Source: The Conversation – in French – By Catherine Loveday, Professor, Neuropsychology, University of Westminster

Lorsque je demande à une salle d’étudiants comment ils se sentiraient s’ils ne pouvaient plus jamais écouter de musique, la plupart sont consternés. Beaucoup ont écouté leur musique jusqu’à l’instant où le cours a commencé. Mais invariablement, un ou deux admettent timidement que leur vie ne changerait pas du tout si la musique n’existait pas.
Les psychologues appellent cela « l’anhédonie musicale » : l’absence de plaisir à écouter de la musique. Et un nouvel article publié par des neuroscientifiques espagnols et canadiens suggère qu’elle serait causée par un problème de communication entre différentes parties du cerveau.
Quand l’apathie devient la norme
Pour beaucoup d’entre nous, l’apathie envers la musique semble incompréhensible. Pourtant, pour 5 à 10 % de la population, c’est la norme.
Je le constate souvent dans mes propres recherches et pratiques auprès de personnes souffrant de pertes de mémoire, à qui je demande de choisir leurs chansons préférées afin d’accéder à des souvenirs importants.
J’ai toujours été fasciné par le fait que certaines personnes me regardent d’un air perplexe et me disent : « La musique ne m’a jamais vraiment intéressé ». Cela contraste fortement avec la majorité des gens qui adorent parler de leur premier disque ou de la chanson qui a été jouée à leur mariage.
Une question de circuits cérébraux
Des études récentes montrent de grandes différences dans l’intensité des réactions émotionnelles des gens à la musique. Environ 25 % de la population est hyperhédonique, c’est-à-dire qu’elle éprouve un besoin presque obsessionnel d’écouter intensément et fréquemment à la musique.
Les recherches dans ce domaine utilisent généralement le Questionnaire de récompense musicale de Barcelone (BMRQ), qui interroge les personnes sur l’importance de la musique dans leur vie quotidienne : à quelle fréquence elles écoutent des disques, si elles fredonnent et s’il y a des chansons qui leur donnent des frissons.
Les personnes obtenant un score faible sont classées comme souffrant d’anhédonie musicale et de nombreux chercheurs vérifient ce diagnostic en laboratoire en mesurant leur rythme cardiaque, leur transpiration et leur respiration pendant qu’ils écoutent de la musique. Pour la plupart d’entre nous, ces marqueurs physiologiques changent radicalement pendant les chansons émouvantes. Mais chez les personnes souffrant d’anhédonie musicale, il n’y a souvent aucun effet physiologique.
Quand l’absence de plaisir cache autre chose
Une théorie est que le fait de moins apprécier la musique pourrait refléter une anhédonie plus générale, c’est-à-dire une absence de plaisir pour quoi que ce soit. Souvent, cela est lié à des perturbations des circuits de la récompense du cerveau, dans des zones telles que le noyau accumbens, le cortex orbitofrontal et l’insula.
Il s’agit d’une caractéristique courante de la dépression qui, comme d’autres troubles de l’humeur, peut être corrélée à une absence de réponse à la musique. Or, cela n’explique pas l’anhédonie musicale spécifique, où les personnes apprécient pleinement d’autres sources de plaisir telles que la nourriture, les relations sociales et les films, mais restent indifférentes à la musique.

(foto-lite/Shuttersock)
Une autre possibilité est que les personnes qui s’intéressent peu à la musique ne la comprennent tout simplement pas, peut-être en raison de difficultés à percevoir les mélodies et les harmonies. Pour tester cette hypothèse, nous pouvons nous intéresser aux personnes atteintes d’amusia, un trouble de la perception musicale qui affecte la capacité à reconnaître des mélodies familières ou à détecter des fausses notes. Ce trouble apparaît lorsque l’activité est réduite dans des régions clés du cortex frontotemporal du cerveau, responsables du traitement de la hauteur et de la mélodie. Cependant, certaines personnes atteintes de ce trouble ont un amour extrême et obsessionnel pour la musique.
Quoi qu’il en soit, d’autres recherches montrent que les personnes souffrant d’anhédonie musicale ont souvent une perception musicale normale, sans difficulté à reconnaître les chansons ou à distinguer les accords majeurs des accords mineurs.
Alors, que se passe-t-il ? Le nouvel article propose une analyse approfondie des recherches menées jusqu’ici. Les auteurs expliquent que, chez les personnes souffrant d’anhédonie musicale, les réseaux cérébraux de la perception musicale et de la récompense sont intacts, mais que la communication entre eux est fortement perturbée. Autrement dit, il existe peu ou pas d’échanges entre les régions auditives du cerveau et le centre de la récompense.
Aimer ou ignorer la musique : une question de câblage
Les personnes qui ont des réactions typiques à la musique présentent une activité importante dans cette voie, qui est plus élevée pour la musique agréable que pour les sons neutres. Une étude réalisée en 2018 a montré qu’il est possible d’augmenter le plaisir procuré par la musique en stimulant artificiellement ces voies de communication à l’aide de stimulations magnétiques.
Cette nouvelle analyse pourrait aider les scientifiques à mieux comprendre certains troubles cliniques où les plaisirs quotidiens paraissent diminués ou, au contraire, exacerbés, comme les troubles alimentaires, l’hypersexualité ou la dépendance au jeu.
Ces résultats remettent également en question l’idée répandue selon laquelle tout le monde aime la musique. La plupart des gens l’apprécient, mais pas tous, et cette variation s’explique par des différences dans le câblage du cerveau. Parfois, cela fait suite à une lésion cérébrale, mais le plus souvent, les personnes naissent ainsi. Une étude réalisée en mars 2025 a trouvé des preuves d’un lien génétique.
La musique est partout – dans les magasins, les salles de sport, les restaurants, les établissements de santé – et elle peut avoir un pouvoir incroyable. Mais peut-être devrions-nous résister à la tentation de la considérer comme une panacée et accepter que, pour certains, le silence ait lui aussi sa valeur.
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Catherine Loveday ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
– ref. Certaines personnes n’aiment pas la musique. La raison se trouve dans leur cerveau – https://theconversation.com/certaines-personnes-naiment-pas-la-musique-la-raison-se-trouve-dans-leur-cerveau-263500
