans les institutions qui s’érode : ce sont les fondements mêmes de la vie démocratique qui sont ébranlés.
Une répression devenue banale
La mort du conducteur de moto-taxi est venue s’ajouter à la longue liste d’actes violents et arbitraires commis par les forces de l’ordre en Indonésie.
Entre juillet 2024 et juin 2025, selon les données de la Commission pour les personnes disparues et les victimes de violence (KontraS), au moins 602 cas de violence commis par des policiers ont été répertoriés, dont 411 cas où les policiers ont fait usage de leurs armes à feu. Au moins 10 personnes ont été tuées et 76 autres blessées, souvent grièvement. Le rapport affirme également que la police a commis 37 exécutions extrajudiciaires. Il convient également de rappeler la tragédie de Kanjuruhan en 2022 : à Malang, dans la province du Java oriental, un mouvement de foule lors d’un match de football a fait 131 morts et 300 blessés. La police avait utilisé de manière excessive des gaz lacrymogènes pour disperser la foule dans le stade, entraînant la bousculade mortelle.
Ce qui rend la situation encore plus inquiétante, c’est la banalité des violences policières. La forme la plus troublante du mal n’est pas son excès spectaculaire, mais sa répétition routinière. Or en Indonésie, les brutalités policières ne constituent pas des cas extraordinaires mais, plutôt, des manifestations habituelles du fonctionnement de l’institution.
Chaque acte de répression policière est présenté comme une procédure normale, chaque décès comme un dommage collatéral et chaque arrestation comme une nécessité. Ainsi, l’institution transforme ce qui devrait scandaliser en ce qui est socialement toléré, assurant que la reproduction des inégalités se poursuit sans interruption.
La structure des institutions de maintien de l’ordre en Indonésie apparaît aujourd’hui très fragile, en l’absence de mécanismes adéquats pour gérer les conflits entre l’État et les civils.
Une institution corrompue
En février, la police a arrêté les membres du groupe de punk rock Sukatani pour avoir mis en ligne un morceau intitulé « Bayar, bayar, bayar » (Paye, paye, paye) – qui dénonçait les pratiques de « payement pour services », c’est-à-dire la « culture » de corruption persistante au sein des forces de l’ordre du pays, les citoyens subissant quotidiennement des extorsions de la police. Un sondage montre que 30,6 % des répondants reconnaissent avoir déjà versé un pot-de-vin à des policiers, y compris pour éviter des amendes liées à des infractions aux règles de circulation.
Selon Transparency International Indonesia, la police est l’une des institutions les plus corrompues du pays.
Malgré cette culture de corruption, l’institution devrait recevoir l’année prochaine un budget de 145,6 trillions de roupies indonésiennes (Rp), soit environ 7,5 milliards d’euros, contre 126,6 trillions de Rp (environ 6,58 milliards d’euros) cette année. Cela fera de la police la troisième institution publique disposant du budget le plus élevé, après l’Agence nationale de nutrition et le ministère de la défense.
L’arrestation des membres du groupe de musique relève de ce que le sociologue Pierre Bourdieu a décrit comme la violence symbolique, à savoir le pouvoir d’imposer des normes sociales en présentant la domination comme naturelle et incontestable.
En qualifiant les critiques dont ils font l’objet de « diffamation », les policiers cherchent à renforcer leur autorité tout en dissuadant toute contestation future.
Encore plus de pouvoir à venir
Au lieu de réformer la police, le gouvernement – avec l’appui du Parlement – est en train de réviser le code pénal d’une manière qui risque de transformer la police en une institution surpuissante au sein du système judiciaire pénal.
Si la révision proposée est adoptée, la police pourra superviser le travail des autres fonctionnaires chargés de conduire des enquêtes, notamment administratives. Cela ouvre la porte à des interférences et remet en cause l’autonomie des autres organismes chargés de l’application de la loi.
Le projet de loi accorde également à la police le pouvoir de mettre en œuvre diverses mesures coercitives, menaçant les droits de chaque citoyen.
L’urgence d’une réforme
En Indonésie, le mandat de maintien de l’ordre public est souvent utilisé pour justifier la violence au nom de la « sécurité ». Les ordres de « sécuriser » une situation se traduisent systématiquement par de la répression, le contrôle et la stabilité étant placés au-dessus de la responsabilité démocratique.
Dans un système conçu pour protéger les élites, même les plus petits actes de résistance sont considérés comme des menaces pour le statu quo. La combinaison du pouvoir coercitif et des liens oligarchiques rend toute réforme substantielle extrêmement difficile.
Pourtant, à mesure que la brutalité persiste et que l’autorité policière continue de s’étendre, une réforme complète de l’institution ne peut plus être reportée.
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Aniello Iannone ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
– ref. L’Indonésie en révolte face aux violences policières – https://theconversation.com/lindonesie-en-revolte-face-aux-violences-policieres-264295
