Source: The Conversation – in French – By Daniel Cash, Reader in Law, Aston University
En février 2025, l’agence de notation Moody’s a abaissé la note du Sénégal de deux crans. Quelques mois plus tard, en juillet, Standard & Poor’s a suivi avec une nouvelle dégradation.
En l’espace de quatre mois, la note souveraine du pays a perdu trois niveaux. Une telle dégringolade est rare, surtout pour un État qui n’est pas en défaut de paiement ou en pleine restructuration.
L’effondrement des notations a provoqué une vente massive des eurobons du Sénégal. Elle a également compliqué les négociations en cours entre le pays et le Fonds monétaire international.
Plus généralement, elle a envoyé un signal sur la manière dont les agences de notation réagissent désormais aux défaillances de gouvernance, et pas seulement aux tendances macroéconomiques. Pour les observateurs, ce n’est pas qu’un simple ajustement de marché, mais un avertissement.
Alors pourquoi une telle sanction ?
En juillet 2025, Moody’s a publié un rapport sur les « hausses de dette inexpliquées ». Le document montre que le manque de transparence budgétaire – quand les gouvernements fournissent des données incomplètes ou trompeuses – compromet la solvabilité des États. Cela s’applique à l’échelle mondiale, et pas seulement à l’Afrique.
L’analyse repose sur ce qu’on appelle les ajustements flux de stocks. C’est l’écart entre l’augmentation annuelle réelle de la dette d’un pays et celle qui devrait résulter de son déficit budgétaire déclaré. Concrètement, si un État affiche un déficit de 5 milliards de dollars, sa dette devrait croître d’un montant similaire. Si la hausse est beaucoup plus forte – ou plus faible –, c’est le signe qu’il manque des informations ou que certaines données sont fausses.
Les recherches démontrent une corrélation claire entre les ajustements importants des flux de stocks et les scores de gouvernance plus faibles.
La dégradation de la note souveraine du Sénégal par Moody’s et son rapport de recherche soulignent à quel point les questions de transparence et de gouvernance influencent de plus en plus les évaluations de crédit souverain. Les agences de notation ont amélioré leurs méthodologies afin de prendre en compte ces risques. Les facteurs de gouvernance représentent désormais environ 25 % des notations souveraines dans les principaux cadres des agences.
Les problèmes de transparence compliquent également les négociations de restructuration de la dette. Par exemple, le processus de restructuration de la Zambie a pris 3,5 ans (2021-2024), en partie à cause de complications liées à la transparence. La restructuration en cours en Éthiopie (depuis 2021) fait face à des défis similaires. Pour sa part, le Ghana a bénéficié d’un processus plus rapide grâce à une transparence initiale plus élevée.
En tant que chercheur ayant étudié de près le fonctionnement des agences de notation, je considère que l’analyse approfondie de Moody’s constitue à la fois un outil de diagnostic et un système d’alerte précoce pour les problèmes de transparence.
Le message adressé aux gestionnaires de la dette souveraine est clair : à l’ère où les exigences de transparence sont renforcées et les méthodologies de notation plus sophistiquées, la qualité des données fiscales est devenue indissociable de la solvabilité.
Les signes avant-coureurs
Selon Moody’s, de forts écarts entre flux et stocks qui persistent dans le temps signalent un manque de transparence fiscale, une faiblesse dans la remontée des informations et un contrôle insuffisant des dépenses.
Moody’s a notamment souligné que
L’agence souligne que les marchés dits « frontières », en Afrique subsaharienne et en Amérique latine, sont ceux qui ont connu les plus grands écarts de ce type ces dix dernières années.
Ces décalages ont parfois des explications techniques valables : opérations de gestion de la dette, achats d’actifs, règlement d’arriérés ou révisions statistiques. Mais les recherches de Moody’s ont montré que ces justifications techniques ne représentaient que la moitié des décalages entre flux et stocks. L’autre moitié reste inexpliquée, ce que Moody’s considère comme un sérieux signal d’alerte pour la crédibilité budgétaire d’un État.
Les failles du Sénégal en matière de transparence
Le cas du Sénégal illustre comment des lacunes en matière de transparence peuvent déstabiliser rapidement le profil de crédit d’un État.
À la suite des élections de mars 2024, un audit de l’Inspection générale des finances et un rapport de la Cour des comptes ont révélé des « indicateurs budgétaires beaucoup plus faibles » que ceux annoncés. La dette de l’État central avoisinait les 100 % du PIB en 2023, soit environ 25 points de plus que les chiffres publiés jusque-là.
L’ampleur de ces corrections était inédite. Le ratio dette/PIB est passé de 74,4 % à 99,7 % fin 2023. Le déficit budgétaire, lui, a été réévalué de 4,9 % à 12,3 % du PIB. Sur ce constat, Moody’s a été catégorique :
L’ampleur et la nature de ces écarts montrent que la marge budgétaire du Sénégal est bien plus étroite qu’annoncée, avec des besoins de financement beaucoup plus importants. Ces écarts révèlent aussi de sérieuses lacunes de gouvernance dans le passé.
La sanction n’a pas tardé et a été sévère. En février 2025, Moody’s a abaissé la note du Sénégal de B1 à B3 et a placé la perspective en « négative », après une précédente dégradation en octobre 2024.
Les indicateurs de la dette du Sénégal reflètent la gravité du défi budgétaire. Le Fonds monétaire international estime que la dette du Sénégal a atteint 105,7 % du PIB à la fin de 2024, les besoins de financement bruts (le montant total que le gouvernement doit rembourser et emprunter à nouveau pour continuer à fonctionner) devraient avoisiner 20 % du PIB en 2025 dans le budget du Sénégal.
Le Fonds monétaire international a suspendu sa facilité de crédit élargie de 1,8 milliard de dollars américains en juin 2024 après la découverte de fausses déclarations. Toutefois, le Fonds, dans une note sur les négociations lors d’une visite de son personnel en août 2025 axée sur la collaboration avec le Sénégal à la lumière des audits postélectoraux, a écrit :
L’équipe des services du FMI salue l’engagement des autorités sénégalaises en faveur de la transparence et de la responsabilité budgétaires, à la suite de la divulgation des importantes déclarations erronées qui sont intervenues au cours des dernières années.
Des dérives inquiétantes
Moody’s souligne que les ajustements stock-flux se produisent dans toutes les régions et à tous les niveaux de revenu. Mais leur persistance et leur ampleur varient considérablement d’une région à l’autre. Les cas récents en Afrique montrent des tendances particulièrement inquiétantes.
En voici quelques exemples :
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La révélation par le Mozambique en 2016 d’une dette non déclarée représentant 10 % du PIB par le biais d’entreprises publiques. Cela a conduit à un défaut de paiement.
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La structure complexe de la dette de la Zambie a contribué à son défaut de paiement en 2020. Les emprunts contractés par une entreprise publique n’étaient pas entièrement consolidés dans les statistiques du gouvernement.
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En République du Congo, en 2017, une dette importante adossée au pétrole a été découverte, dissimulée par des structures offshore.
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La transition post-2023 du Gabon, qui révèle un endettement supérieur d’environ 14 points de pourcentage aux précédentes projections de Moody’s.
Pourquoi est-ce intéressant ?
La logique économique qui sous-tend la corrélation entre les ajustements importants des stocks et des flux et les scores de gouvernance plus faibles est simple. Des ajustements positifs persistants des stocks et des flux indiquent que les déficits budgétaires peuvent ne pas refléter fidèlement les besoins de financement du gouvernement. Comme l’explique Moody’s :
Lorsque les ajustements des stocks et des flux sont positifs, un solde primaire plus élevé est nécessaire pour stabiliser la dette à long terme.
Cela pose un problème à la fois budgétaire et de crédibilité que les agences de notation doivent intégrer dans leurs évaluations.
Pour les pays ayant connu des ajustements importants dans le passé, Moody’s note qu’il peut
donner une évaluation plus négative de l’efficacité de la politique budgétaire.
Un manque de transparence peut aussi bloquer les négociations de restructuration de dette. Les négociations menées dans le cadre du cadre commun du G20, qui vise à coordonner l’allégement de la dette entre créanciers publics et privés, en sont un exemple.
Le processus repose sur des données claires et complètes sur la dette afin de déterminer le montant de l’allègement nécessaire et qui doit l’assumer. Lorsque des dettes importantes sont dissimulées, contestées ou mal comptabilisées, l’ensemble des négociations ralentit, voire s’enlise complètement.
La voie à suivre
La convergence entre l’amélioration des méthodes de notation et les exigences en matière de transparence crée à la fois des défis et des opportunités pour les emprunteurs souverains.
L’amélioration des systèmes de données budgétaires n’est plus un simple exercice technique de comptabilité. Il s’agit d’une stratégie visant à maintenir l’accès au marché et la solvabilité d’un État.
Les agences de notation indiquent que cette tendance va s’intensifier.
Pour les États souverains des marchés émergents et frontières, les incitations à renforcer la transparence sont évidentes. Les études montrent qu’une meilleure gouvernance réduit les « spreads » souverains sur le marché, tandis qu’une mauvaise gouvernance peut les augmenter de 50 à 200 points de base.
En définitive, les États ont tout à gagner à améliorer leur gouvernance. Les marchés financiers valorisent la transparence et la solidité institutionnelle en offrant, en retour, des conditions de financement plus favorables.
De l’alerte à l’opportunité
Le Sénégal offre une parfaite illustration des conséquences d’un déficit de transparence : une dégradation brutale de la notation souveraine. Cet épisode souligne également la vigilance accrue des agences de notation, désormais promptes à identifier et à sanctionner ce type de manquement.
Les États emprunteurs gagneraient donc à voir dans les exigences accrues de transparence non pas une contrainte, mais une occasion de réduire leurs coûts de financement et de renforcer leur crédibilité sur les marchés.
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Daniel Cash does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.
– ref. Sénégal : ce que révèle la dégradation de la note sur la dette cachée et les notations de crédit – https://theconversation.com/senegal-ce-que-revele-la-degradation-de-la-note-sur-la-dette-cachee-et-les-notations-de-credit-264154
