Les cartes du monde représentent mal la taille de l’Afrique : pourquoi il est important de corriger cela

Source: The Conversation – in French – By Jack Swab, Assistant Professor Department of Geography & Sustainability, University of Tennessee

L’Union africaine a approuvé la campagne #CorrectTheMap (corriger la carte), qui appelle les Nations unies et la communauté internationale à utiliser à adopter une autre représentation du monde. La campagne compte actuellement plus de 7 700 signatures.

La carte la plus couramment utilisée est appelée projection de Mercator. Les projections cartographiques permettent aux cartographes (créateurs de cartes) d’« aplatir » la Terre tridimensionnelle en une carte bidimensionnelle.

La projection de Mercator a été créée il y a plus de 450 ans pour faciliter l’exploration coloniale et le commerce maritime. Mais au fil des siècles, elle est devenue une projection « polyvalente » pour de nombreux gouvernements, éducateurs et entreprises.

Ce dessin plat gonfle la taille des pays proches du pôle Nord ou du pôle Sud. Il exagère la superficie de l’Amérique du Nord et de l’Eurasie, tout en sous-représentant la taille d’une grande partie de l’Amérique du Sud et de l’Afrique. En tant que plus grand continent du sud de la planète, l’Afrique est victime de cette inégalité cartographique.

La campagne #CorrectTheMap appelle à adopter la projection cartographique Equal Earth, développée en 2018 par une équipe internationale de cartographes. Elle corrige les distorsions présentes dans la projection de Mercator.

Les controverses sur les projections cartographiques ne sont pas nouvelles. Depuis les années 1970, les cartographes discutent de la manière dont certaines projections déforment l’apparence de la Terre et la façon dont les gens imaginent leur place dans ce monde.

Au cœur des débats sur les cartes se trouvent des tensions quant au pouvoir que les cartes exercent dans le monde.

Pour l’Union africaine, changer les projections cartographiques ne se résume pas à corriger un défaut technique. C’est aussi l’occasion d’influencer la façon dont les utilisateurs actuels et futurs des cartes perçoivent, évoquent et valorisent l’Afrique.

Cet appel est une demande pour que les Africains soient représentés selon leurs propres termes, plutôt que par le biais de traditions cartographiques qui ont longtemps minimisé leur importance et leur stature.

En tant que cartographes, nous sommes attentifs au pouvoir social et communicatif des cartes.

Étant donné que les cartes contribuent à façonner notre compréhension du monde, les choix les plus simples pour leur conception peuvent avoir des conséquences géopolitiques majeures.

Les cartes ne sont pas neutres

Il existe plus de 200 projections principales de la carte du monde. Chacune déforme l’image de la Terre à sa manière, ce qui fait du choix de la projection une décision lourde de conséquences et complexe, loin de toute neutralité.

Par exemple, la projection Dymaxion, développée par l’ingénieur américain Buckminster Fuller, a été conçue pour remettre en question les notions de nord et de sud. D’autres, comme la projection conique conforme de Lambert, sont largement utilisées dans l’aviation pour faciliter la planification des vols.

Les cartes sont une forme de narration, ainsi qu’une source d’information. Même les lignes, les couleurs, les symboles et la taille des régions représentées sur les cartes communiquent une signification sociale. Ils éduquent de manière subtile mais puissante les gens, des écoliers aux dirigeants mondiaux, sur ce qui compte véritablement.

L’intérêt récent du président américain Donald Trump pour l’achat du Groenland par les États-Unis, invoquant sa grande taille, a probablement été influencé par la distorsion cartographique. La projection de Mercator montre le Groenland comme ayant presque la même taille que l’Afrique, alors qu’en réalité, l’Afrique est environ 14 fois plus grande.

D’autres projections permettent de représenter plus fidèlement la taille réelle des continents. Certaines projections sont plus adaptées que d’autres à cette tâche spécifique ; par exemple, la projection de Gall-Peters a été utilisée dans le passé comme alternative à la projection de Mercator.

La carotgraphie comme outil de domination

La cartographie a été un puissant outil de domination tout au long de l’histoire de l’Afrique. Les topographes et les géomètres ont participé à la conquête et à la colonisation de l’Afrique par les Européens, accompagnant régulièrement les expéditions militaires. Les cartographes européens ont présenté l’Afrique comme un paysage à exploiter en peuplant les cartes de routes commerciales, de ressources et d’espaces vierges prêts à être développés, tout en ignorant souvent les traditions cartographiques et les connaissances géographiques des Africains indigènes.

La Conférence de Berlin de 1885, où les puissances européennes se sont réunies sans aucune représentation africaine, marque l’un des paroxysmes de cette approriation cratographique et coloniale et du partage du continent.

La projection de Mercator s’accompagne d’autres types de récits occidentaux, que l’on retrouve dans la culture populaire, les médias et les cercles diplomatiques – qui ont stéréotypé, dégradé et sous-estimé la place de l’Afrique dans le monde.

Dans cette optique, le débat public sur la projection de Mercator peut être interprété non seulement comme une question d’exactitude visuelle d’une carte, mais aussi comme une question de restauration de la dignité et de l’autonomie.

Pourquoi il est difficile de changer la carte du monde?

Il ne sera pas facile d’apporter des changements.

Tout d’abord, la production de cartes mondiales n’est pas régie par une seule autorité. Même si les Nations unies adoptaient la projection Equal Earth, les cartes du monde pourraient toujours être dessinées selon d’autres projections. Les cartographes sont fréquemment chargés de mettre à jour les cartes du monde afin de refléter les changements de noms et de frontières. Mais ces changements ne sont pas toujours rapidement acceptés.

Par exemple, les cartographes ont modifié les cartes du monde en anglais après que la République tchèque a adopté le nom « Czechia » comme nom anglais en 2016. Si cette modification n’a pas été difficile à réaliser, elle a été plus difficile à faire accepter.

L’image mentale que l’on se fait du monde se renforce dès le plus jeune âge. Les effets du passage à la projection Equal Earth pourraient mettre des années à se concrétiser. Les efforts précédents visant à abandonner la projection de Mercator, comme ceux des écoles publiques de Boston en 2017, ont contrarié les cartographes et les parents.

Compte tenu des objectifs plus larges de l’Union africaine, soutenir la projection Equal Earth est la première étape pour inciter la communauté internationale à voir le monde de manière plus équitable et à redéfinir la façon dont le monde valorise l’Afrique. Mobiliser le soutien social en faveur de la nouvelle projection par le biais d’ateliers avec des éducateurs, d’actions diplomatiques, de forums avec des éditeurs de manuels scolaires, des journalistes et des entreprises partenaires africaines pourrait contribuer à éloigner le monde de la projection de Mercator dans son usage quotidien.

Le simple fait de passer à la projection Equal Earth ne suffira pas à effacer des siècles de représentations déformées ni à garantir des relations mondiales plus équitables. Mais c’est un pas vers le rétablissement de la visibilité légitime de l’Afrique sur la scène mondiale.

The Conversation

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