Source: The Conversation – in French – By Jessica M. Theodor, Professor of Biological Sciences, University of Calgary
L’an passé, un Stegosaurus surnommé Apex a été vendu aux enchères pour 40,5 millions de dollars américains. Le mois dernier, un Ceratosaurus juvénile l’a été pour 30,5 millions de dollars.
Les partisans de ces ventes considèrent qu’elles sont sans conséquences, voire bénéfiques pour la science. D’autres comparent les fossiles à des objets d’art, louant leur beauté ou leur charme historique.
En tant que paléontologues, nous tenons à affirmer que ces personnes ont tort.
Les fossiles ne sont ni des objets d’art ni des trophées. Ils contiennent des données scientifiques qui fournissent des traces tangibles de l’histoire lointaine de la Terre. Ce sont des outils essentiels pour comprendre l’évolution, l’extinction, les changements climatiques, ainsi que l’origine et la disparition des écosystèmes.
Leur véritable valeur réside dans ce qu’ils nous enseignent, et non dans leur prix. Bien sûr, certains fossiles sont magnifiques. Tout comme le sont les rhinocéros blancs, une espèce menacée, et personne ne suggère pour autant que ces animaux soient vendus aux enchères au plus offrant. La valeur d’un fossile ne se définit pas par sa beauté, mais par son accessibilité scientifique permanente.
Science VS propriété
Les paléontologues sont des historiens du temps profond qui étudient la vie sur des millions d’années. Notre science repose sur les mêmes principes fondamentaux que toutes les autres disciplines scientifiques. Les données doivent être transparentes, accessibles, reproductibles et vérifiables. Pour que cela soit possible en paléontologie, les spécimens fossiles doivent être conservés dans des institutions publiques disposant de collections permanentes.
Pour que la recherche paléontologique soit scientifique, il faut que les spécimens étudiés soient répertoriés dans des lieux qui en garantissent l’accès à perpétuité, afin que d’autres chercheurs puissent régulièrement examiner, évaluer et réévaluer les données qu’ils contiennent.
Ainsi, la vente aux enchères du spécimen de Tyrannosaurus rex surnommé Sue, qui a eu lieu en 1997, se distingue des ventes actuelles. Bien que Sue ait été cédée dans le cadre d’une vente privée, c’est un consortium public-privé, comprenant le Musée d’histoire naturelle de Chicago (FMNH), Walt Disney, McDonald’s et des donateurs privés, qui l’a acquise. Le squelette de Sue a immédiatement été placé dans le domaine public au FMNH, un musée accrédité, et a été dûment catalogué.
Sue n’a pas disparu dans la collection privée d’un acheteur anonyme. Au contraire, le T. rex est devenu une ressource scientifique accessible aux chercheurs et au grand public. C’est précisément ce qui devrait arriver à tous les fossiles d’importance scientifique.
De plus en plus de fossiles remarquables finissent entre les mains de collectionneurs privés. Même lorsque les propriétaires les prêtent temporairement à des musées, comme dans le cas du Stegosaurus Apex, ces fossiles ne peuvent être utilisés pour des études scientifiques sérieuses.
Un accès permanent
Les principales revues scientifiques ne publient pas les recherches qui étudient de tels spécimens pour une raison bien simple : la science exige un accès permanent.
La paléontologie repose sur la transparence, la reproductibilité et la celle des données. Un fossile appartenant à un particulier, aussi spectaculaire soit-il, peut devenir inaccessible à tout moment selon le bon vouloir de son propriétaire. Cette incertitude rend impossible toute garantie quant à la possibilité de vérifier les découvertes, de répéter les analyses ou d’utiliser de nouvelles technologies ou méthodes sur le matériel original à l’avenir.
Comparez cela aux fossiles conservés dans le domaine public, comme le T. rex Sue. Le squelette de Sue est exposé depuis près de 20 ans et a fait l’objet de nombreuses études. À mesure que la technologie évolue, de nouvelles questions scientifiques sont abordées concernant les vestiges anciens, et notre compréhension du passé lointain s’approfondit d’une recherche à l’autre.
L’importance des normes
Il peut être tentant de justifier le commerce des fossiles en citant l’exemple des films et des jouets sur le thème des dinosaures, comme si la culture populaire était l’équivalent de la science. C’est comme affirmer que les tableaux exécutés par la peinture à numéros peuvent remplacer des œuvres d’art au Louvre. Les ventes très médiatisées induisent le public en erreur en lui faisant croire que l’importance d’un fossile ne dépend que de sa taille ou de son intégralité.
La Société de paléontologie des vertébrés, la plus grande organisation mondiale de paléontologues professionnels, a élaboré des directives éthiques reflétant les normes professionnelles en matière de recherche. Toutefois, ces règles sont jugées trop strictes par certains, qui estiment qu’elles devraient être « assouplies ». Mais les assouplir reviendrait à abandonner le principe même de la méthode scientifique pour favoriser la convenance et le profit.
Il est contraire à l’éthique de vendre des fossiles humains ou des artefacts culturels à des collectionneurs privés. La même règle devrait s’appliquer aux dinosaures et autres fossiles de vertébrés. Qu’ils soient communs ou spectaculaires et rares, les fossiles constituent un témoignage précieux de l’histoire de notre planète.
La science en héritage
La science ne devrait pas être mise en vente. Nous suggérons aux millionnaires et milliardaires passionnés de fossiles d’investir leur argent là où il pourra contribuer à changer les choses. Au lieu d’acheter un squelette, nous les encourageons à soutenir la recherche, les musées, les étudiants et les sociétés scientifiques qui redonnent vie aux ossements anciens.
Le prix d’un seul fossile pourrait financer des années de découvertes révolutionnaires, d’éducation et d’expositions. C’est un héritage qui mérite d’être légué, surtout à une époque où le financement de la science est en déclin.
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Jessica M. Theodor reçoit des fonds du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada. Elle est l’ancienne présidente de la Society of Vertebrate Paleontology.
Kenshu Shimada est président du comité des affaires gouvernementales de la Society of Vertebrate Paleontology.
Kristi Curry Rogers est vice-présidente de la Society of Vertebrate Paleontology.
Stuart Sumida est président de la Society of Vertebrate Paleontology.
– ref. Les fossiles de dinosaures offrent des données scientifiques uniques et ne devraient pas être vendus aux enchères – https://theconversation.com/les-fossiles-de-dinosaures-offrent-des-donnees-scientifiques-uniques-et-ne-devraient-pas-etre-vendus-aux-encheres-264102
