Repenser le risque : Comment l’incertitude peut renforcer les équipes et les organisations

Source: The Conversation – France (in French) – By Alec Waterworth, Associate Professor of Project Management, Montpellier Business School

La gestion traditionnelle des risques atteint ses limites lorsque l’imprévu survient. Pour mieux faire face à l’incertitude, nous devons changer de perspective : ouvrir le dialogue, encourager l’expression des préoccupations et impliquer davantage les équipes. Cette approche renforce à la fois la résilience organisationnelle et la dynamique d’équipe.


Si vous demandez à n’importe quel responsable expérimenté comment il gère les risques de son entreprise, vous entendrez probablement une réponse confiante. Après tout, se préparer à d’éventuels revers – en créant des registres de risques et en établissant des plans d’urgence – est devenu une pratique courante dans le paysage commercial actuel. Cette approche structurée rassure et donne un sentiment d’ordre face à l’inconnu. Mais la vie ne suit pas des listes de contrôle précises.

Les limites du contrôle

Le risque, par nature, est quelque chose que nous pouvons identifier et définir, mais qu’en est-il des inconnues, de l’imprévisible ? La vie est pleine d’incertitudes et des événements inattendus peuvent perturber même les plans les mieux préparés. La pandémie de Covid-19 l’a rappelé brutalement. Malgré des décennies de recherche sur les risques sanitaires mondiaux, sa propagation rapide et son impact dévastateur ont pris une grande partie du monde au dépourvu.

Le défi ne consiste pas seulement à planifier le risque, mais aussi à apprendre à vivre avec l’incertitude. Nous cherchons souvent à contrôler la situation pour nous sentir en sécurité, alors que certains des moments les plus marquants de la vie émergent de situations que nous n’avions pas du tout prévues.

Pour faire face à l’incertitude, il faut plus que de la préparation : l’adaptabilité, la résilience et la volonté de se lancer dans l’inconnu sont nécessaires.




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Au lieu de considérer l’incertitude comme quelque chose à éliminer, nous pourrions poser une question différente : comment pouvons-nous mieux nous équiper – non seulement en tant que dirigeants, mais aussi en tant qu’êtres humains – pour faire face à l’imprévisible avec clarté et confiance ?

Repérer les « inconnues inconnues »

Lorsque cette perspective plus large de la gestion des risques est présentée aux dirigeants des organisations, un sentiment de soulagement est souvent palpable, car ils réalisent qu’ils n’ont pas à craindre l’incertitude ou à l’affronter seuls. Comment font les organisations pour s’y attaquer efficacement, étant donné que souvent, comme l’a dit un chef de projet senior « l’incertitude est reconnue… mais je ne suis pas sûr qu’elle est pleinement comprise ».

Comme l’expliquent Tyson R. Browning et Ranga V. Ramasesh dans leur article, de nombreuses surprises peuvent être évitées si l’on prend le temps d’identifier les problèmes potentiels avant qu’ils ne surviennent. Nous travaillons souvent sous une forte pression pour avancer rapidement, ce qui laisse un fossé entre ce que nous savons et ce que nous pourrions savoir.

En utilisant la « reconnaissance dirigée », nous pouvons combler cet écart et mettre en lumière les inconnues inconnues qui nous guettent. Ce processus, également appelé « création de sens », consiste à approfondir sa compréhension du contexte dans lequel on travaille.

Les techniques de reconnaissance dirigée consistent à :

  • décomposer le travail en petites parties afin d’analyser les problèmes potentiels dans chaque partie ;

  • mener des entretiens approfondis avec les principales parties prenantes pour découvrir les risques cachés ;

  • l’utilisation de listes de contrôle issues de projets antérieurs pour guider la planification future ;

  • planifier des scénarios pour explorer les multiples possibilités futures et anticiper les incertitudes ;

  • favoriser une culture de l’alerte où les problèmes potentiels sont identifiés et partagés, et non cachés.

Explorer les incertitudes en toute sécurité

Ce dernier point de Browning et Ramasesh – la promotion d’une « culture de l’alerte » – est axé sur l’identification et le partage des problèmes potentiels qui, autrement, auraient pu être non détectés ou cachés. En faisant en sorte que les gens puissent exprimer leurs préoccupations, poser des questions difficiles et explorer les incertitudes en toute sécurité, nous transformons la manière dont nous abordons le risque – non pas comme quelque chose à craindre ou à ignorer, mais comme une partie naturelle de la navigation dans un monde imprévisible.

Fondée sur des conversations honnêtes, la curiosité et la responsabilité collective, cette approche considère que la reconnaissance des risques potentiels n’est pas une question de négativité, mais de résilience et de préparation.

Le pouvoir de la technique « pre-mortem »

Gary Klein, psychologue cognitif, propose une approche innovante et complémentaire avec sa technique dite « pre-mortem ». Contrairement à la technique post mortem, qui consiste à analyser l’échec après coup, la technique pre-mortem consiste à imaginer que l’on a déjà échoué, puis à remonter le temps pour en déterminer les raisons. Klein cite des recherches suggérant que le fait d’imaginer des événements ou des décisions futurs comme s’ils s’étaient déjà produits (comme dans le cas du pre-mortem) peut améliorer de 30 % notre capacité à prédire les raisons des résultats futurs.

Cette réflexion élargit la portée des approches traditionnelles en matière de risque et donne la parole à tous les membres de l’équipe, permettant ainsi de discuter d’opinions et d’idées qui, autrement, auraient pu rester tacites.

« Le pre-mortem crée un espace sûr pour que les gens contribuent et soulèvent des préoccupations », remarque un haut responsable.

Il peut également apporter de la curiosité et une énergie créative au processus, transformant une tâche habituellement banale en quelque chose d’engageant.

« C’est presque comme si vous étiez à l’aventure, ajoute un chef de projet, vous encouragez les gens à identifier les inconnues et la façon de les résoudre. »

Syntec recrutement, 2014.

Contribuer à un lieu de travail positif

L’incertitude n’est pas seulement un sujet intriguant, c’est aussi un sujet qui a un impact tangible sur le lieu de travail. Relever ce défi de manière proactive et collaborative peut apporter des avantages plus larges au sein de l’organisation, tels qu’une amélioration de la communication et une culture plus ouverte, comme le rapporte un chef de projet :

« Cela donne le sentiment que l’opinion de chacun compte. Dans cette salle, tout le monde est traité sur un pied d’égalité. Cela contribue à montrer que les dirigeants s’intéressent [aux] opinions et [aux] doutes [de tout le monde]. Il s’agit là d’un changement culturel qui s’opère au fil du temps. »

Ce point a été réaffirmé par un autre chef de projet, qui ajoute :

« La conséquence secondaire est que les gens sont plus disposés à lever la main et à annoncer les mauvaises nouvelles plus tôt, à exprimer leurs préoccupations plus tôt. »

Fondamentalement, accepter l’incertitude favorise un environnement de travail positif. Que ce soit par le biais d’une reconnaissance ciblée, d’une planification de scénarios ou de la technique du pre-mortem, reconnaître l’incertitude favorise une communication ouverte, remet en question les hypothèses et encourage l’inclusion de perspectives diverses. Elle s’est également révélée inestimable pour le processus d’innovation. Cela renforce non seulement l’organisation, mais rend également le lieu de travail plus sain et plus agréable.

Accepter continuellement l’incertitude

Comme toute technique de gestion efficace, l’acceptation de l’incertitude n’est pas un effort ponctuel. Elle doit être intégrée dans l’ensemble de l’organisation, avec des processus et des comportements constamment renforcés.

Les avantages sont considérables et les dirigeants devraient être encouragés à « considérer l’incertitude comme une opportunité plutôt que comme une menace », en « adoptant des activités telles que le pre-mortem comme un moyen vraiment efficace, collaboratif et engageant d’aborder l’incertitude, de la comprendre et d’essayer de la gérer efficacement » (chef de projet principal, organisation nationale d’infrastructure du Royaume-Uni).

En affrontant courageusement l’incertitude, en en partageant la responsabilité et en restant ouverts à de nouvelles possibilités, nous pouvons créer des organisations plus résilientes, plus innovantes et plus centrées sur l’être humain.

The Conversation

Alec Waterworth ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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