Source: The Conversation – in French – By Julien Pillot, Enseignant-Chercheur en Economie, INSEEC Grande École
De la ruée vers l’or à la génération hippie, sans oublier la révolution informatique, la Californie ne semble pas avoir volé son surnom d’État en or ou Golden State, en VO. Mais qu’en est-il réellement, alors que les anicroches entre le président Trump et le gouverneur démocrate de Californie Gavin Newsom se multiplient. Quel est le poids réel de cet État au plan fédéral ? Décryptage de la puissance économique californienne et… de ses faiblesses.
Avec un PIB de 4 103 milliards de dollars, la Californie s’est hissée, en 2024, au 4e rang des économies les plus prospères et même au 3e rang si on exclut les États-Unis dont elle fait partie intégrante. Seules la Chine, la « manufacture de la planète », forte de ses 1,4 milliard d’habitants, et l’Allemagne, qui compte 2,12 fois plus d’habitants, présentent un PIB supérieur au Golden State qui, décidément, n’a jamais aussi bien porté son nom (Graphique 1).
Petite radiographie de l’économie californienne à partir de dix graphiques et indicateurs clés qui mettent l’accent à la fois sur l’excellence productive de cet État, mais aussi sur certaines inégalités sociales et territoriales qui se creusent rapidement.
Graphique 1 : PIB annuel des principales économies mondiales (en dollars USD courants, 2024)

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Une économie prospère…
Entre 2005 et 2024, l’économie californienne a connu un taux de croissance sensiblement supérieur à la moyenne nationale. Quant aux économies européennes, elles ne soutiennent pas la comparaison (Graphique 2). Parmi les dix économies les plus développées de la planète, seules la Chine et l’Inde ont fait mieux sur la même période, tandis que le Brésil faisait jeu égal.
Graphique 2 : Évolution du PIB 2005-2024 (base 100 en 2005 / en dollars USD courants)

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C’est bien simple : depuis 2005, le taux de croissance de la Californie n’a été inférieur à la moyenne nationale qu’en 2009 et 2010 – en plein cœur de la crise financière des subprimes – et, en 2022 et en 2023 (en raison d’une inflation de près de 9 % qui a frappé plus durement la Californie que le reste du territoire américain). À ce rythme, il n’y a rien d’anormal à voir le 31e État des États-unis prendre toujours plus de poids dans l’économie fédérale, jusqu’à peser désormais plus de 14 % de son PIB (Graphique 3). Loin devant le Texas et l’État de New York qui, avec 9,3 % et 7,9 % respectivement, complètent le podium.
Graphique 3 : Évolution de la part de la Californie dans le PIB des États-Unis (en dollars USD courants)

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Un secteur privé particulièrement productif
Si la croissance de l’économie californienne a été si soutenue au long de ce dernier quart de siècle, c’est qu’elle repose sur quelques secteurs d’activité qui ont le vent en poupe : la finance, l’immobilier, la tech et les services aux entreprises, l’industrie (notamment défense, aéronautique, automobile, biotech…) et la santé (Graphique 4). Le secteur privé lucratif compte ainsi pour 90 % du PIB californien.
Graphique 4 : Contribution au PIB californien par secteur d’activité en 2023 (en %)

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L’autre moteur de l’économie californienne repose sur le dynamisme des investissements en recherche et développement. En 2022, l’Unesco estimait que la Californie représentait plus de 28 % des dépenses de recherche et développement (R&D) réalisées par les entreprises états-uniennes. Il faut bien admettre que tout concourt à attirer de tels investissements tant la Californie dispose d’un écosystème favorable à l’innovation : finance dynamique, pôles universitaires de renom, travailleurs qualifiés, industries de pointe, et politiques incitatives.
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Là encore, il n’y a guère de mystère à ce que cet État figure parmi les économies les plus pourvoyeuses d’emplois très qualifiés dans la recherche, dans l’ingénierie et dans l’innovation. En 2021, la Californie concentrait à elle seule plus de 21 % des emplois en R&D de l’ensemble de l’économie fédérale, dont près d’un quart des emplois du secteur privé lucratif (Graphique 5).
Graphique 5 : Part des emplois en recherche et développement (R&D) en Californie, par secteurs d’activité en 2021

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De bons niveaux de vie
La prospérité de l’économie californienne se traduit par un PIB par tête sans commune mesure avec les autres économies développées (Graphique 6). Exprimé en dollars courants, un Californien est ainsi en moyenne 1,8 fois plus riche qu’un Allemand, 2,2 fois plus qu’un Français, et même 7,6 fois plus qu’un Chinois.
Graphique 6 : PIB par tête (2023, dollars USD courants)

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Le coût de la vie en Californie est cependant très élevé, et réaliser une comparaison internationale des niveaux de vie nécessite un traitement en termes réels, c’est-à-dire exprimé en parité de pouvoir d’achat (Graphique 7).
Les écarts, s’ils restent conséquents, s’en trouvent significativement réduits. Par exemple, l’écart avec la France n’est plus que de 1,42 et avec l’Allemagne, de seulement 1,2. Plus intéressant encore, la Californie présente un niveau de vie similaire à la moyenne américaine.
Graphique 7 : PIB par tête, PPA (2023, dollar international courant)

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Des inégalités qui croissent
Car, à y regarder de plus près, la croissance économique du Golden State est loin de profiter de façon homogène aux quelque 39,2 millions de Californiens.
En effet, il existe en Californie de très importantes disparités territoriales et si la Bay Area – la région de San Francisco, qui abrite la fameuse Silicon Valley – a effectivement connu une explosion de ses revenus, elle fait figure d’exception et tire, à elle seule, une grande part de la croissance californienne.
Avec un PIB par tête de 131 000 dollars en 2023, la Bay Area pèse plus du double de certains comtés moins dynamiques, tels que la Central Valley (hors Sacramento), l’Inland Empire (Riverside, San Bernardino…), et le Northern California (Shasta, Gold Country…). A titre de comparaison, l’écart de PIB/tête intracalifornien n’était jamais supérieur à 32 000 dollars en 1998 (Graphique 8).
Graphique 8 : PIB par tête par région (en dollars USD courants de 2023)

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Bien évidemment, cette explosion des inégalités territoriales s’explique essentiellement par la croissance dans la tech et dans les services aux entreprises, qui a particulièrement profité aux 7,8 millions de résidents de la Bay Area et, à un degré moindre, aux comtés de San Diego, Orange et Los Angeles.
De telles disparités se ressentent naturellement sur les salaires. Pour bien s’en rendre compte, il suffit de comparer le salaire médian de la Bay Area (34 dollars USD de l’heure) avec celui d’autres comtés tels que celui de San Diego (28 dollars de l’heure), Inland Empire (22 dollars de l’heure) ou encore la Sierra et la Central Valley (21 dollars de l’heure).
Graphique 9 : Taux de chômage par État en 2024 (en %)

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Recrudescence des travailleurs pauvres
Deux autres indicateurs montrent les fragilités internes à l’économie californienne : le taux de chômage et le taux de travailleurs pauvres. Le taux de chômage en Californie est, en effet, structurellement supérieur à la moyenne nationale (Graphique 9).
L’État paie ainsi ses grandes disparités régionales, mais aussi une dépendance à des secteurs volatils, ainsi qu’un déclin démographique (une perte de 600 000 habitants entre 2020 et 2022), essentiellement imputable à un coût de la vie devenu rédhibitoire, qui entame la demande intérieure et l’ajustement du marché du travail.
Plus inquiétante encore est la recrudescence de « travailleurs pauvres », c’est-à-dire de personnes en emploi, mais dont les revenus ne permettent pas de franchir le seuil de pauvreté (fixé, en 2023, à 43 990 dollars (USD) pour un foyer de deux adultes en âge de travailler et de deux enfants à charge. Ce seuil est une moyenne nationale, avec des ajustements régionaux selon le coût de la vie. Il est, par exemple, de 50 380 dollars (USD) dans le secteur de Bay Area et de 36 280 dollars (USD) dans celui de Central Valley.
Un coût de la vie préoccupant
Le coût de la vie, et notamment du logement, explique cette situation préoccupante où, en 2023, 9,8 % des travailleurs californiens âgés de 25 ans à 64 ans vivaient dans la pauvreté. Soit un contingent de près de 1,5 million de personnes auquel il faut ajouter 2,3 millions de travailleurs (14,7 %) en situation précaire (foyer dont le revenu est compris entre 1 et 1,5 fois le seuil de pauvreté).
Sans grande surprise, ce sont les régions où le coût de la vie est le plus élevé et où la main-d’œuvre moins qualifiée peine à s’insérer et à trouver des salaires permettant de vivre décemment de son travail qui sont concernées au premier chef (Graphique 10). Le taux de travailleurs pauvres atteint des sommets dans l’agriculture (24,6 %), dans le BTP (24,2 %), dans la restauration (22,4 %) et dans les services à la personne (20,8 %).
Graphique 10 : Part des travailleurs californiens sous le seuil de pauvreté en 2023 (en %)

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Si le Golden State n’a jamais aussi bien porté son nom, force est de constater que la ruée vers l’or est loin d’avoir profité à l’ensemble de la population et des territoires.
La Bay Area en général et, en particulier, la Silicon Valley sont des poches de richesse dans un État en proie à de véritables préoccupations socio-économiques : trop grande dépendance à certains secteurs d’activité, difficultés d’insertion des travailleurs non qualifiés, explosion du coût de la vie et du nombre de travailleurs pauvres, déclin démographique…
« Il n’y a pas de classes sociales en Californie, il y a des échelles de salaire et des barreaux qui manquent »,
écrit, en 1986, le Québécois Jacques Godbout dans son roman Une histoire américaine. Pouvait-il imaginer à quel point l’histoire lui donnerait raison ?
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Julien Pillot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
– ref. La Californie, un colosse économique, mais un creuset d’inégalités (en dix graphiques) – https://theconversation.com/la-californie-un-colosse-economique-mais-un-creuset-dinegalites-en-dix-graphiques-263544
